L'assemblée nationale a vécu une séance d'une rare intensité lundi, digne des plus grands spectacles de divertissement. On aurait presque cru assister à une brocante bruyante plutôt qu'à une séance parlementaire, tant l'ambiance était agitée. La motion de blâme du leader de l'opposition, Arvin Boolell, contre le speaker Adrien Duval a transformé l'hémicycle en une véritable foire d'empoigne. Les débats ont duré plus de cinq heures, avec un enchaînement de répliques, de piques acerbes et de controverses qui n'auraient pas déparé un ring de catch. Chaque intervention était interrompue par des points of order et des points of clarification qui jaillissaient comme des flèches lors d'une épreuve de tir à l'arc. Le deputy speaker, Zahid Nazurally, a dû multiplier les rappels à l'ordre. Tandis que les parlementaires s'affrontaient sur fond de blâme et de désordre, il jouait le rôle d'un arbitre stoïque, tentant de maintenir un semblant de dignité dans ce qu'il convient de qualifier de grand bazar.
On aurait pu croire que lundi, le deputy speaker essayait de calmer une assemblée de maraîchers en pleine vente aux enchères. L'agitation était telle que Zahid Nazurally, calme en apparence mais visiblement agacé, a dû faire preuve d'une patience à toute épreuve. Alors que le leader de l'opposition présentait ses arguments en faveur de sa motion de blâme, vers 19 h 30, les choses se sont rapidement envenimées. Les décisions du deputy speaker ont suscité de vives contestations au sein de la majorité gouvernementale. Zahid Nazurally a dû faire face aux critiques du Premier ministre, Pravind Jugnauth, qui n'a pas mâché ses mots lorsque ses points of order ont été rejetés les uns après les autres.
Pravind Jugnauth a reproché à Zahid Nazurally d'avoir permis à Arvin Boolell de critiquer le speaker Adrien Duval pour sa participation à une manifestation politique, un acte selon lui incompatible avec la neutralité que devrait incarner un speaker. Le Premier ministre n'a pas hésité à demander l'effacement des accusations d'Arvin Boolell du Hansard, comme s'il voulait effacer les traces d'une tempête dans un verre d'eau. À maintes reprises, face au Premier ministre qui cherchait à interrompre l'intervention du leader de l'opposition avec des points of order souvent déguisés en points of clarification, Zahid Nazurally a dû rappeler qu'il devait écouter les arguments d'Arvin Boolell avant de se prononcer, ajoutant que ce dernier fournirait des preuves à l'appui de ses propos à la fin de son intervention.
Dans une scène qui ressemblait davantage à un épisode de Qui Veut Gagner des Millions ? version parlementaire, Zahid Nazurally a maintenu son calme et a déclaré fermement : «Je ne laisse personne faire pression sur moi. Cela fait quatre ans que j'assume ce poste en toute indépendance et je le ferai jusqu'au dernier jour.» Cela, lorsqu'il a été accusé par le whip de l'opposition, Patrick Assirvaden, d'être influencé par le Premier ministre. N'empêche que Zahid Nazurally a tout de même défendu le Premier ministre lorsque Shakeel Mohamed a tenté de le tenir pour responsable du manque de décorum et d'impartialité au Parlement. «I will not tolerate any attack against the PM», a-t-il averti.
«I can't anticipate what's in her mind»
D'autres interventions n'ont pas manqué de piquant. Face aux critiques de Xavier-Luc Duval concernant l'intervention d'Arianne Navarre-Marie, le deputy speaker a eu droit à une autre vague de mécontentement. Xavier-Luc Duval a accusé la députée mauve de ne pas respecter les paramètres du débat. Un point of order qui a fini dans le grand bain des non-dits, après que le deputy speaker lui a fait comprendre qu'il ne pouvait pas deviner ce qu'elle avait en tête. «Let her continue, I can't anticipate what's on her mind.»
Bien que les orateurs avaient eu chacun 15 minutes pour leur intervention, le deputy speaker a finalement accordé un temps supplémentaire à tous les intervenants. Malgré le calme apparent de Zahid Nazurally, cinq membres du gouvernement, dont les ministres Deepak Balgobin, Sandra Mayotte, Subhasnee Luchmun Roy, Stephan Toussaint et Viskash Nuckcheddy, ont été expulsés de la Chambre. Cette décision a été suivie par l'expulsion de trois membres de l'opposition : Patrick Assirvaden, Franco Quirin et XavierLuc Duval. Toutefois, il convient de noter que les expulsions n'étaient pas des sanctions définitives, mais plutôt une occasion pour les concernés d'aller «prendre un peu d'air frais» pendant environ 15 minutes, afin de calmer l'atmosphère électrique. Durant ces débats mouvementés, le deputy speaker a certes marqué des points.
Ça tombe à l'eau
Le débat parlementaire autour de la motion de blâme présentée par Arvin Boolell contre le speaker Adrien Duval s'est conclu par le rejet de la motion après de longues heures de discussions, car elle n'a pas été secondée. La séance a pris fin mardi à 1 h 53 du matin, et les travaux parlementaires ont été ajournés au 15 octobre à 11 h 30. Cet ajournement pour les vacances parlementaires a été une surprise, car l'on s'attendait à une séance supplémentaire pour débattre de la motion de censure déposée par Xavier-Luc Duval contre le leader de l'opposition. Toutefois, le Leader of the House en a décidé autrement.
Au cours de ces débats, plus d'une quinzaine d'orateurs ont pris la parole. Le député Ismaël Rawoo a exprimé sa fierté face à la décision courageuse du Premier ministre, soulignant que la motion de blâme de Boolell était une manoeuvre démagogique. Il a critiqué l'opposition pour avoir tenté de discréditer le speaker avec des accusations sans fondement et a défendu la légitimité de la nomination du speaker basée sur ses mérites. Rawoo n'a pas manqué de citer à plusieurs reprises un édito du directeur des publications de La Sentinelle Ltd, Nad Sivaramen, qui, après la nomination du speaker, avait qualifié le comportement de l'opposition de «pitoyable et grotesque».
Shakeel Mohamed a, quant à lui, critiqué la décision du speaker de participer à des événements publics, faisant valoir que cette pratique allait à l'encontre des principes de neutralité et d'impartialité associés à cette fonction. Il a comparé la situation à celle de la House of Commons au Royaume-Uni, soulignant que les pratiques actuelles ne reflétaient pas les standards internationaux. Il a ainsi accusé le Premier ministre de manquer de décorum et d'impartialité, et a critiqué la façon dont les accusations contre le speaker étaient manipulées à des fins politiques.
Alan Ganoo a qualifié la motion de «wild goose chase» et a trouvé le discours mal ficelé et peu convaincant. Il a remis en question la pertinence des accusations portées contre Adrien Duval, arguant que les règles et la Constitution n'exigeaient pas que le speaker soit complètement déconnecté des affaires politiques. Alan Ganoo a également souligné que la situation politique au Royaume-Uni ne pouvait pas être directement comparée à celle de Maurice. Arianne Navarre Marie a elle noté que la motion était la première du genre depuis l'entrée en fonction du speaker et a souligné l'importance de ce débat, faisant référence à un accident de la route impliquant celui-ci.
Xavier-Luc Duval a critiqué le fait que certains orateurs ne respectaient pas les paramètres de la discussion, tandis que le Premier ministre a demandé le retrait des accusations portées contre le speaker en lien avec des accusations policières, affirmant que cela n'avait rien à voir avec la conduite de celui-ci. Il a fait un bilan des réalisations du remplaçant de Phokeer, depuis qu'il est en poste depuis deux semaines, estimant qu'Adrien Duval a apporté de la fraîcheur à l'Assemblée nationale. Il a critiqué les tentatives de l'opposition de discréditer le speaker et a plaidé pour une modernisation du Parlement.
La ministre Kalpana Koonjoo-Shah a pour sa part qualifié la motion de tentative frivole de l'opposition et a critiqué les références faites par Shakeel Mohamed. Elle a défendu le speaker, en soulignant ses initiatives positives et sa gestion antérieure en tant que deputy speaker. Le ministre Anjiv Ramdhany, le député Rajesh Bhagwan et le ministre Steeve Obeegadoo sont également intervenus. Le Premier ministre a vanté les compétences du nouveau speaker, rappelant qu'il avait assuré ce poste avec brio dans le passé. Il s'est attardé sur la légalité des procédures pour nommer le speaker, faisant ressortir que la motion of no confidence était injustifiée.
Dérapage
On marchait également sur des oeufs en ce qu'il s'agit du self-control. Le ministre Bobby Hurreeram s'est définitivement fait remarquer, mais pas de la manière dont il l'aurait souhaité. Alors que le deputy speaker avait suspendu la séance pour dix minutes afin de permettre aux esprits de se calmer, Bobby Hurreeram, mû par la colère, s'est dirigé avec détermination vers Patrick Assirvaden et Arvin Boolell. À tel point que tous pensaient qu'il allait se lancer dans une lutte, un corps-à-corps avec ses adversaires politiques...
Ses mouvements acrobatiques vers Patrick Assirvaden et Arvin Boolell ont rapidement alimenté les posts sur réseaux sociaux, donnant lieu à une pluie de commentaires hilarants. Le ministre a toutefois été stoppé net par le ministre Anwar Husnoo, qui est intervenu pour calmer les ardeurs de Bobby Hurreeram et le ramener à son siège.
Une chose est sûre, il y avait du sport à la séance de lundi soir !