Alors que le groupe nucléaire russe Rosatom achève une visite de quatre jours au Burkina Faso, Lassina Zerbo, président du Rwanda Atomic Energy Board, ex-secrétaire exécutif du contrôle des essais nucléaires à Vienne et ancien Premier ministre du Burkina Faso, répond aux questions de Claire Fages.
RFI : Quelle est la portée de cette visite de quatre jours de Rosatom au Burkina Faso ?
Lassina Zerbo : Rosatom, c'est un géant mondial du nucléaire, l'un des plus grands exportateurs de centrales nucléaires dans le monde. Et donc ils sont dans leur rôle d'aller dans des pays africains pour essayer de signer des accords dans le but de développer les centrales nucléaires.
Je crois que le Burkina s'est mis dans cette dynamique parce qu'il y a une volonté politique et qu'il y a aussi la volonté d'accompagner le public pour qu'il comprenne qu'on a besoin du nucléaire, pour aller vers un mix énergétique qui nous ferait dépasser non seulement la crise énergétique, mais aussi être en phase avec la problématique du changement climatique. Le Burkina Faso a des accords avec la Russie et Rosatom est dans son rôle d'accompagner cette volonté politique, aussi bien au titre de la formation, de l'encadrement que des infrastructures.
Les centrales nucléaires, infrastructures coûteuses et qui présentent des risques de sûreté, sont aujourd'hui à la portée des États d'Afrique ?
Il faut d'abord ranger les centrales nucléaires en catégorie. On parle de plus en plus des petits réacteurs nucléaires, les micros et même les nano-réacteurs nucléaires, et non des réacteurs conventionnels ou traditionnels de plus grande capacité et de plus grande complexité. Je dirais que pour l'Afrique, avec l'évolution de la technologie et les innovations récentes qui sont faites sur les petits réacteurs nucléaires, ça rend possible et flexible la capacité des pays africains à aller vers cette technologie-là.
Le petit réacteur modulaire (Small modular reactor, SMR), sa compétitivité est dans sa flexibilité, mais aussi la sécurité qu'il présente par rapport aux réacteurs traditionnels qu'on connaît depuis les années 1950. Plus le réacteur est petit, plus il est sûr. On est dans la dynamique d'amener les réacteurs nucléaires dans des conteneurs de 40 pieds dans les cinq à dix ans, des réacteurs de un à deux mégawatts.
Je ne connais pas le modèle envisagé au Burkina Faso, mais je pense que Rosatom saura comment faire face à cette dynamique. (...) Rosatom est l'un des premiers à avoir mis les petites centrales nucléaires sur un bateau, donc les petites centrales modulaires. Ils en ont une au large, au nord de la Russie, qui donne de l'électricité à une population de 50 000 habitants. La Chine a été le deuxième pays à installer ces petits réacteurs modulaires et les États-Unis sont très avancés.
Il y a l'Argentine où les tests sont en cours. La France est en train de se mettre sur ce marché des petits réacteurs modulaires. N'oublions pas que la force de ces petits réacteurs modulaires, c'est la réduction du besoin d'eau, parce qu'on n'a plus forcément besoin d'eau pour ces petites centrales nucléaires.
D'ailleurs, la Chine a montré dans le désert de Gobi qu'on pouvait installer une centrale nucléaire au thorium, une petite centrale modulaire. Et ça, ce sont des technologies adaptées aux pays du Sahel dans le futur. On parle non pas de refroidissement à l'eau, mais de refroidissement au gaz (...) injecté dans la construction et la fabrication de ce petit réacteur nucléaire en circuit fermé.
Une des sociétés avec lesquelles nous travaillons, Nano Nuclear, entrée en Bourse il y a quelques mois, est en train d'essayer de développer les centrales nucléaires confinées dans des containers de 40 pieds, d'un ou deux mégawatts pour un quartier, une cité ou une industrie. Elle va fonctionner entre 16 et 20 ans sans maintenance et après 16 ou 20 ans, vous enlevez le module de déchets et le remplacez pour que la centrale se remette à fonctionner.
Et donc ça, c'est quand même de l'innovation et je pense qu'on a en grande partie réglé les problèmes de sécurité. Mais là encore, on est dans les micros et les nano-réacteurs. Pour l'image, il s'agirait d'installer une centrale nucléaire dans un container de 40 pieds, dans une ville ou un quartier, qui pourrait donner de l'électricité à 2 000 ou 3 000 familles. Et donc, je pense que c'est un modèle qui serait adapté, mais ce sont des centrales qu'il faut construire en série et permettre aux États, aux industries, au privé, d'en posséder.
Cela faciliterait le financement pour les pays en développement ?
Quand on a des difficultés de financement, on a besoin de partenaires qui peuvent accompagner ces pays-là à réaliser leur vision - vision politique, vision économique, vision scientifique et, dans ce cas précis, le nucléaire. Je pense que ce modèle-là pourrait convenir au départ. Pourquoi ? Parce que tout simplement, on n'a pas d'institution financière qui va dans la dynamique du nucléaire en ce moment, même si les choses sont en train d'évoluer, on le voit en Europe. Moi, je suis particulièrement partisan que la Banque africaine de développement (BAD), la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), ces institutions régionales et sous-régionales s'intéressent beaucoup plus à un mix énergétique qui inclurait le nucléaire, pour permettre aux pays d'aller vers le développement industriel dont ils ont besoin.
En attendant, dans un pays comme le Burkina Faso ou dans les autres pays de la sous-région, le modèle sera ce qu'on appelle le BOT (Build, Operate and Transfer), c'est-à-dire « construire, opérer et transférer ». Le BOT, ça veut dire qu'on a des partenaires qui nous amènent la technologie, qui la développent, qui la construisent, qui l'opèrent, pour naturellement avoir un retour sur investissement et transférer progressivement la technologie, avant de la mettre à la disposition des pays.
Je pense que c'est ce modèle qui réussirait aux pays en développement parce que le nucléaire, ça coûte cher. Je n'ai pas pris part aux négociations avec Rosatom, mais je pense que Rosatom peut accompagner par exemple dans les études de pré-faisabilité ou de faisabilité. Et en même temps que le pays trouve des financements par les voies traditionnelles, dans le cadre d'un mix énergétique, avec la Banque mondiale et les institutions financières traditionnelles avec lesquelles il traite.
Est-ce que ça ne créera pas de dépendance entre ce pays du Sahel et le partenaire russe ?
Je pense que dans tout partenariat, et j'ai parlé de partenariat gagnant-gagnant, il faut que les pays revoient non pas à la baisse en termes de coûts, mais à la hausse en termes de technologie ; aller vers les petits réacteurs modulaires parce qu'ils sont forcément plus accessibles, et c'est pour cela qu'on les appelle modulables. Ils coûteraient moins cher et ils rendraient beaucoup moins grande cette dépendance dont vous parlez. Dans toute négociation, dans un transfert de technologie, il faut aller forcément vers la formation, la compréhension du public, etc.
Quels sont les défis ou les obstacles au nucléaire qui persistent dans les pays du Sahel ?
Les défis, c'est d'abord de se dire que quand on s'engage dans le nucléaire, on s'engage pour au moins un demi-siècle. Donc, la volonté ou la vision politique doit prendre ça en compte. Le nucléaire, c'est du long terme et le long terme, ça va avec des accords. Et les accords, justement, doivent forcément aller dans un sens gagnant-gagnant. Un partenariat gagnant-gagnant qui ferait que, par exemple, le rendement énergétique sur investissement soit positif pour des pays comme le Burkina Faso.
Lors de notre déclaration de politique générale (Lassina Zerbo était Premier ministre entre décembre 2021 et janvier 2022, NDLR), déjà le nucléaire était dans notre volonté d'aller vers un mix énergétique, et donc nous cherchions quel partenariat nous accompagnerait pour réaliser cette vision-là. Le gouvernement actuel est dans cette dynamique et je pense que Rosatom est dans son rôle aussi. Je n'ai pas les détails des discussions, mais je pense qu'à moyen ou long terme, la réalisation de centrales nucléaires au Burkina Faso, dans les pays du Sahel, et au-delà même de ces pays, je pense qu'il y aura une ruée vers le nucléaire dans les années à venir, et je suis content aujourd'hui de savoir que cette vision qu'on avait eue devient réalité.
Le fait que le Niger voisin possède de l'uranium est-il un facteur encourageant pour les pays du Sahel à s'équiper de centrales nucléaires ?
Oui, naturellement et ça ne date pas d'aujourd'hui. Les experts et les intellectuels dans la sous-région se sont toujours posé la question de savoir pourquoi un pays comme le Niger a autant d'uranium et ne s'est pas intéressé depuis le temps à l'énergie nucléaire.
Le Ghana du président Nkrumah, à la fin des années 1950 et au début des années 1960, a lancé le Ghana Atomic Energy Commission, et c'est ça qui fait aujourd'hui du Ghana un pays qui n'a peut-être pas une centrale nucléaire pour produire de l'électricité, mais qui a un réacteur de recherche nucléaire qui les aide beaucoup dans le domaine de l'agriculture et de la santé, avec des expérimentations en cours dont la sous-région profite.
Mais je pense que l'engouement actuel est lié à la nouvelle génération de réacteurs, à l'évolution et à l'innovation que nous connaissons aujourd'hui. On en parle beaucoup plus et beaucoup plus facilement, parce que les problèmes de sécurité ont beaucoup évolué et donc la sécurité, la sûreté nucléaire, sont beaucoup plus maîtrisés, avec les petits réacteurs modulaires, qu'ils ne l'ont été dans le passé avec les réacteurs traditionnels et les centrales traditionnelles. Ils vont coûter moins cher. Et du fait de leur confinement et parce qu'ils sont plus petits, il y a moins de déchets, parce qu'il y a moins de quantité d'uranium qui est utilisée.
Quels sont à ce jour les pays africains qui ont des projets de centrales nucléaires ?
L'Afrique du Sud, l'Égypte et le Rwanda, le Ghana, le Nigeria, le Kenya et la Tanzanie, la Zambie et l'Ouganda. L'Ouganda dont le président Yoweri Museveni, lors d'une conférence, se posait la question de savoir si le pays, plutôt que d'exporter son uranium, ne devait pas le garder pour l'utiliser lui-même. Au Rwanda, par exemple, nous sommes allés dans une dynamique de formation depuis trois-quatre ans, et nous formons des jeunes qui seront prêts justement à aborder la présence de ces centrales nucléaires ou de toutes les technologies nucléaires sur le sol. On doit être à près de 300 jeunes qui sont ou seront formés dans l'année où les deux ans qui viennent pour accompagner cette dynamique.
À quelle échéance peut-on voir se monter des centrales nucléaires sur le sol africain ?
En Afrique du Sud, qui a déjà une centrale nucléaire, et en Égypte, qui possède déjà une certaine infrastructure nucléaire et un cadre réglementaire en cours de développement, je dirais entre cinq et sept ans. Dans un pays comme le Rwanda, on irait vers sept à dix ans. Et puis les pays qui commencent, comme le Burkina Faso, je pense qu'il est plus réaliste d'aller vers dix, quinze ans.