Sénégal: Renégociations des contrats pétroliers - Ce n'est pas une affaire de muscles

Même les clauses de stabilisation qui figurent dans les contrats peuvent faire l'objet de renégociations dans les contrats, tant que cela reste une discussion entre deux parties.

A défaut, le contentieux qui pourrait en découler reste lourd de conséquences pour l'Etat, en cas de rupture unilatéral de contrat. Ce n'est donc pas une question de rapports de force, mais plutôt de bien discuter pour améliorer les dispositions du contrat qui est la loi des parties.

On peut toujours mieux négocier, d'ailleurs, « d'autres pays africains l'ont fait », dixit le président Bassirou Diomaye Faye, qui récemment a dit : « Je ne crois pas à la malédiction du pétrole », avant de promettre que « Nous allons renégocier les contrats et essayer de voir comment investir sur d'autres secteurs pour le développement et... éviter la malédiction du pétrole » ; reconnaissant ainsi qu'il ya effectivement un risque à ce propos.

Au demeurant, le Mali qu'il a cité en exemple n'a pas renégocié mais plutôt a réformé son code minier. Le 28 août 2023, le Mali a en effet adopté un nouveau code minier permettant à l'État de prendre jusqu'à 30 % de participation dans les nouveaux projets et d'augmenter les revenus tirés d'un secteur capital pour l'économie nationale. Par conséquent, il est loisible à tout gouvernement de procéder, sans aucune conséquence juridique, à une réforme de son code dans la mesure où les nouvelles dispositions ne s'appliqueraient qu'aux projets futurs.

Aussi le président Diomaye aurait-il mieux fait de s'inspirer d'un autre exemple que le Mali qui, en l'occurrence, n'a pas eu gain de cause dans la procédure arbitrale ouverte en juin 2013 auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi), pour avoir « renégocié » au sens militaire du terme, des dispositions fiscales. La société Rangold, alors actionnaire majoritaire de Somilo, avait contesté la décision de la partie malienne, pour des motifs de stabilité fiscale, imposant un premier redressement ainsi qu'un second, pour un total de plusieurs dizaines de milliards de F CFA.

Le tribunal arbitral avait en grande partie donné raison au groupe aurifère, et le Mali avait été condamné à payer à Somilo la somme de 16,9 milliards de F CFA (environ 25,8 millions d'euros), correspondant aux sommes déjà recouvrées. Aucun autre montant ne pouvait être réclamé dans le cadre des redressements. Pour ne rien arranger, le tribunal avait porté un coup supplémentaire en décidant que Bamako supporterait 70 % des frais liés à la procédure, soit quelques centaines de milliers d'euros supplémentaires à verser à Somilo.

Ceci dit, si nous revenons au Sénégal, il faut relever que l'actuel code pétrolier, est la résultante-même d'une réforme intervenue en 2019, en vue d'optimiser les profits de l'exploitation de nos ressources d'hydrocarbures. La problématique de la renégociation nécessite toutefois un exercice d'analyse objectif , pour lequel il n'est pas nécessaire d'en faire une grande publicité pour donner des gages de transparence. Le même « souci » de transparence devrait dors et déjà animer la décision récente de soustraire « en catimini » le Fonds intergénérationnel du Fonsis, pour le loger à la présidence de la République à travers le décret de répartition des services de l'Etat.

Sujet à l'arbitrage

En matière de contrats, les clauses de stabilisation sont la preuve que les Etats n'ont pas toujours les pouvoirs d'impérium et de dominium de manière absolue, comme l'a rappelé Cheikh Fall, Doctorant en droit international de l'investissement, dans une de ses tribunes.

Selon lui, le pouvoir d'imperium constitue un pouvoir de commandement, d'«autorité suprême » qui découle de la notion de souveraineté, elle-même. Il qualifie le pourvoir exercé par l'Etat sur les personnes et les choses se trouvant sur son territoire en tant que « puissance publique ». C'est ce pouvoir d'impérium qui donne à la notion de souveraineté de l'Etat sur les ressources naturelles son qualificatif de « permanente », eu égard à la permanence de l'Etat.

Quant au pouvoir de dominium, « il renvoie au pouvoir exercé par l'Etat sur ses ressources naturelles présentes sur son territoire, envisagées en tant que chose ». La conséquence, c'est le droit conféré à l'Etat de détenir les mêmes droits d'un propriétaire sur ses biens, avec ses trois attributs que sont l'usus usage), le fructus ( la jouissance) et l'abusus ( aliénation), souligne M. Fall.

Si on peut bien comprendre le désir et le droit de tirer réellement profit de ses ressources naturelles, on ne peut cependant pas ignorer la logique de défense de leurs intérêts qui anime les investisseurs étrangers, qui sont pour la plupart des multinationales mettant beaucoup de capitaux pour l'exploration et l'exploitation de ressources dans un pays donné.

C'est sous ce rapport que les investisseurs ont des attentes légitimes qui sont la plupart du temps inscrites dans des clauses de protection. C'est bien connu, en droit international public, la règle pacta sunt servanda encadre l'action internationale des acteurs, qui ainsi peuvent se voir attraits devant des juridictions internationales.

Le Sénégal a bel et bien une expérience en la matière et la manière radicale d'aborder cette question ne lui a pas réussi et pis, lui a souvent coûté cher.

L'affaire des mines de fer de la Falémé qui avait opposé l'Etat du Sénégal au groupe Sud-africain, Kumba Ressources qui lui réclamait plus de 400 millions de dollars américains ( 75 milliards de Fcfa ), sous le régime du Président Abdoulaye Wade, est l'exemple parfait. Le Sénégal avait été attrait devant le tribunal arbitral de Paris pour rupture unilatérale du contrat, parce qu'ayant trouvé un nouveau partenaire avec une offre plus intéressante. En l'espèce il s'agissait de l'Indien Arcelor Mittal, propriétaire du plus grand exploitant de fer au monde. L'Etat sénégalais avait dû s'amender à l'époque, et transiger pour éteindre le feu.

Ainsi, avec Kumba le Sénégal a payé 75 millions de dollars (37 milliards 500 millions), soit un montant de 15 millions de dollars l'année (7 milliards 500 millions).

En revanche, avec Arcelor Mittal, le tribunal arbitral de Paris a donné raison à l'Etat sénégalais lorsque l'indien Arcelor Mittal avait annoncé, en juin 2009 aux autorités sénégalaises, qu'il suspendait unilatéralement son projet.

Sur une autre affaire, le Sénégal a été également attrait devant le tribunal d'arbitrage, notamment sur le dossier de la centrale à charbon de Sendou sise à Bargny à 32 km de Daka . L'un des principaux actionnaires de la centrale de Sendou, la mauricien Louis Claude Norland Suzor à travers sa société Sbec systems limited, lui réclamait 1,2 milliard de dollars de dommages et intérêts pour avoir été éjecté de la centrale de Sendou au profit de l'investisseur Barak Fund. L'affaire a finalement été réglée à l'amiable après moult procédures d'arbitrage.

La seule « affaire » pour laquelle le Sénégal a échappé à une condamnation auprès du tribunal international d'arbitrage, est relative à son contentieux avec African Petroleum qui avait reproché à l'Etat sénégalais d'avoir offert Rufisque Offshore Profond à la compagnie Total et mis en compétition Sénégal Offshore Sud Profond dans un cycle d'attribution. La procédure d'arbitrage a connu son épilogue en 2023 et le juge avait rejeté les demandes d'Africa Petroleum qui, en revanche, avait été condamnée à payer environ 3 millions de dollars (près de 2 milliards de Fcfa) en couverture à 90% des frais d'arbitrage et de justice.

Il ne s'agit pas ici de dire que les contrats ne sont pas renégociables, loin s'en faut. Mais ce n'est pas forcément en criant plus fort qu'on se fait entendre et la méthode des juntes militaires n'est pas un bon exemple à reproduire. En matière d'investissements, ce n'est pas une affaire d'impérium, on est dans le domaine contractuel, il faut « ménager la chèvre et le chou » et s'attacher les moyens juridiques pour se parer contre tout risque arbitral, qui pourrait coûter très cher à l'Etat. Encore plus cher sur le risque-pays.

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