Ile Maurice: Affidavit de Shibchurn - La police a-t-elle négligé les «révélations» ?

Une des pièces du puzzle de l'affidavit de Vishal Shibchurn se situe en novembre 2021. Le pompier suspendu parle d'informations sur la mort de Soopramanien Kistnen qu'il voulait partager avec la police dès cette date alors qu'il était emprisonné à La Bastille.

Il fait mention de lettres adressées au commissaire de police Anil Kumar Dip et au patron du Central Criminal Investigation Department (CCID) Heman Jangi, lettres contenant des informations sur la mort de Kistnen. Des copies de ces missives seraient toujours à la prison de La Bastille, selon les dires de Shibchurn dans son affidavit, qui fait couler beaucoup d'encre depuis quelques jours.

Dans le sillage de ces lettres, Vishal Shibchurn a, toujours selon son affidavit, reçu la visite des policiers Brasse et Summum (chef inspecteur) à La Bastille. Cependant, Shibchurn aurait refusé de donner toute déposition en l'absence de son avocat. Il ajoute qu'il a reçu le même jour la visite Roshan Kokil et de Ravin Ajodha. Or, ces deux hauts gradés seraient venus sans aucun statement pad selon Shibchurn et ils l'auraient informé qu'ils étaient là seulement pour «l'écouter parler». Il affirme tout de même avoir partagé des informations confidentielles avec ces policiers sur Kistnen mais que ces derniers l'auraient alors menacé. Roshan Kokil lui aurait même lancé : «Mazine to ena enn fami, nou ena tou le mwayin pu vir sa case Kistnen-la lor twa.»

Nous avons pu contacter l'exassistant surintendant de police (ASP) Kokil, qui affirme que tel n'a pas été le cas. «Shibchurn nous a juste parlé du Bhagavad Gita et de Mahabharata (NdlR, textes sacrés hindous), sans plus.» N'a-t-il pas communiqué des informations sur la mort de Kistnen ? «Non. Il nous a dit qu'il ne communiquera les informations que lorsqu'il sera libéré de prison. À cela, je lui ai fait comprendre que ce n'est pas à nous de décider de le remettre en liberté et qu'il doit pour cela faire des démarches auprès de son avocat pour obtenir la liberté conditionnelle.»

L'inspecteur Ravin Ajodha a aussi bienveillamment répondu à nos sollicitations. Il reconnaît lui-aussi avoir rencontré - en compagnie de l'ex-ASP Kokil - Shibchurn en prison et de lui avoir parlé. Toutefois, sa version est légèrement différente de celle de Kokil. L'inspecteur Ajodha nous informe que Shibchurn lui a communiqué le nom de deux suspects dans le meurtre de Kistnen mais il n'a pas voulu nous en dire plus. Il ajoute n'avoir toutefois pas donné suite à ces «révélations» car comment, dit-il, «pourrions-nous interroger et arrêter ces deux suspects sans d'autres informations ?» Tout en soulignant que Shibchurn a précisé qu'il en dira davantage plus tard. «Dans ces circonstances, pensez-vous que j'aurais dû aller le voir chaque jour jusqu'à ce qu'il décide de parler ? Qu'il nous fasse savoir quand il voudra parler !» L'inspecteur Ajodha précise que lorsque le chef inspecteur Summun et l'inspecteur Brasse avaient interrogé Shibchurn, celui-ci n'avait pas dit qu'il ne parlerait qu'en présence de son avocat. «Il avait dit d'autres choses dont, malheureusement, je ne me souviens plus. Je dois consulter le 'book entry'.»

Est-il vrai que les deux hauts-gradés n'avaient pas leur 'statement pad' avec eux ? La réponse d'Ajodha : «Ce serait comme-ci un photographe était allé à une fonction sportive sans son appareil photo.» Il nie en outre avoir menacé Shibchurn. En ce qu'il s'agit du témoin de la rencontre entre Shibchurn et des policiers - un garde chiourme du nom de Rahim - on ne sait pas si la police l'a interrogé. Quant à Heman Jangi, il a promis de revenir vers nous prochainement. La question qui demeure sans réponse : la police aurait-elle bel et bien reçu des informations sur le meurtre de Kistnen ? Il est bon de savoir que Roshan Kokil nous a aussi informés vendredi qu'il n'a pas encore été contacté par la police pour donner sa version des faits.

Pour rappel, dans son affidavit, Vishal Shibchurn accuse plusieurs policiers d'être impliqués dans l'affaire Kistnen et affirme que la mort de son ami et acolyte Manan Fakoo était tout bonnement une manoeuvre politique pour l'empêcher de faire des révélations sur le meurtre de l'ex-agent du MSM. Il cite et incrimine en outre des personnalités politiques et autres proches du pouvoir, dont la femme d'un politicien et le frère d'un ministre (NdlR, dont nous ne citerons pas les noms car nous n'avons pu les joindre pour avoir leur version des faits) ou encore Yogida Sawmynaden et Basoo Seetaram. Les deux derniers nommés ont porté plainte pour faux affidavit.

Enter Gobin et Ganoo

Pour Maneesh Gobin - qui était interrogé vendredi par le journaliste du site «Informus» -, puisque Vishal Shibchurn avait dit le 10 juin 2022 à la police qu'il ignorait tout des circonstances de la mort de Soopramanien Kistnen, ce que Shibchurn vient dire deux ans après à travers l'affidavit n'est plus crédible. Or, comme le lui a rappelé le journaliste, il est possible que Shibchurn ne voulait plus parler par peur de représailles. À cela, Maneesh Gobin n'a rien répondu de concret. Le journaliste voulait aussi savoir pourquoi malgré toutes les accusations graves portées contre Shibchurn, celui-ci bénéficiait presque toujours de la liberté conditionnelle.

«N'était-ce pas parce que la police n'avait pas objecté à sa remise en liberté conditionnelle ?» Maneesh Gobin ne veut pas répondre, disant qu'il n'a pas ces données. L'«Attorney General» n'a pas voulu non plus promettre qu'il reviendra vers la presse s'il obtient ces données. Alan Ganoo, qui a une longue carrière d'avocat, interviendra pour dire que «même si la police n'objecte pas à une demande de remise en liberté, c'est le magistrat qui décide». C'est vrai dans un sens.

Si la police objecte, le magistrat peut accorder la liberté conditionnelle après débats. En revanche, si la police n'objecte pas, et la défense demande la remise en liberté, il est presque sûr que le magistrat accordera la liberté provisoire. Explication d'un avocat : «Dans notre système de justice contradictoire dit 'adverserial' en anglais et qui a cours dans les juridictions anglo-saxonnes, le magistrat ou le juge tranche après avoir évalué les arguments des deux parties. Par contre, dans le système français notamment, c'est-à-dire le système accusatoire ou 'inquisitorial', le juge peut refuser par exemple une remise en liberté provisoire même si la poursuite (la police ou le procureur) n'objecte pas. Donc, il est faux de mettre la responsabilité d'une remise en liberté sur le dos d'un magistrat quand la police n'a pas objecté. Comme semble le faire croire Alan Ganoo.»

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