Ile Maurice: Marée de désolation pour des habitants

Le fioul du MV Wakashio semble toujours incrusté sur les côtes mauriciennes, provoquant la colère des pêcheurs de Rivière-des-Créoles. Quatre ans après l'échouage du vraquier, ils constatent encore la présence de relents de fioul. À Mahébourg, le sentiment est similaire, d'autant plus que l'environnement a profondément changé. Reportage...

Les pêcheurs de Rivière-des-Créoles affirment que le fioul du «MV Wakashio» les empêche toujours de reprendre leurs activités d'autrefois.

Le ciel bleu confère à la mer de Mahébourg une teinte turquoise éclatante. À ce moment de la journée, les pêcheurs rentrent de leurs sorties matinales. Aujourd'hui, les seaux sont plus ou moins vides. Anand Beejaran, déjà arrivé depuis une bonne trentaine de minutes, s'affaire à nettoyer son bateau à quai. Il doit un maximum de résidus de sel et éliminer le sang de poisson qui pourrait endommager le flotteur, explique-t-il. Chaque matin, il prend la mer, espérant attraper quelques poissons qu'il ira vendre aux «banyans». Cependant, il note que la pêche n'est plus ce qu'elle était ces quatre dernières années. «De nombreuses espèces de poisson ont disparu. On constate des pertes importantes, notamment au niveau de la faune marine.»

Anand Beejaran explique que plusieurs pêcheurs ont préféré abandonner le métier en raison de la diminution des ressources.

La situation ne s'est guère améliorée ces dernières années. Chaque région touchée par la marée noire causée par le MV Wakashio vit un traumatisme profond. «Les pêcheurs le long de la côte de Mahébourg et des régions avoisinantes reconnaissent l'ampleur des dégâts. Mais tous s'accordent à dire que ces dégradations sont visibles partout. Nous en subissons tous les conséquences», confie le pêcheur. En plus de la diminution des poissons, il observe que même les appâts habituellement pêchés dans les fonds marins ont complètement disparu. «Autrefois, nous les placions dans les casiers, mais aujourd'hui, nous devons trouver d'autres solutions.» Comme nombre de ses collègues, il attend toujours l'indemnisation promise par les autorités. «On nous a versé une somme pour les quelques mois où nous n'avons pas pu travailler en 2020, mais c'est tout.»

Se tourner vers une autre occupation

Il déplore que, suite à cette tragédie, de nombreux pêcheurs aient choisi de cesser leur activité. «Ils partaient en mer et revenaient les mains vides. Ils consommaient du carburant inutilement. Ils ont donc préféré se tourner vers une autre occupation.» Il n'est pas le seul à constater que la mer du Sud-Est demeure affectée. Ramparsad Panchoo ressent une certaine amertume en évoquant ce que la région est devenue. Le récif est gravement endommagé. «Je pense qu'il faudra des milliers d'années avant qu'il ne retrouve son état d'origine. C'est triste de voir cela.» La zone ressemble désormais à un endroit où un ouvrier aurait étalé du macadam sur toute sa longueur, décrit-il. «Le bateau a heurté le récif à plusieurs reprises, et les vagues ont été projetées sur celui-ci à maintes reprises. Aujourd'hui, ce récif est étalé sur une grande distance et forme même des monticules de corail dans certaines régions.»

Ramparsad Panchoo est attristé par l'état du lagon dans la région de Mahébourg, quatre ans après la catastrophe.

Cela perturbe le travail de ceux qui avaient l'habitude de poser des casiers, notamment pour capturer des homards ou des vieilles pêchées sur les récifs.«Maintenant que cette zone a disparu, comment voulez-vous que nous puissions continuer à travailler ? Les homards sont partis et il y a moins de poissons.» Cependant, il reconnaît que la communauté des pêcheurs se considère comme chanceuse que le navire ne se soit pas échoué près du parc marin. «Il y a un endroit que nous appelons la Pointe Roche Zozo, et si le bateau s'y était échoué, le parc marin n'existerait plus aujourd'hui.» Ramparsad Panchoo, pêcheur depuis plus de 40 ans, était convaincu que le navire allait se briser, d'autant plus que la mer était agitée en août 2020. «Avec les vagues que nous avions à ce moment-là, nous redoutions le pire et c'est ce qui est arrivé. Il est triste de voir aujourd'hui l'état de nos coraux. Beaucoup sont morts.»

À Mahébourg, bien que la routine quotidienne ait repris, on constate que les poissons ne sont plus aussi présents qu'auparavant.

Nous nous dirigeons vers Rivière-des-Créoles, l'un des endroits les plus gravement affectés par la marée noire. À la limite de la plage, là où les vagues viennent s'échouer, se dresse un petit rempart sombre, rappelant un amas de végétation souillée. Cette région semble abandonnée à son triste sort, selon les quelques pêcheurs rencontrés sous le kiosque et à l'ombre des arbres. «Avant, nous emmenions nos enfants sur cette plage. Elle n'était peut-être pas idéale pour la baignade, mais au moins, ils pouvaient y jouer. Aujourd'hui, avec les algues noircies et cette odeur de fioul persistante, plus personne ne s'y aventure», confie Satish Ramkisto. Il raconte que, avant l'épisode du MV Wakashio, les habitants venaient souvent aider à nettoyer l'excès d'algues sur la plage. «Il n'y en avait pas autant qu'aujourd'hui. Et durant la saison cyclonique, il devient encore plus difficile de ramener les bateaux sur le rivage à cause de ces algues envahissantes. Depuis la marée noire, les autorités ne font plus rien pour nous. Nous avons le sentiment d'avoir été complètement oubliés.»

Rajesh Tolseea, skipper, nous conduit près de la mangrove, désormais noircie par le fioul, sans parler des algues qui l'envahissent. Il en ramasse quelques-unes et nous les fait sentir. «Sentez cette odeur de fioul. Et quand la marée monte, cette huile pénètre encore plus profondément dans la terre. Beaucoup de poissons sont morts et d'autres ne reviennent plus.» Rajesh explique qu'autrefois, il lui suffisait de se placer au bord de l'eau avec sa canne à pêche pour attraper facilement des petits rougets, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. «Même les mangouaks se font très rares. » Il déplore que les autorités n'aient pas fait de suivi depuis la tragédie qui a frappé la région. «Je suis ici presque tous les jours et je ne vois personne venir évaluer la situation, alors que notre région a été la plus touchée par cette pollution.»

Rajesh Tolseea montre les dégâts causés par le vraquier, avec des algues noircies qui dégagent encore des relents de fioul

En ce qui concerne la restauration, qui, il y a quatre ans, faisait face à la double épreuve de la pandémie de Covid-19 et des retombées du MV Wakashio dans la région, les activités semblent reprendre progressivement. Si certains restaurateurs affirment que des jours meilleurs se profilent, ce n'est pas le cas pour tous. À Bois-des-Amourettes, les retombées économiques restent préoccupantes. Ceux qui, autrefois, pouvaient s'estimer heureux de pêcher et de vendre leurs produits quotidiennement constatent que la situation a bien changé. Depuis la marée noire, les clients hésitent à consommer les produits de cette zone, ce qui entraîne une baisse considérable des revenus. Il faudra encore plusieurs années avant que certaines de ces régions puissent retrouver leur prospérité d'antan.

Les indemnisations sur l'impact environnemental connues le 8 octobre

Lors de sa réponse parlementaire du 30 juillet, le ministre de la Pêche, Sudheer Maudhoo, a indiqué que les pêcheurs inscrits, les poissonniers et les demandeurs de permis de pêche de Trou-d'Eau-Douce à Pointe-d'Esny ont chacun perçu une somme mensuelle de Rs 10 200, d'août 2020 à mars 2021, pour un total de Rs 83 228 710 distribué sous forme de subventions de solidarité. Il a précisé que son ministère avait soumis une demande d'indemnisation de Rs 134 616 par pêcheur et de Rs 140 164 par poissonnier à l'assureur du navire, le Japan P&I Club. Après de longues négociations, des séances de travail et une évaluation des réclamations, le Japan P&I Club a accepté de verser une indemnisation totale de USD 2 650 048, soit environ Rs 113 000 par personne, à 999 pêcheurs inscrits, demandeurs de permis de pêche et poissonniers. En revanche, pour les dommages environnementaux affectant les pêcheurs et d'autres acteurs économiques qui n'ont pas encore été compensés, il faudra attendre la décision de la Cour suprême le 8 octobre pour connaître l'issue de l'affaire en cours concernant la création d'un fonds de limitation.

Retour sur une tragédie qu'on aurait pu éviter

Le 25 juillet 2020, le MV Wakashio, à la dérive, s'échoue sur le récif de Pointe-d'Esny. À son bord se trouvent 200 tonnes de gazole et 3 800 tonnes de fioul. Bien que les autorités aient tenté de rassurer la population depuis le début de l'incident, elles annoncent le 6 août 2020 que la coque du navire est percée, provoquant une fuite d'huile. Les cuves commencent alors à se vider dans le lagon. Dans la soirée du 9 août, un tiers des 3 000 tonnes de carburant se sont déjà déversées vers les côtes, menaçant de provoquer une catastrophe environnementale. Le navire risque alors de se briser.

Le 16 août, le bateau se brise en deux, libérant environ 100 tonnes de pétrole encore contenues dans la cale. Le plan est de remorquer les deux tiers avant de l'épave pour les couler au large. Cependant, la partie arrière, qui reste sur place, contient les moteurs du vraquier ainsi qu'environ 30 mètres cubes de pétrole, impossible à pomper en raison des conditions météorologiques défavorables. Le 24 août, les deux tiers de l'épave, incluant la proue, sont remorqués au large et coulés à une profondeur de 3 600 mètres, conformément aux prévisions.

Le 31 août, le remorqueur sir Gaëtan Duval sombre à son tour dans une mer agitée, après avoir été heurté à l'arrière par la barge qu'il remorquait, chargée des résidus de fioul provenant de la partie arrière du vraquier. Ce naufrage tragique cause la mort de trois personnes, tandis qu'une autre est portée disparue. À la suite de cette tragédie, une enquête est ouverte pour déterminer les responsabilités. Le rapport conclut à une probable erreur humaine de la part de l'équipage. Cependant, lorsqu'il est interrogé à l'Assemblée nationale au sujet de ce rapport de la cour d'investigation, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, déclare qu'il ne sera pas rendu public.

Questions à... Vikash Tatayah et Sébastien Sauvage

Panser les cicatrices encore à vif, repenser la suite

Vikash Tatayah, directeur de la conservation à la Mauritian Wildlife Foundation, et Sébastien Sauvage, directeur d'Eco-Sud, font le point.

Quatre ans après, peut-on avoir une idée de l'ampleur des dégâts ?

Vikash Tatayah (V. T.) : Le constat ne se limite pas à l'île-aux-Aigrettes car nous intervenons également à l'île de la Passe, l'îlot Vacoas, l'îlot Phare et l'îlot Marianne. Sur ces sites, nous effectuons un suivi de la végétation et des oiseaux marins, ainsi que des recherches sur les insectes. Ce travail se fait en collaboration avec le National Parks and Conservation Service, le Forestry Service et le National Heritage Fund. En ce qui concerne l'île-aux-Aigrettes, nous surveillons les populations d'oiseaux, de reptiles, de plantes et d'insectes. Nos équipes suivent de près la situation des espèces, telles que le Pigeon des mares, l'Oiseau à lunettes et le Cardinal de Maurice, ainsi que celle des reptiles.

Nous avons dû nettoyer certaines plantes à cause du Wakashio. D'autres ont été partiellement affectées ou laissées intactes, et nous observons maintenant les conséquences de cette marée noire. Ce suivi ne peut pas se faire à court terme, car l'impact écologique d'une marée noire nécessite un suivi sur plusieurs années. Certains reptiles des autres îles ont été envoyés au Jersey Zoo en Angleterre pendant la période de la marée noire et ils se sont bien adaptés à la captivité. Parallèlement, nous avons observé des changements génétiques. Même si la population de ces reptiles est revenue à la normale, nous constatons un appauvrissement génétique. Cela rend le travail de réintroduction nécessaire. Nous avons entamé des discussions avec nos partenaires du Jersey Zoo et le ministère de l'Agro-industrie pour étudier les possibilités de réintroduire ces reptiles à Maurice, car ils ont perdu certains traits génétiques sur ces îles.

Sébastien Sauvage (S. S.) : La marée noire a laissé des cicatrices profondes sur la côte sud-est. Les conséquences écologiques et socio-économiques ont marqué les habitants de la région. Au niveau environnemental, les autorités travaillent toujours sur l'Integrated Environmental Monitoring Plan et on attend la publication du rapport. Les effets sur la santé de nos compatriotes restent une préoccupation sanitaire majeure en raison des résidus de pétrole toujours présents dans certaines zones de mangrove comme à Vieux-Grand-Port. Les habitants ont soulevé à plusieurs reprises leurs inquiétudes concernant les produits collectés tels que les mangouak, les huîtres et les crabes...

Au cours de ces dernières années, comment votre organisation a-t-elle géré cette catastrophe ?

V. T. : Nous avons entrepris un grand nettoyage et nous tenons à remercier le ministère de l'Environnement qui a largement contribué à ces efforts, à l'exception de l'île-aux-Aigrettes. Quoi qu'il en soit, on peut constater que la nature reprend peu à peu ses droits. Nous poursuivons également un suivi attentif de la situation.

S. S. : Eco-Sud, durant les dernières années, a souhaité oeuvrer pour soutenir la résilience des communautés en situation de vulnérabilité de la région. Via des actions de restauration inclusive des écosystèmes marins et côtiers, ou encore via la mise en place d'un centre agroécologique avec les communautés, afin de plaider pour un changement de notre système alimentaire. Aujourd'hui, nous menons aussi un plaidoyer actif pour que les Droits de la nature soient implémentés dans notre Constitution.

Avec le recul, cette marée noire aurait-elle pu être évitée, selon vous ?

V. T.: J'aurais aimé pouvoir consulter le rapport d'enquête sur le Wakashio. Je pense qu'il devrait être rendu public, non pas pour chercher des coupables, mais pour comprendre ce qui aurait pu être mieux géré. À mon avis, on aurait pu éviter le pire. Il ne faut pas oublier que le pays était en confinement, ce qui a limité les actions que nous aurions pu entreprendre. Il ne faut pas perdre de vue que c'était la première marée noire à laquelle le pays devait faire face. Nous manquions d'expérience et peut-être qu'à l'avenir, nous serions mieux préparés. Il existe désormais un plan national d'intervention et de nombreuses formations ont été organisées.

S. S. : Bien sûr ! Mais sommes-nous en mesure d'éviter une autre marée noire ? Franchement, nous avons du chemin à faire. Eco-Sud a demandé une National Maritime Transport Commission. Aussi, nous avons un réel besoin de plus de transparence dans la gestion des affaires de notre pays et une réelle inclusion de la société civile dans les processus de consultation. C'est lamentable que, en 2024, les processus de consultations de la société civile soient juste un tick of the box pour les autorités et les institutions...

Est-ce que l'on peut toujours voir les séquelles de cette marée noire ?

V. T.: Il est presque impossible de déceler une trace visible pour l'île-aux-Aigrettes grâce à la campagne de nettoyage qui a été menée. Les traces d'huile sont difficilement détectables. Toutefois, les particules qui se sont infiltrées en profondeur dans l'environnement mettront du temps à se dissiper. Nous menons actuellement une enquête, mais il faudra attendre quelques années encore avant d'évaluer pleinement l'impact réel sur notre écosystème.

S. S.: Les séquelles sont encore perceptibles et bien réelles, et de plus, aujourd'hui, les citoyens mauriciens subissent un deuxième préjudice. Les parties responsables - le propriétaire du navire Okiyo Maritime Corp, l'affréteur Nagashiki Shipping Co Ltd, Mitsui O.S.K. Lines Ltd et l'assureur, la Japan Shipowners Mutual Protection and Indemnity Association - semblent toujours se cacher pour ne pas affronter les demandes d'indemnisation des milliers de victimes, qui sont une deuxième fois victimes de cet écocide. Il est aussi légitime de se demander ce que fait l'État mauricien aujourd'hui pour adresser cette injustice.

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