Sénégal: Séries télévisées - Une plongée dans l'intimité d'une 'writers room' dakaroise

Dakar — Les séries télévisées, surtout sénégalaises, fleurissent depuis quelques années sur nos écrans, tirant pour la plupart leur engouement auprès de nombreux Sénégalais de leur conception à partir de la "writers room", une salle d'écriture, où se réunissent les scénaristes, ces artistes de l'ombre "sculpteurs de récits" racontant nos histoires.

Elément clé de la création des séries, la "writers room", concept venu droit des Etats-Unis d'Amérique, est l'espace de brainstorming, donc de réflexion par excellence pour les scénaristes.

Un tour dans une de ces salles d'écriture dans un quartier de Dakar donne un aperçu du travail acharné auquel se livrent ces artistes de l'ombre, qui passent des nuits blanches à structurer chaque personnage dans le scénario.

En cet après-midi, une équipe de scénaristes s'est donnée rendez-vous dans l'une d'elles sous une forte chaleur, pour réfléchir à une commande de plusieurs épisodes sur la thématique des femmes et la citoyenneté.

Par chance, la salle est équipée d'une climatisation, rendant l'atmosphère agréable pour ce beau monde composé d'hommes et de femmes. Un grand téléviseur, des ordinateurs, un tableau blanc, un paperboard ou chevalet à feuilles repositionnables, des snacks, de l'eau minérale, tous les ingrédients sont réunis pour démarrer la séance de réflexion et trouver la trame du récit, prémices de l'oeuvre audiovisuelle.

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Il peut ainsi arriver que l'équipe se répartisse en groupes pour essayer de trouver l'intrigue parfaite adaptée à chaque épisode de nature à rendre chaque épisode palpitant. Dans la writers room, chacun y va de son imagination et se met dans la peau des personnages afin de représenter et transmettre au mieux les émotions aux spectateurs.

La productrice et scénariste Kalista Sy, propulsée par la célèbre série "Maîtresse d'un homme marié", et figurant en 2019 parmi les 100 femmes les plus influentes au monde, selon BBC, dirige cette équipe dont certains s'initient pour la première fois à la scénarisation des séries télé.

Connue pour raconter l'histoire des femmes à travers ses personnages, Kalista Sy explique que c'est dans la "writers room" que "la magie s'opère". "Les scénaristes se réunissent pour trouver des idées d'épisodes, décomposer les scripts en grandes lignes détaillées et travailler ensemble à la rédaction", précise-t-elle.

La "writers room" ou le "territoire des créatifs"

Une writers room, "c'est le territoire des créatifs qui doivent avoir le loisir de vivre et projeter l'univers des personnages", souligne-t-elle. L'activité n'est pas du tout repos, car, contrairement aux longs métrages, les scénaristes peuvent passer des mois avant de finir et sécuriser l'écriture d'une saison entière.

Ce que confirme Awa Kama, membre d'une équipe formée à la scénarisation de séries. "Il faut surtout connaître la cible qui doit consommer la série, et surtout, ne pas sortir de son thème", estime-t-elle.

"Ecrire une série est plus difficile qu'écrire un long ou un court métrage, car il faut faire en sorte que les téléspectateurs s'accrochent à chaque histoire et chaque personnage", explique pour sa part Ndèye Fatou Mboup, scénariste et réalisatrice, membre de l'équipe qui s'initie pour la toute première fois à l'écriture de séries.

Selon Jessy, qui en est également à sa première expérience dans l'écriture, il s'agit de "comprendre et voir la dynamique d'écriture, la démarche à adopter pour écrire un scénario (...). C'est aussi l'occasion de toucher du doigt la préproduction du cinéma, comment cela se crée, comment construire des personnages".

En définitive, tout est dans la fidélisation des spectateurs, résume Kalista Sy. Et c'est la raison pour laquelle, à travers sa société de production "Kalista Production", elle a décidé d'insérer et de former des jeunes, surtout des femmes, à l'écriture de scénarii, dans sa writers room.

Elle pense qu'il est important d'apprendre aux femmes à se raconter en prenant la place qui leur appartient, en allant au-delà du jugement et du regard de l'autre et rendre crédible leur personnage ainsi que leur évolution.

Kalista Sy soutient qu"'à l'heure des défis, il faut rendre aux femmes ce qu'elles savent faire le mieux : mener et gagner des combats au quotidien".

Des financements pouvant aller jusqu'à à 26 millions avec le Fonds "Maïssa"

"Nous avons eu l'honneur d'accueillir deux jeunes femmes et un jeune homme sur des projets d'écriture magnifiques . De cette session, trois projets de séries vont sortir avec de très belles histoires", se réjouit-elle.

"J'ai pour habitude de dire que si une personne n'arrive pas à se payer une thérapie, en regardant et en suivant nos histoires, la thérapie vient spontanément à elle", affirme-t-elle.

Son regard et son approche de l'écriture de séries a valu à Kalista Sy d'être choisie parmi les sept lauréates du Fonds Maïssa, initié par l'ambassade de France au Sénégal et dédié à la création et aux projets portés par des femmes dans les secteurs du cinéma et de l'audiovisuel, dans six pays d'Afrique de l'Ouest.

Ce fonds a été lancé en mars 2024 avec 60 dossiers de candidatures reçus provenant du Sénégal, de la Gambie, de la Mauritanie, du Cap Vert, de la République de Guinée et de la Guinée Bissau.

Parmi les sept lauréates qui seront financées pour des montants compris entre 9 000 et 40 000 euros (soit entre 6 et 26 millions de francs CFA), les cinq sont des projets de Sénégalaises et les deux autres proviennent de la Mauritanie et de la Guinée, a révélé à l'APS Séraphine Angoula, attachée audiovisuelle régionale de l'ambassade de France au Sénégal.

Il s'agit de quatre projets associatifs soutenus : la productrice Kalista Sy pour sa "writers room", la Guinéenne Aicha Diaby pour son "Festival et atelier de formation", la réalisatrice Binétou Faye, pour son programme de "résidence panafricain" et la directrice de production, Amina Ndoye, pour son programme de "Festival en Mauritanie".

Le Fonds Maïssa finance aussi trois projets créatifs avec la réalisatrice sénégalaise Angèle Diabang, pour son long métrage "Une si longue lettre", la réalisatrice Fagamou Ndiaye, pour son documentaire "Maty ou la vraie vie" et enfin Iman Djionne, directrice de casting et réalisatrice, pour son long métrage "Coura et Oulèye".

Selon Séraphine Angoula, "très peu de femmes sont identifiées" dans l'industrie cinématographique, notamment en Afrique de l'Ouest.

Identifier les femmes dans le secteur du cinéma

"Ce fonds va donc permettre d'identifier les femmes dans le secteur, afin de les soutenir en stratégie et développement, et surtout, dans la mise en réseau", a-t-elle expliqué. Elle précise qu'il ne s'agit pas seulement d'une subvention financière mais plutôt d'une réelle orientation.

A ce titre, souligne Séraphine Angoula, l'ambassade de France compte lancer très prochainement une cartographie régionale sur les métiers audiovisuels et cinématographiques.

Une soixantaine de candidatures au Fonds Maïssa, dont 70% provenant du Sénégal, ont été enregistrées, informe Mme Angoula. La part des cinéastes sénégalais s'explique par le fait que "le Sénégal est la locomotive du secteur de l'industrie cinématographique et audiovisuelle dans la région".

Il s'agit, avec ce Fonds, de "créer une impulsion et valoriser ce qui se fait de mieux dans les projets portés par les femmes tout en renforçant leur insertion professionnelle".

Le Fonds Maïssa peut aussi être considéré comme "un incubateur qui identifie les talents (...)". " Il était donc important qu'il réponde à des enjeux de restructuration de projets", déclare Mme Angoula.

Le prochain appel à candidatures est prévu entre les mois d'octobre et de novembre 2024. Le délai de dépôt des candidatures a été rendu plus long que d'habitude, pour permettre d'avoir un nombre plus important de postulants, a assuré l'attachée audiovisuelle de l'ambassade de France au Sénégal.

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