Nous avons choisi de placer la version estivale de cette rubrique sous le signe de la féminité et nous en avons consacré les trois premières livraisons à une figure que nous avons estimée tutélaire, fondatrice : Dihiya fille de Tabtet fils de Tifân, dite la Kahéna. Nous aurions pu opter pour une démarche chronologique qui aurait fait précéder notre héroïne dans la galerie des actrices de premier plan de notre histoire par d'autres célébrités, tout aussi prestigieuses même si parfois auréolées de mythe.
Mais Dihiya était un pur produit de cette terre et, par dessus tout, elle est la victime de profondes injustices de la part des historiens qui lui ont à peine évité l'infamie de lui faire revêtir l'habit de la femme d'Abou Lahab, irréductibles ennemis, l'une et l'autre, de la mission du prophète Mohamed au lieu de reconnaître en elle le porte-drapeau de l'identité berbère et l'expression de sa soif d'indépendance.
Le deuxième portrait que nous allons esquisser cette semaine est celui d'une dame qui a ferraillé elle aussi mais dans un tout autre domaine que celui de la politique et des guerres : la poésie. Il s'agit de Khadija Rousfiya (de Rosfa, Ruspea dans l'Antiquité punique et romaine et actuelle Chebba, dans le gouvernorat de Mahdia), affectueusement surnommée Kahddouj par ses contemporains.
Elle vécut au milieu du XIe siècle dans une famille de fins lettrés. On sait peu de choses sur cette personne si ce n'est qu'elle tint elle-même salon, comme on dira quelques siècles plus tard outre-Méditerranée, fréquenté par une pléiade de créateurs qu'elle accueillait dans un vaste château érigé en bord de mer. Le grand poète ibn-Rachiq, son contemporain, est l'unique source connue qui nous ait rapporté un épisode de son existence à travers des bribes de ses compositions poétiques dans lesquels elle célèbre sa relation sentimentale avec l'un des plus brillants poètes qui fréquentaient son salon, Abou Marwâne.
Irrités par les déclarations enflammées des tourtereaux qui faisaient jaser le voisinage, les frères de Khaddouj mirent fin à cette idylle. Ce dont elle s'est plainte dans la strophe suivante :
Ils nous ont séparés
Et lorsque nous nous sommes retrouvés
Ils nous ont calomniés
Je ne vois pas chose plus semblable
En traitement infligé à l'homme par Satan
Que ce qu'ils nous ont fait aujourd'hui
Je te languis ô Aba Marwâne
Plutôt j'ai pitié de moi à cause de ma peine
Toutes les fois que tu te dérobes à ma vue
Mais ce n'est pas seulement sa poésie qui a traversé les siècles. Khaddouj nous a également légué la tour en bord de mer qui porte toujours son nom, Borj Khédija, reliquat d'un ensemble architectural et foncier qui devait constituer sa propriété et dont la fondation semble remonter à l'époque byzantine. Cet ouvrage a été restauré à la fin du siècle et sa présence est devenue emblématique de la localité de La Chebba.