Après les deux trêves humanitaires de 15 jours chacune décrétées par les USA dans le cadre de la guerre à l'Est de la RDC sur fond de l'organisation des élections générales rwandaises qui ont vu l'autocrate Paul Kagame l'emporter plus qu'à la soviétique, il s'en est suivi, une fois de plus avec l'appui des Américains, un cessez-le-feu signé ce 30 juillet à Luanda entre Kinshasa et Kigali, sous la médiation du président angolais Joao Lourenço.
Entré en vigueur le 03 août à 23 H 59', heure locale, ce cessez-le-feu, qui remet à plat la question des FDLR et que le M23, déterminé à étendre ses conquêtes territoriales, ne semble pas reconnaître, est loin de rassurer les Congolais, dont nombreux n'ont pas manqué d'exprimer une vive colère et dénoncent le flou qui l'entoure. Quels sont alors les risques et les avantages de ce cessez-le-feu pour lequel le président Félix Tshisekedi a donné son aval à partir de Bruxelles où il était en séjour médical ?
Ce 06 août, soit six jours après la communication de la présidence de la République au sujet de son état de santé qui avait nécessité un suivi en Belgique, l'empêchant de ce fait de participer le 2 août aux commémorations du Genocost à Kisangani, le président Félix Tshisekedi a donné de la voix à partir de la capitale belge à travers la radio Top Congo, coupant ainsi court à toutes les spéculations et rumeurs sur sa santé.
A l'occasion, il a fait un survol de la situation socio-économico-politique et sécuritaire du pays. S'agissant de l'aspect sécuritaire, plus précisément de la guerre à l'Est du pays, il a confirmé l'accord de cessez-le-feu signé tout récemment à Luanda entre Kinshasa et Kigali qu'il a piloté, côté congolais, à partir de Bruxelles à travers la délégation conduite par la ministre d'Etat et ministre des Affaires étrangères Thérèse Kayikwamba.
A en croire le président congolais, ce cessez-le-feu est le fait des Rwandais par les Américains pour lesquels les autorités congolaises ont une oreille attentive. Il a laissé entendre qu'il faut qu'on en finisse une fois pour toutes avec cette question des FDLR. Pour lui, il n'y aura pas en fait des négociations avec son homologue rwandais, il va plutôt lui parler afin qu'il retire ses militaires du Congo. En aucun cas, a-t-il dit, il n'est point question de négocier avec les pantins rwandais du M23 et de l'AFC (Alliance Fleuve Congo) de Corneille Nangaa pour donner lieu au mixage et brassage des troupes comme jadis.
Sans jambages, il a souligné que c'est Joseph Kabila à la recherche d'une insurrection qui se cache derrière Nangaa. Donc, l'AFC c'est Joseph Kabila.
En effet, la capitale angolaise a accueilli ce 31 juillet la deuxième réunion ministérielle entre le Rwanda et la RDC. Celle-ci a accouché d'un accord de cessez-le-feu illimité entré en vigueur le 04 août à minuit.
Annonçant ce pacte, le président angolais a laissé entendre qu'il sera supervisé par le mécanisme de vérification ad hoc, renforcé en référence au système de planification déjà créé en réponse aux violences. Aucun autre détail n'a été donné par le médiateur bien que, entretemps, la question de sa portée par rapport aux trêves humanitaires taraude les esprits.
Cependant, cet accord, salué par les USA qui en sont à la manoeuvre, la France, la Belgique et l'Union européenne, a suscité aussi bien la colère que de nombreuses critiques de la part des Congolais qui sont convaincus que le meilleur langage que comprendrait le Rwanda c'est celui des armes.
Car, non seulement le flou persiste dans ledit accord, mais aussi l'expérience a démontré par le passé que Kigali a toujours profité de telles situations pour tourner la RDC en bourrique, faisant jouer de ce fait, pour des nouvelles conquêtes territoriales, ses pseudo-rebelles congolais qui, souvent, ne s'empêchent de se désolidariser de leur parrain et mentor. Point n'est besoin de souligner que l'actuel cessez-le-feu, qui est à ses débuts, n'a pas fait exception. Lorgnant après le chute de Kanyabayonga sur Beni, Butembo et Lubero avec des perspectives sur l'Ituri ou la Tshopo, le M23-AFC ne s'est pas empêché de capter d'autres localités dans le Nord-Kivu, dont Nyamilima et Ishasha.
Aussi, bien de Congolais sont irrités par la remise à plat de la question des FDLR que le Rwanda continue, 30 ans après l'invasion du Congo, à brandir comme un danger à ses frontières pour le remake du génocide. Pourtant, depuis tous ces temps, le territoire rwandais n'a jamais été attaqué à partir du pays de Lumumba et que, trois décennies après, les fameux génocidaires rwandais n'ont plus la même posture.
Qu'est-ce qui a poussé Kinshasa à cet accord ?
Soutien du Rwanda, Washington, qui ne cesse de clamer qu'il n'y aura pas d'issue militaire à la crise à l'Est de la RDC, semble revoir son cap sur cette dernière dont l'importance se passe de tout commentaire par ces temps de transition énergétique et numérique. A cet effet, il exerce une vive pression sur Kigali et Kinshasa pour des nouvelles perspectives dans la sous-région des Grands Lacs qui n'est pas à l'abri d'autres puissances, notamment la Russie et la Chine.
Pour pousser à la table des négociations la RDC qui avait posé des conditions, notamment le retrait préalable des troupes rwandaises estimées présentement à 4 000 hommes ou plus, les USA ont émis quelques signaux. C'est notamment l'adoption par le Conseil de sécurité de la Résolution 2746 (2024) autorisant le soutien renforcé des Nations unies, par le biais de la MONUSCO, à la force de la SADC en RDC (SAMIRDC).
Résolution dont s'est félicitée la mission onusienne et qui, selon elle, constitue une marque d'engagement de la communauté internationale en soutien aux efforts de sécurité et de stabilisation en RDC. Lequel engagement va se traduire par l'apport d'une assistance, notamment à travers une coordination améliorée, un partage d'informations et un soutien technique et logistique dans le but de renforcer les capacités de la SAMIRDC, tout en assurant les normes internationales en matière de droit international humanitaire et des droits de l'homme. Aussi, la MONUSCO devra mettre à disposition ses actifs aériens et logistiques pour les opérations médicales et les évacuations des blessés, tout en facilitant les mouvements des troupes de la SAMIRDC en préservant la sécurité ses personnels.
En effet, sous prétexte de ne pas attiser les tensions régionales, Washington s'était opposé il y a un mois (le 08 juillet) au soutien complet de l'ONU à la SAMIRDC sollicité par l'UA et la SADC pour appuyer l'armée congolaise à combattre les rebelles du M23 soutenus par l'armée rwandaise. Il en avait appelé ainsi à un soutien plutôt limité.
Donc, cette Résolution, dont on attend sans atermoiement la mise en oeuvre effective, est une perche que la RDC ne pouvait ne pas saisir. Sur ces entrefaites, le Rwanda est de plus en plus perçu sous des primes quelque peu déformants. Par exemple, ses relations avec la Belgique sont de plus en plus tendues ; cette dernière ayant décidé de retirer sa demande d'agrément au Rwanda pour la nomination d'un nouvel ambassadeur belge à Kigali.
Ceci non sans compter l'opposition du Rwanda à la nomination d'un diplomate belge comme envoyé spécial de l'Union européenne dans la sous-région des Grands Lacs. Aussi, Londres, un des grands soutiens occidentaux de Kigali, n'a pas hésité, à l'avènement du tout nouveau premier ministre, d'envoyer à la poubelle l'accord faisant de Kigali son sous-traitant en matière des migrants au Royaume Uni. Même la France, qui caresse le Rwanda dans le sens des poils en raison de sa responsabilité supposée dans le génocide, l'appelle à retirer ses soudards du Congo.
Ainsi qu'il semble se dégager, le contexte diplomatique et géopolitique est quelque peu flatteur pour Kinshasa. Est-ce pour autant qu'il tire des avantages de ce cessez-le-feu ? En revanche, quels en sont les risques ?
Généralement, le cessez-le-feu, pour autant qu'il soit respecté, signifie l'arrêt des combats et augure une ère des négociations pouvant conduire aux accords de paix en vue de penser développement. En outre, pour le cas en espèce, il crée les conditions d'une désescalade entre la RDC et le Rwanda, desserre l'étau sur la population congolaise à la fois cible et victime des dommages collatéraux, permet une circulation aussi bien des hommes qui peuvent ainsi rejoindre leurs patelins que de l'aide humanitaire qui peut, dans ce cas, parvenir aux sinistrés et autres vulnérables éparpillés dans les zones en conflit ou aux alentours.
Mais, comme l'a démontré l'expérience depuis 30 ans, les trêves et cessez-le-feu sont des moments propices pour le régime de Kigali de prendre un répit pour se réorganiser afin de devenir plus redoutable et étendre ainsi ses zones d'influence au Congo, de façon à faire pencher en sa faveur les négociations à venir. A cet effet, il utilise ses supplétifs, le M23 autrefois et l'AFC présentement, comme cheval de Troie qui, à chaque fois, déclare ne pas se reconnaître dans les accords signés par leur mentor connu de toute la communauté internationale qui tourne, cependant, autour du pot en lieu et place de le sanctionner.
Point n'est besoin de rappeler, comme le note le journaliste Nicaise Kibel'Bel Oka dans son nouveau livre « Rébellions rwandaises au Kivu (1996-2024). Une stratégie de la balkanisation du Congo », que le tyran rwandais bénéficie jusque-là du « privilège de l'impunité internationale » sur lequel son pays construit sa stratégie de renaissance et toute sa diplomatie d'influence dans la sous-région.
Et de soutenir, citant Titi Palé : « Paul Kagame s'est servi de cette ressource capitale du privilège de l'impunité non seulement pour commettre des actes criminels en interne, pourchassant ses ennemis d'hier et procédant à des chasses aux sorcières, mais détournant également l'attention des observateurs de ce qui se passe en interne pour ne considérer que la responsabilité des pays occidentaux et de leurs diplomates qui n'ont pas empêché le pire ». Les crimes, il les a commis aussi à l'extérieur, en l'occurrence en RDC.
Le grand risque pour la RDC réside dans le fait que les FARDC, malgré une certaine montée en puissance, éprouvent de la peine, parce qu'infiltrées massivement jadis à coup de mixage et de brassage avec impact négatif sur la chaîne de commandement, à servir de rampe de lancement et de soutien à la diplomatie congolaise.
La bonne foi n'existant pas dans une guerre, ces dernières se doivent, cependant, de se préparer, sur fond des réformes à impulser, pour parer à toute éventualité. Elles doivent être vigilantes et ne pas miser en soi sur ce cessez-le-feu qui est plus un acte politique.
Joseph Kabila, un autre acteur qui s'invite au conflit
Au cours de son interview à Top Congo, le président Félix Tshisekedi ne s'est fait pas prier pour présenter son prédécesseur Joseph Kabila comme un nouvel acteur dans le conflit à l'Est du Congo. Il a dit sans circonlocutions que Corneille Nangaa, c'est lui. Cette déclaration est retournée dans tous les sens par les analystes politiques et les états-majors politiques au Congo, voire ailleurs.
Le camp Kabila crie quant à lui aux affabulations pour détourner l'attention de la population sur la situation difficile que traverse le pays sur le plan tant socio-économique que sécuritaire. Secrétaire permanent adjoint du PPRD, Ferdinand Kambere, pour ne citer que lui, s'étonne de la déclaration du président Félix Tshisekedi, alors que leur Autorité morale n'a nullement été citée dans le procès de Corneille Nangaa et consorts qui vient de se terminer par des condamnations à mort à la pelle.
Sans doute que le haut cadre du PPRD n'a pas suivi ce procès avec assiduité. Joseph Kabila a été bel et bien cité comme étant de mèche avec le leader de l'AFC par un de ses lieutenants arrêtés en Tanzanie et rapatrié au Congo, Eric Kuba.
A dire vrai, à son niveau de responsabilité, le président Félix Tshisekedi ne peut faire pareille déclaration s'il n'a pas suffisamment d'informations vérifiées et recoupées. Jusqu'à preuve du contraire, il reste la personne la mieux informée en RDC, alimentée en cela par les services de sécurité tant civils que militaires nationaux, voire par certains canaux étrangers.
Le fait que l'ancien président Joseph Kabila soit sorti du pays clandestinement après qu'il se soit plaint auprès de certains présidents africains et ambassadeurs occidentaux accrédités en RDC au motif que la nasse du régime en place semblait se refermer sur ses partisans, est indicateur de son état d'âme. Cette sortie excluait, en principe, son retour normal au pays.
En effet, il ne peut s'expliquer et convaincre sur le fait qu'il ait franchi de la sorte les frontières nationales. En d'autres termes, il ne peut regagner le Congo à condition soit de trouver un compromis avec son successeur, soit de renverser son régime ou de participer à son renversement. Joseph Kabila connaît non seulement l'armée et les services de sécurité en RDC, mais aussi les principaux personnages qui en sont aux commandes.
A l'annonce par Augustin Kabuya, secrétaire générale de l'UDPS, de ce départ clandestin du pays de l'ancien président de la République, les uns parmi les grosses têtes de sa famille politique avaient, à gorge déployée, soutenu que rien de tel n'était vrai, tandis que les autres tenaient à faire voir qu'il se retrouvait hors du pays pour des questions liées à ses recherches académiques. Mais personne d'entre eux n'a jamais expliqué pourquoi il a dû quitter le pays de cette manière, sans laisser des traces à la DGM.
D'ailleurs, en juillet 2023, le président ougandais Museveni l'avait accusé de soutenir les ADF en leur permettant d'établir de vastes camps et de mener des activités économiques. Incriminé, Joseph Kabila avait, à travers un communiqué, démenti les accusations du chef de l'Etat ougandais, les qualifiant de fausses, gratuites et tout simplement de ridicules visant à distraire le peuple congolais et à le diviser. En passant, le maître de Kampala en avait eu pour son grade, car présenté comme l'un des principaux déstabilisateurs de la région.
Régira-t-il aussi de la sorte à la déclaration de son successeur ?
Rien n'est moins sûr. Mais est-il qu'il n'a jamais condamné la prise des armes par Corneille Nangaa sous instigation du Rwanda, ni ses partisans qui ont rallié son mouvement. Il est aussi à se demander s'il avait, pendant ses 18 ans de règne, effectivement coupé le cordon ombilical avec le régime rwandais dont il est l'émanation.