Burkina Faso: Procès de l'attaque terroriste de Samorogouan en 2015 - Dans les secrets d'un feuilleton judiciaire

31 Juillet 2024

Neuf ans après l'attaque terroriste de Samorogouan qui a coûté la vie à trois gendarmes burkinabè, les auteurs ont été condamnés, le mercredi 31 juillet 2024, par la justice, au grand soulagement des victimes et leurs ayants-droit. Plongée au coeur de ce feuilleton judiciaire qui a duré plus d'une semaine !

Lundi 22 juillet 2024, 8h30min. Au Tribunal de grande instance (TGI) Ouaga II, le ciel assombri par les nuages laisse entrevoir une probable pluie. Malgré le temps menaçant, un petit monde fourmille dans la cour du Palais de justice. A l'entrée, des éléments de la Garde de sécuritaire pénitentiaire (GSP) procèdent à des fouilles minutieuses d'usagers qui attendent impatiemment de franchir le portail.

Inauguré en mai 2018, ces lieux abritent un pôle anti-terro-riste spécialisé dans la répression des actes terroristes et tout accès est donc soumis à un contrôle strict. Interdiction formelle d'avoir sur soi un objet suspect comme une arme blanche ou une arme à feu, un objet pointu, un briquet, du parfum, etc. Dans l'enceinte du Palais, des cellules isolées sous bonne garde, servent de lieu de détention « provisoire » des accusés. Ce sont les présumés auteurs de l'attaque terroriste enregistrée par le Burkina Faso, dans la nuit du 8 au 9 octobre 2015 à Samorogouan, dans la province du Kénédougou (Orodara), à une trentaine de kilomètres (km) de la frontière malienne.

Ce jour-là, aux environs de 4 heures du matin, un groupe d'hommes armés fait irruption dans la Brigade de gendarmerie de la commune et attaque les lieux. Bilan : trois pandores tués et de nombreux dégâts matériels. Il s'agit des Maréchaux de logis chef (MDL chef) Ousséni Paulin Boumboudi, Parou Issa Michel Dakouo et Ousmane Loué, dont les familles sont présentes au Tribunal. Dans la cour du Tribunal, ce 22 juillet, quatre prisonniers sortent de leurs cellules. Ils sont conduits à pas de caméléon, menottés deux à deux, dans l'une des salles d'audience. Assis côte à côte avec leurs menottes, ils attendent de passer à la barre. Alors que les deux plus âgés, le regard fuyant, semblent

inquiets, les plus jeunes affichent une totale sérénité, en particulier le plus géant d'entre eux. Quelques minutes plus tard, trois juges accompagnés et deux autres du Parquet en plus d'une représentante du greffe font leur entrée dans la salle. A leur aperçu, un calme olympien s'empare de la salle. Sept agents GSP, armés, veillent au grain.

Reconnaissance des faits

Le président de séance annonce le début du jugement et appelle les noms des mis en cause au nombre de 10 : Aboubacar Sawadogo alias Mossi, Moussa Maïga, Ousmane Dembélé, Abdoulaye Ouédraogo, Lassina Sandara, Seydou Dembélé alias Béni, Dramane Sanou, Abdoulaye Bebgaly, Boubacar Dramé et Hamidou Kindo alias Hamidou Zallé.

Ils sont poursuivis, entre autres, pour association de malfaiteurs terroristes, assassinats, vols aggravés, détention illégales d'armes et destruction aggravée de biens publics. Trois parmi eux, Aboubacar Sawadogo alias Mossi, Moussa Maïga et Ousmane Dembélé, avaient été arrêtés et incarcérés au Mali. Grâce à la collaboration du Mali, le TGI Ouaga II a pu obtenir leurs dépositions sur cette affaire.

Selon le Tribunal, le prévenu Aboubacar Sawadogo domicilié au quartier Somgandé de Ouagadougou, 56 ans au moment de son audition, a partiellement reconnu les faits. Présenté comme le cerveau de l'attaque, M. Sawadogo, aux dires du juge, a été initié aux maniements des armes en 2012 au Mali. « Au cours de l'opération Serval, leur base au Nord du Mali sera bombardée et certains de leurs chefs seront tués. Le groupe va se disperser et M. Sawadogo va trouver refuge à Somgandé », explique le Tribunal.

Par la suite, le prévenu contacte un certain Tasseré Belem présent au Nord du Mali pour poursuivre le combat dans la localité de Samorogouan. Moussa Maïga, cultivateur domicilié à Sikasso, né en 1983, a aussi reconnu partiellement les faits. « Nous étions dans une forêt de Samorogouan pour préparer l'attaque. Trois bergers ont su que nous préparions quelque chose. Nous les avons interpellés.

Le premier a accepté collaborer. Le deuxième a pu s'en fuir et le troisième qui a opposé une résistance a été égorgé par le chef du groupe », soutient l'accusé dans sa déposition lue à l'audience. Idem pour Abdoulaye Ouédraogo, âgé de 57 ans au moment de son audition en 2016. « Nous avons rejoint Samorogouan à l'aide de six motos. Les armes ont été convoyées par bus avec des vivres et plaques solaires. Nous avons attaqué à 4 heures la gendarmerie. Je tenais une kalachnikov. Il m'avait été demandé de rester en arrière avec un jeune. Après l'attaque, nous avons pris la direction du Mali avec le chef qui était blessé. Nous nous sommes refugiés dans une forêt près de Sikasso avant que le chef ne soit évacué dans une clinique à Sikasso », renseigne en substance le compte-rendu d'audition de l'accusé.

Plaider non coupables

Quid des quatre accusés ? Lassina Sandara, Seydou Dembélé alias Béni, Dramane Sanou et Boubacar Dramé sont appelés tour à tour à la barre. A la question du Tribunal de savoir s'il reconnait les faits à eux reprochés, Lassina Sandara, 1m80, la trentaine révolue, vêtu d'un ensemble boubou de couleur bleue au pantalon court, répond par la négative.

Pourtant, selon les juges, un faisceau d'indices montre qu'il est bien l'utilisateur de la mitrailleuse au moment de l'assaut sur la Brigade. « Je n'ai pas participé à l'attaque. En 2015, je n'étais même pas au Burkina. Ce n'est qu'en 2016 que je suis rentré au pays », maintient-il d'un ton ferme. Seydou Dembélé alias Béni, un 1m60 et 15 ans au moment des faits, lui, reconnait avoir été sur les lieux, mais nie toute implication dans l'attaque. « J'étais allé à Bobo-Dioulasso pour apprendre le Coran.

Mon frère cadet m'a demandé de les suivre. Je n'ai pas participé à un quelconque projet. Sur les lieux, on m'a demandé de me poster en arrière », confie-t-il. Dramane Sanou, du haut de ses 1m75 et septuagénaire, ainsi que Boubacar Dramé, 1m65 et sexagénaire, sont considérés comme les « guides spirituels » des éléments du groupe. Et, par conséquent, sont accusés d'avoir participé à la préparation de l'attaque. Ce que ces derniers rejettent en bloc. « Il est bien vrai que je connais certains éléments du groupe, mais je ne suis au courant de rien.

Je suis dans mon champ », se défend le vieux Sanou. Par contre, au cours des débats contradictoires, son acolyte Dramé admettra avoir participé à une rencontre à Bobo-Dioulasso au cours de laquelle des armes ont été présentées. « Je suis dans la pharmacopée. C'est un élément du groupe qui avait besoin d'un produit et je suis allé lui donner. Ce dernier m'a invité à suivre la rencontre, mais je n'ai pas épousé la démarche des initiateurs », précise-t-il.

« Mais pourquoi n'avez-vous pas dénoncé le groupe à la police alors que vous avez un niveau d'instruction de la classe de 4e ? », rebondit le Parquet. A cette question, l'accusé avance le fait de n'avoir pas eu l'idée d'alerter les autorités sur la situation à l'époque. Et d'affirmer qu'il regrette son inaction.

Attaque menée par 13 personnes

A l'issue des débats contradictoires, le Procureur du Faso, dans sa plaidoirie, établit la genèse des évènements d'octobre 2015, puis situe la responsabilité de chaque mis en cause. D'après lui, le 7 octobre 2015, la gendarmerie de Samorogouan reçoit une information faisant cas de trois bergers pris en otage par des hommes lourdement armés.

En réponse, neuf gendarmes de Orodara sont appelés en renfort. Dans la nuit du 7 au 8 octobre, une patrouille est effectuée dans la forêt. Celle-ci permet de retrouver les engins des personnes suspectes et de les amener à la brigade. Le 8 octobre, la gendarmerie est informée de la découverte du corps d'un des bergers en brousse. Les investigations conduisent à l'interpellation et à la garde-à-vue d'Abdoulaye Sawadogo soupçonné d'avoir hébergé les ravisseurs. M. Sawadogo se trouve être le beau-père de Moussa Maïga, l'un des leaders du groupe terroriste.

Selon les informations reçues, Abdoulaye Sawadogo accueille dans un premier temps, un homme et son fils. Plus tard, quatre autres personnes dont son beau-fils, Moussa Maïga rejoignent le groupe. « Dans la matinée du 9 octobre, ils passent à l'assaut. Le dispositif logistique de la gendarmerie n'a pas pu tenir longtemps. Au cours de l'attaque, trois gendarmes et Abdoulaye Sawadogo qui était en détention vont perdre la vie », détaille le ministère public. Un ratissage est alors effectué dans la zone et permet de récupérer des armes.

Dans leur fuite, les assaillants cambriolent la boutique d'un commerçant et retirent sa motocyclette. Avant de poursuivre leur chemin, ils prennent le soin de laisser un message : « Dites aux gens de Orodara que la prochaine fois ce sera le tour de Bobo ». Compte tenu de la nature du crime, le juge d'instruction du Tribunal de Orodara est dessaisi du dossier, confié au TGI Ouaga II qui dispose d'un pôle judiciaire spécialisé dans la répression des actes terro-ristes. L'instruction du dossier débouche sur l'interpellation de 13 personnes ayant eu des contacts directs avec le nommé Moussa Maïga.

Les investigations révèlent que Moussa Maïga, Hamidou Kindo et Tasseré Belém se sont rendus au Nord du Mali pour le « Djihad », où, ils rencontrent Aboubacar Sawadogo alias Mossi. Affiliés au groupe terroriste Ansar Dine, bombardé par l'armée française pendant l'Opération Serval de l'armée française, ils se dispersent à la demande de leurs chefs pour se réorganiser dans d'autres localités et propager le « Djihad ». Une fois au

Burkina Faso, Aboubacar Sawadogo décide de reconstituer le groupe. Pour mener à bien l'attaque de Samorogouan, il retourne au Mali à la recherche de ressources. L'enquête établit qu'il est revenu avec la somme de 5 000 000 F CFA. En tout, les assaillants étaient au nombre de 13. Huit d'entre eux sont actuellement morts (Ibrahim Sawadogo, Moctar Kindo, Abdoulaye Ouédraogo, Abdoulaye Touré), la plupart tués au cours d'autres attaques terroristes au Mali voisin et au Burkina Faso, notamment l'attaque de Ragnongo en 2018.

Cinq sont toujours en détention dont deux au Burkina Faso et trois au Mali. Au regard des faits, le procureur requiert une peine d'emprisonnement à perpé-tuité pour les leaders du groupe et leurs complices. En ce qui concerne Seydou Dembélé alias Béni, le Parquet demande une condamnation de 15 ans de prison assortie d'une sûreté de 10 ans et une amende de 2 000 000 F CFA avec sursis. Le ministère public justifie cette requête par le fait que ce dernier était mineur (14 ans) au moment des faits. Le jugement prend fin au bout de trois jours de débats et le dossier est mis en délibéré pour le mercredi 31 juillet 2024.

« Nos maris, eux, n'ont pas eu cette chance »

Au moment où les juges s'apprêtent à livrer le verdict, règne dans la salle d'audience un silence de mort. Les quatre accusés sont rappelés à la barre. La sentence est sans appel. Tous sont reconnus coupables et écopent des peines maximales. Huit d'entre eux sont condamnés à perpétuité.

Il s'agit d'Aboubacar Sawadogo alias Mossi, Moussa Maïga, Ousmane Dembélé, Lassina Sandara, Dramane Sanou, Abdoulaye Bebgaly, Boubacar Dramé et Hamidou Kindo alias Hamidou Zallé. Par ailleurs, des mandats d'arrêt sont émis contre Aboubacar Sawadogo alias Mossi, Moussa Maïga et Ousmane Dembélé, en détention au Mali et Abdoulaye Bebgaly qui bénéficiait d'une liberté provisoire.

Seydou Dembélé alias Béni était mineur au moment des faits. Il écope de 5 ans de prison ferme et une amande de 2 millions F CFA avec sursis. En guise de dommages et intérêts, les accusés sont condamnés à verser 70 millions F CFA à chacune des deux épouses des gendarmes décédés dans l'attaque. Concernant le dixième accusé, Abdoulaye Ouédraogo, décédé avant le jugement, aucune peine n'a été prononcée en son encontre.

Pour les familles des victimes, c'est un ouf de soulagement. Nadine (Nom d'emprunt), épouse d'un gendarme se réjouit de ce dénouement. « Ils ont eu de la chance d'avoir été condamnés à perpétuité. Nos maris, eux, n'ont pas eu cette chance », souligne-t-elle d'un air mélancolique. Elle qui espérait un avenir radieux avec son époux qui se préparait à effectuer une mission de maintien de paix au Darfour.

« J'étais contente pour lui. Malheureusement, il a été tué dans la même semaine. C'est décevant. Ils n'avaient pas assez de munitions pour se défendre, est-ce normal ? », peste-t-elle. Blandine (nom d'emprunt), également épouse de gendarme, elle, salue la justice burkinabè ainsi que les autorités qui se sont données les moyens pour la tenue de ce procès qui « a permis de savoir ce qui s'est passé ».

« Ce qui m'a fait très mal à l'époque, c'est de n'avoir pas vu le corps de mon mari, ni obtenu la moindre explication sur ce qui s'est passé », dénonce t-elle. Même si elle admet l'importance de connaitre la vérité sur cette affaire, Blandine estime que le mal ne sera jamais réparé : « ils ont détruit des vies qu'ils ne pourront jamais remplacer.

Le fait de vouloir se justifier n'a pas de sens. Ils pouvaient au moins demander pardon aux familles. Cela fait bientôt neuf ans que ma vie et celle de ma fille de 14 ans ont été détruites ». En dépit de leur douleur encore vive, Nadine et Blandine espèrent que les groupes armés terroristes entendent raison et déposent les armes.

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