C'est hier, 11 août 2024, que Paul Kagamé (PK) a prêté serment, à Kigali, pour son quatrième mandat devant un aéropage de chefs d'Etats africains conviés pour la circonstance.
L'évènement, célébré avec faste, constitue le couronnement d'un processus électoral qui a consacré la victoire du candidat du Front patriotique rwandais (FPR) par le score astronomique de 99, 18%. L'homme a ainsi battu ses records précédents, comme si, comme le vin, il se bonifiait avec le temps. Par contre, pour ses deux concurrents, c'est la bérézina avec respectivement 0,53% et 0.32% pour Frank Habineza, candidat du seul parti de l'opposition autorisé et Philippe Mpayimana, candidat indépendant. Pouvait-il en être autrement ? On peut, sans aucun risque de se tromper, répondre par la négative, et cela, pour plusieurs raisons.
La première raison de la victoire sans appel de l'homme fort de Kigali, bien évidente, est d'ordre historique. Ayant mis fin au génocide des Tutsis en 1994, Paul Kagamé, aujourd'hui âgé de 66 ans, est considéré comme le père-fondateur du Rwanda moderne. Son nouveau plébiscite est la traduction, dans les urnes, de la légitimité historique dont il bénéficie de la part des Rwandais dont 65% ont moins de 30 ans et n'ont connu que Paul Kagamé comme président.
Le président Kagame devra mettre à profit ce mandat pour ouvrir l'espace politique
La seconde raison de la victoire de PK est, sans nul doute, son bilan. Acteur d'un spectaculaire redressement économique de son pays avec un taux de croissance qui a parfois culminé les 8% par an, l'homme a fait du Rwanda un modèle de stabilité économique et politique au point de susciter l'admiration des Occidentaux qui, habituellement très regardants sur les questions de droits de l'Homme, ont opté pour le silence face à l'un des plus grands prédateurs contemporains des libertés individuelles et collectives sur le continent africain.
La forte croissance économique s'est accompagnée d'une amélioration substantielle du niveau de vie des populations dont l'accès aux services sociaux de base, s'est largement agrandi. A titre illustratif, le taux brut de scolarisation est de 100%. Le bilan de PK parle donc en sa faveur face à ses deux challengers qui ont évolué dans un environnement qui leur était fortement défavorable voire hostile. La dernière raison du plébiscite de Kagamé est le système politique qu'il a mis en place, qui est celui d'un parti-Etat qui verrouille tout l'espace politique.
Ainsi, l'organe chargé des élections, inféodé au parti, s'est chargé, en amont de l'élection, de débroussailler le champ pour le laisser libre à Kagamé en recalant des figures de l'opposition comme Victoire Ingabire, Bernard Ntaganda et Diane Rwigara qui pouvaient lui tailler des croupières. On peut dire donc que Kagamé a triomphé sans gloire. Mais si cela est véritablement le choix du peuple, tout le mal que l'on puisse lui souhaiter, c'est de réussir son nouveau mandat pour le plus grand bonheur de ses concitoyens.
Kagamé devra travailler désormais à faire la paix avec ses voisins
Cela dit, la question que l'on peut se poser, à l'occasion de cette investiture, est la suivante : quels sont les nouveaux défis qui attendent le président Kagamé ? Le premier sera de maintenir la croissance économique dans un environnement marqué à l'intérieur par le poids de la dette de l'Etat et à l'extérieur par l'hostilité des Etats voisins, en l'occurrence la République démocratique du Congo (RDC) où Paul Kagamé est accusé de mener la guerre aux côtés des rebelles du M23.
Pour un petit pays enclavé, sans le moindre débouché maritime, la politique belliqueuse menée par Kagamé qui a d'ailleurs soigneusement évité d'inviter à son investiture Félix Tshisekedi et Evariste Ndayishimiye du Burundi, pourrait, à la longue, plomber l'embellie économique du Rwanda. Le second défi, lié au premier, sera de faire sentir l'impact de la croissance économique sur le panier de la ménagère.
En effet, malgré le rythme soutenu de la croissance, le quotidien reste difficile dans le pays où près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Mais s'il y a un domaine où le président Paul Kagamé est attendu pour ce quatrième mandat, c'est celui de l'image de son pays qu'il devra impérativement travailler à soigner à l'international.
Car, il est vu de l'extérieur comme un féroce prédateur des libertés individuelles et collectives. A preuve, toutes les voix discordantes font l'objet d'une sévère répression et cela jette le discrédit sur toutes les élections au Rwanda. Et c'est d'ailleurs ce que relève l'un des opposants au régime qui n'a pu se présenter à la présidentielle, Victorine Ingabire, qui dit ceci : « Gagner continuellement l'élection présidentielle avec à peu près 100% des voix, n'est pas un signe de popularité mais de manque de concurrence ».
C'est dire si le président Kagame devra mettre à profit ce mandat pour ouvrir l'espace politique. Mais le peut-il vraiment sans scier la branche sur laquelle il est assis ? On attend de voir. En sus, accusé à tort ou à raison, d'être un trouble-fête dans la sous-région, Kagamé devra aussi travailler désormais à faire la paix avec ses voisins, notamment avec la RDC où, selon toute vraisemblance, il soutient la rébellion qui sème la terreur à l'Est du pays. Si Kagamé parvient à relever ces défis, il pourrait entrer dans l'Histoire par la grande porte ; lui qui n'a eu de cesse de renvoyer l'alternance aux calendes grecques dans son pays.