L'ensemble de tous les témoignages révélés par Ramisa-ndrazana Rakotoariseheno, membre titulaire de l'Académie malgache, dans notre précédente Note, l'amène à relever deux points.
D'abord, la réalité de la thalassocratie des Malgaches ou leur domination politique dans le Canal de Mozambique « que les Occidentaux ont feint d'ignorer, ou du moins n'avaient pas voulu utiliser le concept, alors que c'est un fait historique ». Ensuite, l'utilisation des iles et satellites de Madagascar « en étant des bases et des points d'appui, ce qui était capitale pour la pérennité de cette ancienne puissance maritime, mais aussi pour le renouvellement du politique ainsi que pour la préservation de la culture malgache » (« De la thalassocratie Waq-Waq à la thalassocratie Antalaotra dans le Canal de Mozambique», commu-nication dans le cadre de la 75e commémoration du 29 Mars 1947, « Nation et Souveraineté », Colloque scientifique international, du 30 juin au 1er juillet 2022, Mémoires de l'Académie Malgache, Fascicule, LVIII, décembre 2023).
L'auteure de l'étude annonce que les plus anciennes installations des premiers migrants, portent sur les «principautés des embouchures » des grands fleuves de Mada-gascar. Celles-ci sont en relation constante avec le monde nousantarien et/ou austronésien, avant de s'établir définitivement, pour certains groupes, à l'intérieur des terres (Jean-Pierre Domenichini et Paul Ottino, 1995). Tandis que les écrits des arabes font état, ajoute-t-elle, de la présence de communautés de Malgaches sur les côtes occidentales, « qui pratiquaient un commerce maritime dès le Xe siècle ». Et même bien avant, d'après les recherches de A. Gevrey, procureur impérial à Pondichéry (« Essai sur les Comores », 1870, Pondichéry).
Les côtes Nord-Ouest de Madagascar font alors partie d'une vaste aire commerciale de l'océan Indien occidental où les anciens Yéménites (Himyarites) et Omanais commercent depuis une très haute antiquité. Cela expliquerait la venue des Austronésiens qui profitent de cette présence, précise l'académicienne. Ce qui contredit, poursuit-elle, les affirmations de certains auteurs qui relativisent les capacités des anciens Malgaches aussi bien en matière de navigation que de commerce maritime. Tous semblent même étonnés devant « l'audace des marins malgaches du Nord de Madagascar, aux XVIIIe et XIXe siècles, qui attaquent périodiquement aussi bien les iles Comores que la longue côte orientale de l'Afrique». Pourtant, beaucoup d'auteurs ont déjà fait part de ces expéditions. « Or, de telles prouesses ne datent pas de cette époque récente des navigateurs européens, mais remontent bien loin, tout au moins dans les temps du Moyen-Âge de l'océan Indien. »
Les travaux des arché-ologues du siècle dernier tout comme ceux du XXIe siècle mettent à jour des vestiges de vieilles cités et forteresses islamiques, datant du Xe au XIIe siècles, tels ceux de Gaudebout et Vernier (1941), Vérin (1960-1997), Chantal Radimilahy (2015), Bako Rasoarifetra (2000-2013)... La région du Sud-Ouest de l'océan Indien se trouve « dans le sillage de la route maritime des Épices, en écho à la route terrestre de la Soie ». Déjà dans le Périple de la Mer Erythrée, le commerce de la cannelle est mentionné, « l'or noir » de l'époque, venant de Madagascar, que l'on a même retrouvée à la table d'Hérodote, selon Bako et Jean-Pierre Domenichini. De même que la gomme copal ou de la myrrhe, (trandroroa/ mandrofo) est retrouvée dans des tombes en Mésopotamie et est également exportée vers la Chine (Chantal Radimilahy, «Produits d'échanges dans le Sud-Ouest de l'océan Indien», communication en hommage à Bakoly et Jean-Pierre Domenichini, le 8 novembre 2019, à l'Académie malgache. 2019).
Ramisandrazana Rakotoariseheno appuie qu'une longue tradition de contacts et d'échanges est donc bien établie depuis l'antiquité. Car la liste des produits exportés comporte des carapaces de tortues datées du VIIIe siècle, récupérées aux Comores, des marmites tripodes en chloritoschiste, fabriquées dans les ateliers du Nord-Est, localisée sur la côte Est de l'Afrique, des cristaux de roche, des os subfossiles, des cauris venant des Maldives retrouvés à Toliara, des lamelles d'or et perles en or cylindrique... En témoignent également, écrit-elle, les artefacts exhumés tels que les poteries chinoises et, particulièrement, des céladons dans les tombes du Nord de l'ile et jusqu'en Imerina. «Madagascar était déjà inséré dans une économie mondiale. Les produits d'importation étaient des perles, venant de l'Irak de la période sassanide, d'Arabie, et des poteries venant de la Chine, des traces de céréales insérées dans des phytolithes, identifiées par le charbon de bois », conclut Chantal Radimilahy en 2019.