Madagascar: Elisé Harimino Asinome - « Dirigées par les chefs d'Églises, les sociétés civiles ont déclenché la crise de 1991 »

Le 10 août 1991 marque un évènement exceptionnel dans l'histoire politique de Madagascar : le carnage à Iavoloha qui a fait une centaine de victimes suite au Diaben'ny fahafahana, la grande marche de la liberté. La confédération des Églises chrétiennes à Madagascar (FFKM) a joué un rôle déterminant avant, pendant et après la crise. L'historien contemporanéiste Harimino Elisé Asinome, enseignant-chercheur à l'Université d'Antananarivo et chercheur associé à l'Institut Ralaimongo d'Histoire et Études politiques, nous fait l'autopsie d'une crise que le FFKM a marqué de son empreinte.

Quel rôle ont joué les chefs d'Églises pendant la crise socio-politique de 1991 ?

La crise de 1991 constitue la clé de voûte pour comprendre l'implication du FFKM (Conseil chrétien des Églises de Madagascar) dans les affaires nationales. Mais l'implication des chefs d'Églises (catholique, protestante, luthérienne et anglicane) dans la médiation remonte à mai 1972.

L'entrée en scène pour les Églises a eu lieu quand le mouvement social conduit par des étudiants a pris sa tournure suite au débordement survenu le 13 mai. La capitale était en feu. Des scènes de casses et de pillages de magasins et de bâtiments publics ont particulièrement marqué cette journée. C'est juste après cette journée noire que les négociations se sont engagées, du 14 au 18 mai, au niveau de différentes instances pour libérer les 372 exilés à Nosy Lava. On assiste à un véritable ballet de négociations où les chefs d'Églises chrétiennes s'activent dans la démarche de sortie de crise.

Puis, devant la foule sur l'avenue de l'Indépendance, les chefs des quatre Églises ont annoncé que leur demande a été acceptée par le président de la République au sujet du retour des exilés. On peut donc dire que la crise de mai 1972 constitue le premier succès des chefs d'Églises sur le terrain politique en matière de négociation ou de lobbying. Suite à cela, ils ont bénéficié d'une aura de plus en plus imposante et importante sur tous les plans.

Comment le FFKM s'immisce dans les affaires nationales du pays ?

Le FFKM s'impose dans l'échiquier politique avec une démarche qui s'inscrit dans la justice sociale, à travers l'organisation systématique et la mobilisation des forces vives de la nation pour transformer les relations et les ordres sociaux injustes.

Dans son rôle de prophète, en tant que porte-parole, révélateur et témoin des « vérités de l'Évangile » et aussi dans sa posture de Raiamandreny, le FFKM incarne l'espoir d'une Nation qui peine à se relever depuis l'Indépendance. La société malgache à majorité chrétienne fait donc appel à l'intervention de cette organisation de plus en plus puissante.

Le premier congrès de 1982 à Antsirabe se consacre à débattre sur un sujet lié à l'implication effective des chrétiens aux efforts de développement du pays. C'est à partir de cette date qu'on a ressenti la mobilisation des gens pour la prise de responsabilité dans les affaires nationales. Les paroissiens font partie du peuple, ce qui fait écho à l'appel du FFKM à ses membres devant la situation dans le pays, d'où la naissance du slogan d'inspiration biblique « Ento miakatra ity firenena ity » ou Fais monter ce peuple. Le livre d'Exode a raconté l'appel de Dieu à Moïse pour délivrer le peuple d'Israël du joug égyptien. Dans cette optique, l'appel du FFKM vise nécessairement à inviter les chrétiens à s'engager et à libérer le pays de la situation de pauvreté dont le système socialiste de Didier Ratsiraka a infligé aux Malgaches depuis 1975.

Le FFKM était-il donc de plus en plus engagé contre le régime de Didier Ratsiraka ?

Oui, tout cela démontre le changement d'horizon pour le FFKM, en délaissant son objectif principal, le dialogue interreligieux, pour dénoncer les dérives du régime Ratsiraka. De plus, dans le contexte de la théologie de la libération, certains ecclésiastiques dans les pays en développement, comme Madagascar, se sont engagés dans des mouvements de libération du peuple opprimé. Et beaucoup de paroissiens s'associent à ce courant de pensée théologique qui vise à rendre sa dignité et donner de l'espoir à toutes les communautés opprimées.

Comment sont apparus, au-devant de la scène, certaines personnalités politiques, comme le professeur Albert Zafy ?

À la suite des deux Concertations Nationales organisées en août et décembre 1990 par le FFKM Antananarivo, certaines personnalités ont pu marquer leurs présences. C'est le cas d'Albert Zafy, projeté au-devant de la scène politique en devenant le président du Comité permanent des Forces Vives qui est l'organe dirigeant du Conseil national des Forces Vives regroupant 80 organisations : partis politiques, syndicats des travailleurs et patronaux, organisations socioprofessionnelles, associations, etc. Ces organisations ont formé une plateforme d'opposition qui a œuvré pour le changement de régime. Des manifestations sont conduites par des leaders d'opposition dans la capitale et les différents centres urbains du pays, mais ceux-ci n'ont pas réussi à faire fléchir le gouvernement.

À partir de quel moment le régime de l'époque a-t-il pris au sérieux le mouvement de contestation populaire ?

C'est après le carnage aux abords du Palais d'État d'Iavoloha, le 10 août 1991, que le mouvement a connu une nouvelle tournure. Ce qui a poussé le régime à accorder une attention aux revendications des manifestants. Suite à cet événement, une transition libérale conduite par la Haute autorité de la transition (HAE) est instituée après l'accord du Panorama du 31 octobre 1991. Grâce à cela, Albert Zafy a été propulsé au rang de président de la Haute autorité de l'État (HAE) pendant la période transitoire. Le FFKM devient partie prenante des institutions de la Transition, en faveur de la victoire d'Albert Zafy. Suite à une élection, le Professeur accède à la magistrature suprême en 1993, en battant au second tour l'amiral Ratsiraka, avec 66% des suffrages exprimés.

D'après vous, qui a déclenché la crise de 1991 ?

Dirigées par les chefs d'Églises, les sociétés civiles ont déclenché la crise de 1991. Elles s'organisent dans un mouvement populaire afin d'affronter le mal incarné par le régime Ratsiraka qui devait être chassé à l'époque. La mise en place d'une plateforme d'activistes politiques, comme le Groupe Panorama, ayant regroupé le collectif des hommes politiques de différents horizons, a abouti à un changement de régime, d'une manière démocratique, malgré l'incident malheureux survenu en août 1991. Le conflit a pu tout de même se dénouer grâce à la bonne volonté des acteurs politiques de l'époque de sortir le pays de la crise.

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