Ile Maurice: «L'intelligence artificielle ne remplacera pas aussi facilement les humains»

interview

Elle fait partie des Mauriciens qui, au cours de leur carrière à l'étranger, ont eu la chance de tirer parti de situations leur permettant d'atténuer une politique d'émigration qui débouche, dans la plupart des cas, sur l'exode des compétences. Vanisha Renggli, expatriée en Suisse, fait le bilan de la venue à Maurice du groupe qui l'emploie.

Quel a été le principal objectif du groupe ELCA d'inclure Maurice dans sa stratégie de délocalisation des opérations de son programme d'expansion globale ?

C'était il y a six ans. Le principal objectif de cette initiative consistait à permettre au groupe de participer activement au développement de cette dynamique. Après chaque séjour dans mon pays natal, c'est avec l'empreinte de cet enthousiasme que je repartais de Maurice.

Quel en est le bilan ?

Depuis les années 2000, Maurice s'est affirmé comme un hub du secteur de l'information, de la communication et de la technologie (ICT) et de connaissances de premier plan. Cette position stratégique en fait un lieu idéal pour l'expansion de notre plateforme de shoring (délocalisation), tirant parti du secteur TIC en pleine croissance et de la main-d'oeuvre qualifiée issue de ses universités publiques et privées de premier ordre. L'intégration de Maurice complète notre présence mondiale au Vietnam, en Espagne et en Italie. Maurice offre un avantage unique avec son fuseau horaire, à seulement deux ou trois heures d'avance sur la Suisse et à trois heures en retard du Vietnam. Ce facteur nous permet de gérer les projets de manière globale et agile.

%

ELCA Maurice a débuté ses opérations en 2018 avec une équipe dédiée aux projets Java et Dotnet. Nous avons doublé notre effectif à Maurice en trois ans et employons aujourd'hui plus de 200 personnes. Le groupe poursuit sa croissance et compte aujourd'hui plus de 2 300 collaborateurs dans le monde, reflétant ainsi notre stratégie réussie de croissance et de proximité avec les clients. Un développement aussi rapide et d'une telle ampleur justifie amplement le recours à une phase de consolidation pour remplir notre mission d'entreprise, qui est de favoriser un environnement numérique de pointe pour permettre à nos clients, nos collaborateurs et aux communautés, dans lesquelles ils évoluent, de prospérer. Nous poursuivons notre expansion en recherchant les meilleurs talents.

Quel a été l'impact des avancées des technologies innovantes, en particulier l'intelligence artificielle (IA), sur vos opérations?

Notre palette de prestations et de produits s'est bien étoffée depuis notre création en 1968. Aujourd'hui, par exemple, le conseil stratégique se combine à notre expertise du Cloud et de la cybersécurité pour permettre à nos clients de bénéficier au mieux des avantages de la transformation digitale. Les développements de l'IA nourrissent, à cet égard, de nouvelles opportunités d'applications et de services pour nos clients. Notre expertise en Business Intelligence/Big Data, qui comprend notamment le développement des chatbots, nous prédispose à intégrer le potentiel de l'IA.

Cette technologie transforme toutes les sphères de la société, avec un impact particulièrement marqué dans le domaine professionnel, notamment au niveau de la technologie numérique. Accessible en un clic, l'IA ne remplacera pas immédiatement les humains car elle est principalement utilisée pour automatiser les tâches répétitives et les processus simples. Malgré les craintes concernant l'emploi, l'IA offre des opportunités significatives en optimisant les processus, les traitements de données et l'intégration logicielle.

La vitesse à laquelle les technologies innovantes peuvent accélérer le rythme des changements circonstanciés impose le recours à une stratégie en matière de transition technologique. Comment cela se passe-t-il au sein de votre groupe ?

Notre stratégie se résume à un principe simple : garder les besoins de nos clients au centre de nos recommandations pour leur conseiller la meilleure technologie applicable en toute indépendance. Cette approche est ancrée dans notre histoire et notre évolution depuis 1968 lorsque ELCA a été fondée par des étudiants de l'École polytechnique fédérale de Lausanne, avec pour principal objectif le développement d'un logiciel de gestion des opérations du Grand Dixence, le plus grand barrage-poids du monde qui se trouve en Suisse. Depuis nos débuts en tant que pionniers du développement de logiciels, nous avons constamment adapté nos solutions pour répondre aux besoins changeants de nos clients.

Quelle devrait donc être la posture des entrepreneurs, surtout celle des petites et moyennes entreprises (PME) pour que leur environnement informatique ne prenne pas de retard par rapport à la nécessité de s'adapter aux nouvelles tendances technologiques ?

Pour que les entrepreneurs, notamment les PME, maintiennent leur environnement informatique à jour et adapté aux nouvelles tendances technologiques, ils doivent adopter une posture proactive. La complexité des enjeux informatiques, notamment en matière de sécurité, exige que les dirigeants s'entourent d'experts compétents, tout en restant eux-mêmes informés des évolutions du secteur. Recourir à des prestataires de services informatiques de proximité peut être une solution efficace lorsque toutes les compétences nécessaires ne peuvent être internalisées.

En parallèle, collaborer avec des startups et des experts du secteur permet de rester à la pointe de l'innovation et d'intégrer rapidement les nouvelles solutions technologiques. Il est également crucial d'allouer un budget spécifique pour les mises à jour technologiques et d'encourager l'adoption de nouvelles pratiques et d'outils au sein de l'entreprise. En faisant ces démarches, les PME peuvent éviter le retard technologique et garantir que leur environnement informatique réponde aux exigences contemporaines.

Avec la soudaine émergence de la pandémie de Covid-19, le télétravail, qui a enregistré une expansion jamais connue jusqu'ici, a mis en évidence l'importance de trouver un juste équilibre entre les besoins personnels et les obligations professionnelles des employés. Comment cela a-t-il été traité au sein d'ELCA ?

Le télétravail a effectivement joué un rôle crucial en permettant à nos communautés de surmonter la pandémie. Cependant, l'éloignement et l'isolement causés par cette situation ont également entraîné des souffrances psychiques considérables. En tant qu'êtres sociaux, nous tirons une grande partie de notre bien-être de la diversité des échanges humains. Dans un contexte professionnel, la performance et la cohésion d'une équipe reposent largement sur ces interactions. Il est donc essentiel de trouver un équilibre entre les besoins individuels et les impératifs du travail collectif. Cet équilibre est tout aussi important pour les femmes que pour les hommes. Chez ELCA, nous croyons dans les capacités et compétences des hommes comme des femmes et nous nous engageons à créer un environnement de travail inclusif et équilibré.

Les avancées technologiques peuvent-elles justifier le remplacement de l'homme par la machine, provoquant dans le même souffle, une hausse considérable du taux de chômage ? Comment ce risque est-il pris en compte au sein d'ELCA ?

Dans ce monde numérique, les possibilités d'emplois sont multiples. L'IA ne remplacera pas aussi facilement les humains. Les capacités intellectuelles, motrices et la capacité de travail des humains sont irremplaçables pour le moment. Au sein d'ELCA, nous sommes conscients des enjeux qu'impose la technologie mais nous investissons dans la formation de nos collaborateurs. Nous créons des solutions faites par l'humain pour les humains.

Notre ambition est en ligne avec la vision de notre Chief Executive Officer, Cedric Moret, d'atteindre la barre des 3 000 collaborateurs au sein du groupe à l'horizon 2026. Bien que nous soyons un groupe dans la tech, nous favorisons la création d'emplois, y compris à Maurice, au lieu de tout miser sur l'automatisation. Ces processus d'automatisation sont mis en oeuvre par nos ingénieurs pour nos clients.

Qu'en est-il de l'intégration de la femme dans un tel environnement ?

La question de la place des femmes dans le monde professionnel est cruciale, notamment dans des environnements où elles peuvent démarrer avec des désavantages importants, surtout si elles ont des charges familiales. Les métiers de l'IT, longtemps perçus comme réservés aux hommes, voient heureusement une évolution avec un nombre croissant de jeunes filles et femmes qui s'engagent dans ces professions technologiques. Il est essentiel que le monde professionnel continue de faciliter l'intégration des femmes en garantissant des conditions égales pour un travail égal, un enjeu qui me tient particulièrement à coeur. Parallèlement, la sphère privée doit évoluer pour soutenir et concrétiser, avec l'aide des services publics, les aspirations des femmes qui souhaitent progresser dans leur carrière.

Que faut-il entreprendre pour réduire l'impact de l'exode des compétences sur le développement du pays ?

L'exode des compétences constitue un défi majeur pour Maurice. Pour y remédier, il est crucial de renforcer l'attractivité locale en créant des opportunités professionnelles stimulantes et bien rémunérées, notamment dans les secteurs innovants comme la technologie, la finance et les énergies renouvelables. Des programmes de mentorat et de formation continue peuvent également jouer un rôle clé dans la rétention des jeunes talents.

Parallèlement, pour encourager le retour des expatriés, il est nécessaire de simplifier les démarches administratives et d'offrir des avantages fiscaux et financiers attractifs pour faciliter leur réintégration et leur investissement dans l'économie mauricienne. Chez ELCA, nous avons récemment ouvert un bureau à Palerme en Sicile. Pourquoi ? C'est en réponse à la tendance des jeunes talents à chercher des opportunités dans le nord de l'Italie, loin de leurs proches, simplement en raison du manque d'opportunités locales. Cependant, attirer des talents ne se limite pas à créer des opportunités. L'attractivité d'un marché local dépend aussi du niveau d'exigence et de qualité qu'il offre. À l'instar des ligues sportives internationales, qui attirent les meilleurs joueurs du monde, un environnement de haute qualité génère plus d'attractivité et d'opportunités tant pour nos jeunes que pour les expatriés.

Vous jouissez du double statut de Mauricienne de souche, dont les parents vivent à Vacoas, et d'expatriée. Quelle est l'image de Maurice que vous avez emportée dans votre valise lorsque vous deviez rejoindre la Suisse lors de votre dernier passage dans l'île ?

Mon dernier passage dans l'île date de février dernier. L'image que j'ai emportée avec moi en Suisse est celle d'une île paradisiaque où l'hospitalité et la convivialité sont toujours au coeur de la société. Maurice est apprécié et reconnu pour la qualité de son hospitalité et son multiculturalisme. La richesse de nos traditions, la beauté de nos paysages et la chaleur des relations humaines sont des aspects que j'apprécie profondément et que je chéris même en étant à l'étranger. Ce lien fort avec mes racines mauriciennes m'accompagne au quotidien. Il m'aide aussi à gérer les ressources humaines avec une approche axée sur l'humain et la diversité. C'est aussi une pépinière riche de talents, qui s'étend bien au-delà du secteur touristique qui a fait sa réputation. Après chaque passage dans mon pays natal, c'est avec l'empreinte de cet enthousiasme que je repars de Maurice.

Vous voici au pays et à la maison. Qu'avez-vous voulu croiser sur votre route ?

Maurice est un pays d'une grande diversité culturelle et naturelle. Revenir dans l'île est toujours une expérience enrichissante et un moyen de se ressourcer. Lors de ce voyage, j'ai particulièrement souhaité retrouver la simplicité et l'authenticité des interactions humaines qui caractérisent notre société. Que ce soient les discussions animées avec mes parents et ma famille, les retrouvailles avec des amis d'enfance ou simplement le plaisir de savourer un repas typiquement mauricien comme un bon kari zak, ces moments de partage sont précieux. Ils renforcent mon attachement à ma terre natale. Ce sera aussi un plaisir de rencontrer tous nos collègues d'ELCA à Maurice lors des célébrations de notre sixième anniversaire.

  • Groupe international spécialisé dans la conception et la fourniture de solutions sur mesure et standardisées pour soutenir la transformation numérique.

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.