La Russie accuse l'Ukraine d'ouvrir un "deuxième front" en Afrique, après les spéculations sur une implication ukrainienne dans l'attaque de Tinzaouatène au Mali.
Depuis la sévère défaite infligée par des séparatistes touareg et des djihadistes à l'armée malienne et aux combattants du groupe Wagner à Tinzaouaten, une localité au nord du Mali, la probable implication des services secrets ukrainiens dans cette attaque, a amené Bamako à rompre ses liens diplomatiques avec l'Ukraine.
Le Niger, allié du Mali et également proche de la Russie, vient d'en faire de même, et le Kremlin accuse officiellement Kiev d'ouvrir un "deuxième front" en Afrique et de "soutenir des groupes terroristes dans des Etats du continent favorables à Moscou".
A première vue, l'histoire pourrait sembler évidente, lorsque l'on regarde la photo obtenue par le journal Kyiv Post : dans le désert malien, des combattants touareg posent avec à la main un drapeau de l'Ukraine pour la photo de la victoire. A cela sont venues s'ajouter des déclarations controversées d'un représentant du service de renseignement militaire ukrainien.
Une guerre de communication
A y regarder de plus près, l'histoire est plus compliquée. Le ministère ukrainien des Affaires étrangères a demandé à Bamako d'apporter des preuves d'une implication ukrainienne dans cette attaque.
Des experts doutent également de cette version, à l'image de Ulf Laessing, chef du bureau Sahel de la Konrad-Adenauer-Stiftung.
Pour lui, "l'Ukraine connaît certes assez bien le nord du Mali, car elle avait de nombreux pilotes d'hélicoptère lors de la mission de paix Minusma qui a été arrêtée. Mais je ne peux pas m'imaginer quelle valeur ajoutée l'Ukraine pourrait offrir aux rebelles touareg, qui sont ceux qui connaissent le mieux leur région."
Ulf Laessing suppose que l'Ukraine a surtout cherché à prendre le train en marche dans une guerre de l'information. Il estime néanmoins que Kiev risque de ternir son image en s'alliant aux séparatistes touareg, qui sont "associés à des enlèvements, à la contrebande et à des liens avec des djihadistes".
Contrer la supposée "toute puissance" de la Russie en Afriaue
L'expert en sécurité ukrainien Iliya Kusa observe que les médias russes reprennent avec insistance la version du Kremlin. "Ils s'en sont emparés et ont parlé d'implication ukrainienne, car c'est une présentation qui profite à la Russie. Ils peuvent ainsi convaincre les pays africains que l'Ukraine est mauvaise, soutient le terrorisme et n'est pas un partenaire constructif", note-t-il.
Avec cet argument, ajoute Iliya Kusa, la Russie pourrait également renforcer sa présence militaire au Sahel, et faire passer les séparatistes touareg pour une entité soutenue par l'Occident.
Pour l'historienne russe basée en Afrique du Sud Irina Filatova, les informations disponibles sont insuffisantes. Elle note toutefois, que l'Ukraine aurait tout intérêt à être perçue comme partie prenante au Sahel et estime que les Ukrainiens "doivent montrer aux pays africains que les Russes ne sont pas tout puissants, qu'ils peuvent aussi perdre. Sur les réseaux sociaux, il existe une sorte de perception officieuse selon laquelle la Russie est forte au point de pouvoir aider dans tous les domaines".
Selon Irina Filatova il est "difficile de parler de guerre par procuration", car même s'il est "important pour l'Ukraine de combattre les Russes en Afrique", l'Ukraine est très loin d'égaler la présence russe et ne peut avoir "l'objectif d'une hégémonie géopolitique telle que la Russie y aspire".