Au terme d'une dernière audience fleuve, l'ancien président de la Guinée Moussa Dadis Camara et sept hauts responsables ont été reconnus coupables du massacre de manifestants au grand stade de Conakry en 2009, qualifié de crime contre l'humanité. Quatre autres accusés ont été acquittés. Le rideau est tombé sur ce procès hors norme avec, pour les parties, un sentiment d'inachevé.
« Le tribunal condamne à 20 ans d'emprisonnement le capitaine Moussa Dadis Camara. » Sa peine vient d'être prononcée, et l'ancien président de la Guinée affiche un sourire figé. C'est dans un silence presque irréel que le président de la cour criminelle de Dixinn, Ibrahima Sory 2 Tounkara, lit le verdict, après vingt-deux mois de procès, en ce mercredi 31 juillet 2024.
Aucune réaction de la part du public. Les attentes sont immenses néanmoins, presque 15 ans après le massacre du stade de Conakry, où plus de 150 personnes ont péri, des centaines d'autres ont été blessées et où plus d'une centaine de femmes ont été violées. Ce déchaînement de violence, lors de la répression par les forces de sécurité d'un meeting de l'opposition, le 28 septembre 2009, a traumatisé la Guinée.
Il faut dire qu'en ce jour historique, il y a beaucoup d'absents. La plupart des victimes, craignant toujours des représailles, ont préféré regarder l'audience à la télévision. Les fauteuils des avocats sont également restés vides. Les conseils des parties civiles, mais aussi ceux de la défense ont décidé de suivre l'appel au boycott des audiences lancé par le barreau de Guinée. Ce dernier dénonce les disparitions forcées qui frappent actuellement, dans le pays, les activistes de la société civile.
Perpétuité pour Pivi l'évadé
Dans sa décision, le tribunal a retenu la requalification des faits en tant que crimes contre l'humanité. C'est sur la base de sa responsabilité de supérieur hiérarchique que Dadis Camara a été condamné, à une peine finalement plus clémente que celle demandée par le parquet - qui réclamait la perpétuité contre l'ex-chef d'État. Le patron de l'antidrogue, Moussa Tiegboro Camara, qui a participé à la répression au stade avec ses hommes, écope lui aussi de 20 ans.
Une seule condamnation à perpétuité a été prononcée, contre Claude Pivi. Ministre de la sécurité présidentielle à l'époque des faits, il est en cavale depuis son évasion du mois de novembre. Marcel Guilavogui, l'ancien protégé du président qui avait été vu au stade rouant de coups les leaders politiques, est condamné à 18 ans. 15 ans pour Blaise Goumou, un gendarme sous les ordres de Tiegboro. Mamadou Aliou Keita écope de 11 ans d'emprisonnement. Paul Mansa Guilavogui de 10 ans.
Le tribunal a considéré a contrario qu'Aboubacar Diakité, dit « Toumba », aide de camp de Dadis Camara et chef de la garde présidentielle, s'était « distingué par sa bonne foi » durant le procès et a ainsi prononcé une peine de dix ans à son encontre. En détention depuis 2017, il pourrait donc sortir de prison d'ici trois ans. Quatre accusés ont été acquittés, parmi eux l'ancien ministre de la Santé, Abdoulaye Cherif Diaby.
Les organisations de défense des droits humains ont salué « un verdict historique ». Selon un communiqué du procureur de la Cour pénale internationale (CPI), « les juges guinéens ont envoyé un signal clair selon lequel personne n'est au-dessus des lois et ceux qui commettent des crimes visés par le Statut de Rome feront face à la justice ».
Joie et déception
A la sortie du tribunal, pas d'effusions de joie parmi les quelques victimes présentes. C'est tout en retenue qu'elles expriment leur satisfaction. « Je suis contente d'être venue, quand tu accuses quelqu'un devant la justice, il faut être là jusqu'à la fin », explique, soulagée, une jeune femme qui a été violée au stade et qui a requis l'anonymat. « On est très content de la décision du président du tribunal. Il a dit le droit, » a-t-elle ajouté. Elle se réjouit de la requalification des faits en crimes contre l'humanité, qui a une portée symbolique pour elle.
Huit accusés ont été condamnés sur cette base, dont les principaux protagonistes de l'affaire : l'ancien président, Pivi, Tiegboro, Guilavogui et Toumba. C'est un verdict pour l'exemple, dit-elle. « Ils n'ont rien fait pour arrêter le massacre. Tous les responsables devront prendre leurs responsabilités maintenant. » Elle est tout de même un peu déçue que Dadis échappe à la perpétuité, mais assure se ranger « derrière la justice ». Les juges, le jour du verdict, n'ont pas développé leur argumentaire sur la peine.
Appel des avocats de Dadis
Ce verdict ne marque pas pour autant la fin du combat pour les victimes. Il y aura probablement un autre procès. Les avocats de Dadis ont déjà annoncé qu'ils feraient appel.
Il semble que pour les parties, malgré sa durée, ce procès laisse un sentiment d'inachevé. Alors que la question de la sécurité a été au coeur des débats ces derniers mois et qu'une loi a été adoptée il y a deux ans pour protéger les victimes, ces dernières affirment qu'aucune mesure n'a été mise en oeuvre par les autorités et qu'elles restent en danger après le prononcé du jugement.
La lutte continue aussi pour l'obtention de réparations, le verdict stipulant que c'est aux condamnés de verser aux plaignants ces dédommagements. Les montants sont astronomiques, d'autant plus pour des personnes en détention, depuis parfois de longues années. Le tribunal a décidé ainsi d'accorder à chaque victime de viol 160 000 euros, 100 000 euros par mort ou disparu, 20 000 euros pour chaque cas de torture, pour chaque victime de coups et blessures. Il y a très peu de chance pour que ces sommes soient payées, et le tribunal n'a accordé que des indemnités financières tandis que les victimes souffrent d'un déficit d'accompagnement psycho-social et médical.
La réponse du tribunal sur cette question est très critiquée par les parties civiles. « L'État a dit qu'il peut faire ce procès en Guinée, ici. Alors c'est à l'État d'indemniser, c'est à lui de prendre ses responsabilités », exige la même survivante du massacre.
Disparitions non élucidées
Le verdict a été accueilli très froidement par la défense. « C'est un jour sombre pour la justice guinéenne », a ainsi commenté maître Pépé Antoine Lamah, ténor du barreau de Guinée et membre du collectif des avocats de la défense de Dadis Camara. Il dénonce une décision « inique », « débarrassée de toute substance juridique et rendue en violation des droits de la défense ». Il n'aurait pas dû y avoir requalification des faits pour crime contre l'humanité, selon lui. Cette question qui a fait l'objet de longs débats lorsqu'elle a été soulevée en mars, est intervenue peu avant la fin du procès et le tribunal aura donc attendu le verdict pour statuer.
Du point de vue des parties civiles, le procès n'aura pas tenu toutes ses promesses non plus. Le dossier comporte encore des zones d'ombre : des victimes n'ont jamais été retrouvées, les fosses communes où les militaires sont soupçonnés d'avoir fait disparaitre certains cadavres n'ont jamais été localisées. Dadis Camara aurait pu permettre de faire émerger la vérité, mais « il s'est muré dans le silence », regrette Alpha Amadou DS Bah, coordinateur du collectif des avocats des victimes.
107 victimes à la barre
Cette première expérience de procès pour crimes de masse en Guinée reste globalement positive et constitue une réussite pour la justice de ce pays, parvenue à juger un ancien président - un fait qui à lui seul reste une exception dans l'histoire des procès pour crimes internationaux. Autre motif de satisfaction : la justice a pu dépasser les difficultés organisationnelles d'un tel procès. Jusqu'au bout, le président du tribunal a veillé à l'ordre de l'audience. Il a par ailleurs accordé une large place à la parole des victimes qui se sont exprimées à la barre pendant plusieurs mois. Une cinquantaine seulement devait comparaître au départ, mais elles ont été de plus en plus nombreuses au fil des audiences. Au total, 107 victimes ont pu témoigner.
Dans un pays à l'histoire marquée par la répétition des tragédies et par les dictatures militaires se pose désormais la question de l'héritage de ce procès. « A son ouverture, on se disait que le 28 septembre 2022 pourrait être déclaré année zéro de la fin de l'impunité dans notre pays. Malheureusement, les exactions continuent. Des opposants disparaissent. C'est assez frustrant de voir que de telles pratiques continuent », déplore Me Bah. Une chose est sûre, d'après l'avocat : « Puisque le 28-Septembre a été judiciarisé, il est fort possible que d'autres cas le soient aussi. La machine est lancée, inexorablement d'autres procès seront organisés. »