Saadatou Juliette Kaboré est une femme d'affaires basée à Abidjan en Côte d'Ivoire. Elle dirige une jeune entreprise, " Point Focal Business & Co", opérant dans un secteur où les femmes qui y sont ne courent pas les rues : l'immobilier.
En plus de ce secteur, elle fait également de l'intermédiation d'affaires, l'organisation des voyages d'affaires, dans l'import-export et la représentation des entreprises. Sidwaya est allé à la rencontre de cette amazone qui aura roulé sa bosse dans divers secteurs d'activités avant de voler de ses propres ailes. Parcours inspirant d'une battante qui a décidé de se faire une place au soleil, avec pour crédo : « faire les affaires sans entamer sa dignité de femme ».
Toute petite, elle caressait le rêve ardent d'être une femme d'affaires. Pour concrétiser ce projet d'enfance, elle s'est donné les moyens d'y arriver. Elle fait le tour de la quasi-totalité des secteurs d'activités : la santé, la communication, l'administration publique, le sport, la publicité digitale, la téléphonie mobile, le transport logistique, la mode, l'informel à travers la vente de poulet braisé dans les rues d'Abidjan. Ce sont autant de domaines qui ne lui sont pas étrangers.
« J'ai l'habitude de dire qu'à l'exception du métier de chauffeur de woro woro, j'ai presque touché à tout à Abidjan », rigole Saadatou Juliette Kaboré. En cet après-midi de fin mai 2024, dans son modeste bureau sis au quartier Djorogobité 1 à Abidjan, les plans de lotissement de plusieurs localités (Bouaké, Yamoussoukro, Bingerville, Yapo Kpa-Agboville, Gonfla- Sinfra, Motobé etc.) affichés sur les murs laissent imaginer le domaine d'intervention de son entreprise : l'immobilier.
"Point Focal Business & Co", la jeune Société à responsabilité limité (SARL) que dirige Mme Kaboré est spécialisée dans les aménagements fonciers, les travaux connexes (décapage, pose de poteaux électriques, etc.), la construction de maisons, la location, la gestion et la vente de biens immobiliers, de terrains nus, bâtis, l'appui-conseil, l'assistance de bout en bout. Aujourd'hui, dame Saadatou lentement, mais surement, imprime sa marque dans le secteur immobilier ivoirien où la gent féminine y est peu représentée.
Elle force l'admiration, gagne la confiance de la clientèle. Ce respect, la jeune burkinabè le doit au sens de l'éthique qu'elle met dans ses affaires.
« Vous pouvez vous enrichir très rapidement dans ce secteur, mais où il n'est pas bon d'être cupide, de s'adonner aux malversations. La terre est sacrée et tout se paie ici-bas. Il faut faire attention et tenir compte des personnes qui vous font confiance ! Aujourd'hui, je peux aller partout, car je n'ai pas fait du faux », martèle-t-elle. Pour parvenir au statut de femme d'affaires qui suscite admiration et considération, le chemin parcouru par l'originaire de Koudougou a été jalonné d'embuches.
Une vie de galère
Les échecs scolaires, l'arrêt de ces études faute de moyens, le chômage, ont contribué à forger la carapace d'une dame battante qui a refusé la voie du raccourci. « J'ai connu la maladie, la faim, le manque d'argent, le harcèlement sexuel, l'humiliation, les échecs ... », confie-t-elle. Après ses études primaires et secondaires à Abidjan soldées par deux échecs au Baccalauréat, c'est au lycée Marien N'Gouabi de Ouagadougou qu'elle obtiendra son premier diplôme universitaire en 2000.
Le Bac série D en main, celle qui a vu le jour à Abengourou, en Côte d'Ivoire, retourne à Abidjan, à l'université d'Atlantique pour entamer des études anglophones, contrairement aux choix de ses géniteurs qui la voulaient médecin ou avocate. Malheureusement, elle n'ira pas au bout de son cursus universitaire. Après la première année, la jeune étudiante va retourner au Burkina pour le DEUG II en anglais à l'université de Ouagadougou. Son année ne sera pas couronnée de succès. De retour à Abidjan et face à la crise de 2002, elle se voit obligée de sursoir à ses études pour faute de moyens financiers. Commence alors une vie de galère qui la conduit dans de petits boulots.
« J'ai vendu de l'attiéké, du poisson fumé, du poulet braisé dans les rues d'Abidjan », se remémore, émue, celle qui tient à sa dignité et qui ne voudrait pas être rattrapée par son passé. Après deux ans à trimer dans l'informel pour gagner dignement sa vie, Saadatou Kaboré obtient un boulot dans une agence où elle est employée comme hôtesse bilingue au salon VIP de l'aéroport international d'Abidjan.
Face au choix entre la prise en charge de son transport ou le repas, elle opte pour le premier. « Comme je saluais tout le monde, les cuisiniers, dont certains étaient des Burkinabè et qui savaient que je m'appelais Kaboré, s'arrangeaient pour conserver le repas de la veille qu'ils chauffaient pour mettre à ma disposition », raconte-t-elle. De l'aéroport, Mme Kaboré est affectée au standard de la Banque africaine de développement (BAD) où elle y reste pendant deux ans.
Plusieurs boulots pour payer ses études
Parallèlement, elle décide de reprendre ses études supérieures à 27 ans, convaincue qu'avec un DEUG 1 en anglais, elle avait peu de perspectives. Elle cumule les formations et obtient 14 certificats et diplômes, dont le certificat Entrepreneurship Marketing and Managerial Business Administration, le Graduate Diploma in Management studies de Institute of Commecial Management- Bournemouth (Angleterre) qui avait une représentation à Accra.
Alors que son salaire de standardiste ne lui permettait pas de faire face aux frais de scolarité de cette école qui s'élèvent à 1.200.000 F CFA par semestre, elle était obligée de faire autre chose parallèlement. « J'ai travaillé chez le styliste Pathe'O et comme j'étais en bon termes avec les couturiers, je repartais les voir. Je dessinais alors des modèles de tenues qu'ils confectionnaient pour moi, que je revendais avec ma griffe K-Ban Création », confie-t-elle.
Après avoir bénéficié d'un appui financier de ses parents de l'ordre de 500 000 F CFA, ajouté à ses fonds propres, elle confectionne ses tenues qu'elle ira vendre au siège délocalisé de la BAD à Tunis pendant ses congés, avec 10 euros en poche : son premier voyage d'affaires dont elle reviendra avec plus de 3 millions F CFA, qui vont servir à financer ses études et ses diverses activités de vente de nourriture en bordure de voie. Mais pour des raisons « obscures », le contrat de son agence n'est pas renouvelé et par ricochet son contrat à la BAD.
Après plusieurs mois sans emploi, Saadatou Kaboré va retrouver le chemin du travail au sein d'une entreprise de téléphonie mobile, Cumium CI, en avril 2007. Son sérieux au travail aidant, elle va vite gravir les échelons : vendeuse de puces, conseiller clientèle à Abidjan puis à Daloa, chef d'agence à Korhogo, puis au siège à Abidjan.
A la fermeture de cette compagnie, Mme Kaboré, atterrit quelque mois après, à Orange CI en octobre 2016, où elle a travaillé pendant un an dans le cadre du déploiement de la fibre optique ; elle y a managé des équipes et géré des zones avant d'être débauchée comme responsable commerciale par une société française, Nexoo, spécialisée dans la publicité digitale. Au bout de trois mois, elle gagne très rapidement la confiance de la société qui la propulse directrice générale adjointe.
« J'ai assez enrichi les autres »
Une année après, elle est à nouveau débauchée. Cette fois-ci par le Comité d'organisation de la Coupe d'Afrique des Nations (COCAN), Côte d'Ivoire 2023. Le président du COCAN qui avait besoin d'une assistante rigoureuse, méthodique, va donc s'attaché les bons et loyaux services de dame Kaboré pendant dix-huit mois, avant que la maladie l'oblige à rompre son contrat avec le COCAN.
La santé recouvrée après un a d'alitement, du monde du sport, elle effectue un saut bref dans une entreprise française de Transport et Logistique, CENTAURES ROUTIER, comme commerciale, avant de faire sa dernière expérience d'employée dans l'administration publique. Elle dépose ses dernières valises de salariée au cabinet du ministre de la Réconciliation et de la Cohésion nationale comme assistante du ministre.
Après 10 mois à ce poste, à la surprise générale de ses proches et de son supérieur hiérarchique, elle décide de mettre fin à son contrat et de voler de ses propres ailes. « Après 20 ans à travailler pour les gens, il était temps que je m'installe à mon propre compte. J'ai assez enrichi les autres », rigole-t-elle. Elle crée alors formellement "Point Focal Business & Co" en octobre 2022, « sans soutien financier, sans parrainage », faisant fi des discours tentant de la dissuader dans son aventure entrepreneuriale.
« On m'a dit, je ne vais pas réussir car je ne connais personne ; que ceux qui ont réussi sont soutenus par de grosses têtes, de grosses fortunes de ce pays, ils ont l'appui financier des banques ; il fallait que je prouve que l'on peut partir de moins à plus l'infini. Seulement, il faut avoir confiance en soi, être déterminée, prier pour ne pas avoir à faire de vilaines choses », argue-t-elle.
Aujourd'hui, à peine deux ans après la création de sa propre entreprise, Saadatou Juliette Kaboré ne regrette pas son choix. Mieux, avec sa jeune PME, elle bâtit lentement et sûrement sa réputation dans le secteur immobilier ivoirien, avec des bureaux à Yamoussoukro, Bouaké et Korhogo. Pour elle, travailler dans l'immobilier requiert la confiance des gens. « 95% de nos clients sont des gens qui ne nous ont jamais vus. Quand X a été bien pris en charge et satisfait de votre travail, il vous recommande à Y, ainsi de suite ! Et votre réputation se construit de bouche à oreille », confie-t-elle, fièrement.
« Elle vient de loin »
Elle bénéficie également de l'estime de ses proches collaborateurs qu'elle séduit par son leadership, ses capacités managériales, son humanisme, son optimisme et le « courage fou » qui l'habite. « C'est une dame de fer. Lorsqu'elle a un objectif, elle n'abandonne pas tant qu'elle ne l'a pas atteint. Et elle place toujours la barre haute. Elle nous tape dessus quand il le faut. Mais, elle est une femme qui a un bon coeur.
Quand elle est satisfaite de notre travail, nous sentons que nous avons affaire à une maman », confie le collaborateur représentant de Point Focal Business & Co à Bouaké, Mamadi Waledine Kéita. Sur le terrain, les clients ne jurent que par elle, poursuit-il, ils l'apprécient beaucoup pour sa franchise mais aussi pour le fait qu'elle met la satisfaction de la clientèle au-dessus de tout.
Mme Kaboré est une femme très intelligente, dynamique, battante qui ne baisse pas le bras quelles que soient les difficultés, renchérit la comptable et représentante de l'entreprise à Bouaké, Chantal Diabaté. « J'ai toujours salué son courage, car avec elle rien n'est impossible. Je me demande toujours d'où elle détient ce mental d'acier. Je l'admire, car elle vient de loin », relate-t-elle. Et le mal qu'ils puissent souhaiter à celle qu'ils qualifient à la fois de très généreuse et rigoureuse, est de voir son entreprise prospérer davantage.
« Je souhaite que cette société qu'elle a fondé avec le coeur, l'envie, et qui est déjà présente sur tout le territoire national, s'impose également à l'international », clame M. Kéita. En plus de ses investissements dans l'immobilier, Mme Kaboré fait également dans l'intermédiation d'affaires, l'organisation des voyages d'affaires, économiques, sous forme de foires. « J'ai toujours rêvé de faire l'intermédiation d'affaires.
C'est pourquoi j'ai fait des études anglophones. Les gens vous font confiance lorsque vous parlez leur langue », souligne celle qui parle français, anglais, espagnol, portugais et apprends le mandarin. Elle accompagne les entrepreneurs africains à entrer en contact directement avec des fournisseurs de Turquie, Chine, bientôt de Corée et d'Inde. Et cela grâce à son vaste réseau de sociétés partenaires dans ces pays, dans tous les secteurs d'activités.
Appel à la jeunesse africaine
« Notre objectif est de permettre aux hommes d'affaires africains de découvrir ces pays, de signer des contrats d'affaires, des accords commerciaux et de représentation, et d'oeuvrer à réduire le nombre d'intermédiaires dans leurs relations d'affaires », précise la femme d'affaires multi-casquettes, qui opère également dans la vente en gros des produits de grande consommation, des véhicules de transport en commun.
Être femme dans les affaires n'est pas chose aisée. Il faut savoir garder la tête haute. « Ce n'est pas parce qu'on est femme qu'on doit céder à la tentation. J'ai envie d'être un modèle pour les jeunes filles, de laisser mon nom gravé dans l'histoire », lâche-t-elle. Pour réussir dans l'entrepreneuriat, insiste dame Saadatou, le premier capital dont il faut disposer n'est pas financier mais le mental.
« Cherche à connaitre ton métier, forme-toi, entoure-toi de personnes compétentes, positives, construis ton capital confiance qui est la base de ta réussite. Il faut avoir une vision, savoir ce que tu veux, aimer ton travail, être prêt à consentir toutes sortes de sacrifices pour y parvenir sans aller contre ses représentations mentales et les principes de ta religion », conseille-t-elle à ses jeunes frères et soeurs.
A la jeunesse africaine, elle l'invite à s'assumer, à ne pas être un éternel accusateur qui jette l'entière responsabilité de sa situation sur les autres. « A partir de la majorité, vous ne devrez plus compter sur les gens. Mais en Afrique, on passe le temps à accuser les parents, les amis, la société, les politiciens, sans jamais se remettre en cause. La plupart des milliardaires ne sont pas nés avec des cuillères en or dans la bouche.
Ce sont des gens qui ont accepté de sortir de leur zone de confort, lutté, compté sur eux-mêmes, échoué, persisté, accepté l'humiliation et recommencé jusqu'à ce que le succès frappe à leur porte ! », insiste-t-elle. En moins de deux ans d'existence, l'attachement au travail bien fait de la promotrice de Point Focal Business & Co lui a déjà valu des distinctions.
On peut citer, l'attestation de reconnaissance de WCI FORUM, pour avoir mobilisé des chefs d'entreprise à participer au forum, décernée en décembre 2023, à Abidjan, le Super Prix Félix Houphouët de l'intégration et de l'immobilier en Côte-D'Ivoire, décerné à la 5e Nuit des Étoiles des entreprises D'abidjan (NEA), 10 Mai 2024, par Grâce mondiale group. A l'image de ses compatriotes de l'intérieur comme de l'extérieur, Saadatou Juliette Kaboré est peinée par la crise sécuritaire qui secoue sa mère patrie depuis une dizaine d'années. Elle joint sa prière aux millions de Burki-nabè pour que le pays des Hommes intègres, terre d'hospitalité, retrouve la stabilité, la paix !