Afrique: Au diapason des soucis des citoyens - Les priorités populaires d'action gouvernementale et leur évolution

La liste des problèmes les plus importants des Africains montre une préoccupation accrue concernant la gestion économique et la criminalité/sécurité.

Key findings

  • A travers 39 pays africains, nous observons un pessimisme généralisé : 66% des répondants estiment que leur pays va dans la mauvaise direction (Figure 1). o Ces appréciations s'aggravent rapidement. Il y a 10 ans, les citoyens de 30 pays étaient à égalité entre « bonne direction » (47%) et « mauvaise direction » (46%). Mais après une baisse de 20 points de pourcentage des appréciations positives, ceux qui répondent « mauvaise direction » sont aujourd'hui deux fois plus nombreux que ceux qui ont une opinion positive. o Des majorités dans 30 pays sur 39 conviennent que le pays va dans la mauvaise direction, avec en tête 92% des Soudanais et 91% des Gabonais (Figure 2).
  • Les enjeux économiques figurent en tête de liste des préoccupations publiques, un Africain sur trois (33%) citant le chômage parmi les problèmes les plus importants auxquels le gouvernement doit s'attaquer et presque autant mentionnant la gestion de l'économie (29%). Par ailleurs, 12% des répondants accordent la priorité à la pauvreté (classée 10ème) (Figure 3). Dans l'ensemble, 84% de tous les répondants mentionnent des préoccupations économiques (Figure 4).
  • Les infrastructures publiques sont également une préoccupation majeure, l'approvisionnement en eau (22%) et les infrastructures/routes (22%) arrivant en quatrième et cinquième position et l'approvisionnement en électricité (12%) en neuvième position. Au total, six répondants sur 10 (60%) considèrent que les problèmes d'infrastructure sont critiques.
  • Presque autant (58%) identifient la prestation de services sociaux comme une priorité, dont près du tiers mentionnent la santé (29%, classée troisième) et un sur cinq personnes mentionnent l'éducation (20%, classée sixième).
  • Les questions de gouvernance sont mentionnées par 42% des répondants, dont 20% accordent priorité à la criminalité et à la sécurité (7ème rang) et 11% à la corruption (classée 11ème).
  • Les questions relatives à l'alimentation et à l'agriculture sont mentionnées par un répondant sur quatre (26%), y compris les crises alimentaires (15%, huitième) ainsi que l'agriculture, l'élevage et la commercialisation des produits agricoles (9%).
  • Certaines des disparités les plus évidentes apparaissent lorsque l'on compare les personnes qui connaissent les niveaux de pauvreté vécue1 les plus élevés à celles qui sont les plus à l'aise au plan économique. Les répondants qui vivent des niveaux élevés de pauvreté accordent beaucoup plus d'importance que les plus aisés à l'approvisionnement en eau (32% contre 8%), à l'insuffisance alimentaire (21% contre 7%) et aux infrastructures/routes (23% contre 13%), et nettement moins à la gestion de l'économie (23% contre 33%) (Figure 5).
  • D'importantes disparités s'associent également au niveau d'instruction. Par rapport aux citoyens ayant des qualifications post-secondaires, ceux qui n'ont pas été scolarisés sont beaucoup plus susceptibles de mentionner l'approvisionnement en eau (32% contre 12%), l'insuffisance alimentaire (25% contre 8%) et les enjeux agricoles (13% contre 3%), tandis que les plus instruits sont beaucoup plus préoccupés par le chômage (42% contre 20%) (Figure 6).
  • Nous observons également que les résidents urbains sont nettement plus préoccupés par le chômage que leurs concitoyens ruraux (41% contre 26%), ainsi que par la gestion de l'économie (33% contre 26%) et la criminalité/la sécurité (23% contre 17%), mais moins préoccupés par l'approvisionnement en eau (14% contre 29%) et les infrastructures (17% contre 26%) (Figure 7).
  • Les disparités liées à l'âge sont beaucoup plus modestes : par rapport aux personnes âgées, les jeunes se disent plus préoccupés par le chômage (36% contre 27%) et l'éducation (21% contre 16%), mais les disparités ne sont pas significatives pour le reste (Figure 8).
  • Il n'existe pas de grande disparité entre les hommes et les femmes pour ce qui est des priorités d'action gouvernementale.
  • Le chômage, premier problème à l'échelle continentale, se classe comme le problème le plus fréquemment mentionné dans 11 des 39 pays sondés. Il est cité par la moitié au moins des répondants dans sept pays, le Cabo Verde en tête (60%), et par 20% au moins des répondants dans 30 pays (Figure 9). Mais la priorisation de l'emploi n'est pas universelle : aux Seychelles et au Soudan, moins de 10% des répondants mentionnent l'emploi comme une priorité.
  • Si la gestion de l'économie et la santé arrivent en deuxième position à l'échelle continentale, les profils nationaux de ces questions sont très variés. La gestion économique est la première priorité dans 14 pays ; elle est citée par 92% des Tunisiens et dépasse les 50% dans deux autres pays (le Soudan et le Malawi) (Figure 10). La santé est la première préoccupation dans quatre pays seulement - l'Angola (44%), São Tomé et Príncipe (40%), la Tanzanie (38%) et l'Ouganda (48%) - et la deuxième dans huit autres, dont le Gabon (52%), le seul pays où elle dépasse les 50% (Figure 11).
  • Les problèmes les plus importants dans les autres pays sont plus variés : o L'approvisionnement en eau arrive en tête au Bénin (43%) et au Mozambique (37%) et se classe deuxième dans sept pays, en tête desquels la Guinée (49%) (Figure 12). o Les infrastructures et les routes arrivent en tête en Guinée (58%) et au Lesotho (46%) (Figure 13), tandis que l'éducation est la question dominante au Libéria (47%) et en Mauritanie (42%) et est également citée par 43% des Gabonais (troisième question la plus importante) (Figure 14). o Plus de la moitié des Burkinabè s'inquiètent de la criminalité et de la sécurité (53%), ce qui en fait le problème No.1 dans ce pays. Cette question est également la plus importante au Nigéria (41%) et arrive en deuxième position au Mali (49%), au Cabo Verde (46%) et dans quatre autres pays (Figure 15). o Enfin, la préoccupation No. 1 au Niger et au Mali est l'insuffisance alimentaire ou la famine, citée par 53% et 50%, respectivement (Figure 16).
  • La focalisation générale sur le chômage n'a pas beaucoup évolué : Les mentions de ce problème à travers les 30 pays sondés au cours de la dernière décennie n'ont baissé que de 3 points de pourcentage, de 37% à 34% (Figure 17). o Mais sept pays ont connu d'importantes régressions (8 points de pourcentage ou plus) dans la priorité accordée à ce problème, notamment en Tunisie (-24 points) et en Afrique du Sud (-20 points). Quatre pays ont connu de similaires hausses substantielles, en tête desquels le Togo (+12 points).
  • La plus grande variation s'est produite dans la priorité accordée à la gestion de l'économie, qui s'est accrue de 14 points de pourcentage au cours de la dernière décennie (Figure 17). o Un seul pays, l'Ouganda, a connu une régression substantielle de la priorité accordée à cette question (-13 points), tandis que 18 pays ont enregistré des hausses marquées, en tête desquels la Zambie (+37 points), la Tunisie (+36 points), le Sénégal (+34 points) et le Ghana (+31 points).2
  • Malgré la pandémie de COVID-19 qui a secoué le monde en 2020-2021, il n'y a pas de hausse globale de la priorité accordée aux questions de santé à travers 30 pays (Figure 17). o Mais avec les troubles civils et politiques qui ont secoué le pays, la santé a chuté de 29 points au Burkina Faso, tandis que les habitants du Cabo Verde (+15 points) et de l'Ouganda (+16 points) accordent beaucoup plus d'importance à cette question qu'il y a 10 ans.
  • Dans l'ensemble, l'approvisionnement en eau n'a pratiquement pas changé de priorité. Mais nous constatons à nouveau que les Burkinabè ont changé d'orientation, avec une baisse de 36 points sur cette question, ainsi que des régressions significatives à Maurice, au Malawi, au Cabo Verde et au Botswana et des hausses significatives en Côte d'Ivoire, au Nigéria et au Zimbabwe (Figure 18).
  • Nous observons également peu de variations globales dans l'importance accordée aux infrastructures et à l'éducation (Figure 18), bien que l'importance accordée aux infrastructures ait plus que doublé au Lesotho (+25 points), et que la priorité accordée à l'éducation ait régressé de manière significative en Sierra Leone (-19 points) et en Zambie (-19 points). Mais davantage d'Ougandais (+14 points) et de Guinéens (+13 points) s'orientent vers l'éducation.
  • La criminalité/sécurité est la deuxième question qui suscite le plus de préoccupations, non seulement dans quelques pays, mais aussi dans l'indicateur global des 30 pays, qui s'est accru de 7 points entre 2011/2013 et 2021/2023 (Figure 19). o Plusieurs pays enregistrent des hausses remarquables, notamment le Burkina Faso (+45 points), le Mali (+40 points), le Niger (+27 points), le Sénégal (+24 points) et le Soudan (+15 points), qui ont tous récemment connu des coups d'Etat ou de graves troubles politiques. o Seuls les Tunisiens (-23 points) affichent une baisse comparable de cette préoccupation.
  • Si la gestion de l'économie est devenue une préoccupation croissante, la sécurité alimentaire (-3 points) et la pauvreté (-9 points) ont reculé (Figure 19). Quand bien même ces trois préoccupations reflètent un malaise économique, le changement d'orientation de la faim et de la pauvreté à une gestion plus globale de l'économie pourrait laisser entrevoir une amélioration générale des conditions économiques. o Les Guinéens (-22 points) et les Kenyans (-16 points) se préoccupent beaucoup moins de la sécurité alimentaire qu'il y a 10 ans. o On constate parallèlement une baisse substantielle de la mention de la pauvreté dans 16 pays, au premier rang desquels le Botswana (-26 points), le Sénégal (-25), le Lesotho (-24), et Maurice (-20).
  • Bien que les préoccupations relatives à l'approvisionnement en électricité aient perdu de leur importance au Cabo Verde (-25 points) et au Zimbabwe (-14 points), elles sont montées en flèche en Afrique du Sud (+19 points), le pays demeurant confronté à de fréquents délestages (Figure 20).
  • La corruption est devenue moins prioritaire au Maroc (-13 points) et au Nigéria (-13), soit en raison des progrès réalisés dans la lutte contre ce fléau, soit parce qu'elle a été remplacée par d'autres problèmes (Figure 20). En revanche, l'inquiétude des Kényans vis-à-vis de la corruption a fait un bond, et a plus que doublé (+18 points) pour atteindre 35% au cours de la dernière décennie.
  • La Figure 21 montre l'évolution dans le temps des priorités des citoyens de 36 des 39 pays inclus dans le Round 9. Les trois autres pays ont été sondés pour la première fois dans le cadre du 9e round, aussi seules les données actuelles sont présentées.

La définition des priorités est une fonction essentielle des gouvernements. Quand les ressources sont restreintes - c'est-à-dire toujours - les gouvernements doivent fixer des priorités avant de se lancer dans l'action politique. Mais les priorités peuvent être définies de diverses manières. Elles peuvent répondre aux caprices des dirigeants. Elles peuvent être influencées par des lobbyistes ou d'autres partisans ou bénéficiaires d'actions particulières. En Afrique, l'établissement du plan d'action a souvent été contesté, beaucoup se plaignant que les priorités sont dictées par des acteurs extérieurs tels que les institutions financières internationales ou les partenaires bilatéraux ou mondiaux.

Depuis 2000, les Nations Unies jouent collectivement un rôle plus important, d'abord par le biais des huit objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) qui ont fondamentalement façonné le discours international sur le développement de 2000 à 2015. Les OMD ont été suivis par les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) pour 2015-2030 (Nations Unies, 2024). Toujours en 2015, l'Union Africaine a adopté l' « Agenda 2063 : L'Afrique que nous voulons », reflétant des progrès significatifs dans le retour de la prérogative de la définition des plans d'action sur le continent africain (Union Africaine, 2015).

Cependant, nul n'ignore que l'Agenda 2063 est un plan vaste et ambitieux. Avec 20 objectifs et 39 « domaines prioritaires », la mise en oeuvre de l'ensemble de ce plan dépasserait probablement les capacités d'un gouvernement, même doté des ressources les plus importantes. L'Agenda 2063 établit un cadre de développement utile pour le continent, mais les pays individuellement ont encore beaucoup de travail à faire pour identifier leurs propres priorités.

Si les gouvernements peuvent recourir à diverses sources de données, de réflexions et d'informations pour définir leurs priorités, Afrobarometer soutient depuis longtemps qu'il est primordial de commencer par comprendre les priorités des citoyens. C'est pourquoi Afrobarometer recueille des données sur les priorités populaires depuis sa création en 1999, ce qui signifie que nous disposons de 25 ans de données sur les préoccupations des citoyens dans certains pays, et d'au moins 10 ans de données dans 30 pays. Chaque enquête Afrobarometer demande aux répondants quels sont, selon eux, les problèmes les plus importants auxquels leur gouvernement devrait s'attaquer, et accepte jusqu'à trois réponses par personne. Nous codons ensuite les réponses spontanées des répondants dans environ trois douzaines de segments politiques.

Ce rapport présente les résultats relatifs aux priorités populaires de nos récentes enquêtes du Round 9, réalisées dans 39 pays entre fin 2021 et mi-2023, et suit l'évolution des priorités au fil du temps dans les 30 pays dont nous disposons de données depuis le Round 5 (2011/2013). Nous présentons les résultats sous plusieurs angles : 1) les priorités à l'échelle du continent et leur évolution dans le temps ; 2) les divergences de priorités entre groupes démographiques (en fonction de l'âge, du sexe, de la localisation urbaine ou rurale, de l'éducation et du statut économique) ; et 3) les priorités au niveau national et leur évolution dans le temps. Les principaux chiffres sont résumés ci-dessous et illustrés dans les nombreux graphiques et tableaux qui suivent.

Mohamed Najib Ben Saad Mohamed Nejib Ben Saad is the data quality manager for post-fieldwork at Afrobarometer.

Carolyn Logan Carolyn is the director of analysis and capacity building at Afrobarometer.

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