L'emploi au Sénégal est devenu très précaire depuis plusieurs années. Cependant, cette tendance s'est accentuée avec la politique du nouveau régime en place qui traque les entreprises pour paiement de fiscalité.
Dans cette démarche, c'est l'employé qui semble être le grand perdant, partagé entre perte de son emploi et retards ou encore arriérés de salaire.
La proportion d'emplois salariés a augmenté au Sénégal, cette année, atteignant 40,7% du total des emplois, contre 39,4% l'année précédente. Selon le dernier Rapport de l'Enquête sur les emplois au Sénégal, mené par l'Agence nationale de la statistique et de la démographique (Ansd), pour le premier semestre 2024, cette augmentation est plus marquée chez les hommes (45,7%) que chez les femmes (31,1%), et en milieu urbain (46,6%) par rapport au milieu rural (28,9%).
Concernant le taux de chômage au sens élargi, il est de 23,2%, en hausse par rapport aux 21,5% de l'année précédente. Ce taux est significativement plus élevé en milieu rural, avec 31,7%, qu'en milieu urbain où il est de 17,5%. Les femmes sont particulièrement touchées par le chômage, avec un taux de 36,7% contre 13,3% pour les hommes.
Aujourd'hui, ce taux de chômage risque de connaître une situation exponentielle, puisque depuis trois à quatre mois, le nouveau régime mène une campagne de recouvrement fiscal qui est en train de mettre en difficultés plusieurs entreprises dont certaines refusent de s'y soumettre, au prix de déclarer faillite. Si le taux de chômage risque de continuer sur sa vitesse de croisière, en enregistrant une hausse, son corollaire sera la baisse de l'employabilité au Sénégal avec la fermeture déjà de plusieurs sociétés, pour défaut de paiement de fiscalité.
Une situation qui découle de la nouvelle politique du régime en place qui a mis l'accent sur le recouvrement des fiscalités des entreprises, sans exception, y compris celles qui pourtant s'efforçaient jusque-là, malgré les difficultés, de payer les impôts et qui vivent une pression fiscale «sans commune mesure». Les nouveaux dirigeants se disent intransigeants sur cette affaire.
Une démarche qui peut contribuer à tempérer l'espoir de Sénégalais qui ont opté pour un changement de régime, pour de meilleures conditions de travail mais aussi de vie. Car, actuellement, des travailleurs qui continuent de vivre avec des salaires de «misère», notamment dans le privé, qui ne leur permettent pas de joindre les deux bouts avec la cherté des denrées et du loyer, peinent à percevoir leurs émoluments à la fin du mois.
Entre retards et arriérés de salaires, paiement par tranches/reliquats, ils sont habités par la hantise de voir leur société mettre la clé sous le paillasson. Les «mauvaises habitudes» reprennent du service, avec l'émigration irrégulière des jeunes avec à la clé les nombreux drames notés ces dernières semaines, en termes de chavirement d'embarcations de migrants à la recherche de lendemains meilleurs hors de leur pays.
DÉVELOPPEMENT DU SECTEUR PRIVÉ AU SÉNÉGAL
Dans cette situation de perte d'emplois, c'est le secteur privé qui est le plus exposé. Ce sont ses entreprises qui doivent à l'Etat, depuis des années, pour la majorité, des redevances fiscales. Des millions pour certaines et des milliards pour d'autres. Or, le secteur est pourvoyeur d'emplois, puisqu'en 2022, l'Ansd soulignait, dans un de ces rapports, qu'au Sénégal, l'emploi formel dans le secteur privé a sensiblement progressé pour atteindre 340.656 salariés au 3e trimestre 2022, contre 329.365 un an plus tôt, enregistrant ainsi une croissance de 3,4%. On note, en outre, que 74% des employés du secteur privé sont des travailleurs permanents, contre 26% de travailleurs saisonniers.
Il faut aussi souligner que le secteur privé sénégalais est essentiellement constitué de Petites et moyennes entreprise (Pme) qui représentent près de 90% des entreprises au Sénégal et concentrent environ 40% des emplois et 25% du chiffre d'affaires. Ces entreprises contribuent à̀ 20% à la valeur ajoutée nationale. Une situation qui avait conduit l'ancien régime à accentuer le Partenariat Privé Public (Ppp), afin de lutter contre la précarité des emplois dans le privé.
Déjà, depuis 2003, le Sénégal a entrepris un vaste programme d'amélioration du climat des affaires dont la baisse de l'impôt sur les sociétés, la facilitation des procédures de création des entreprises, la réduction des frais de transferts de propriété́, la simplification des procédures et la réduction des délais en Douane. Grâce à ces mesures, le Sénégal a été́ classé parmi les dix (10) plus grands réformateurs dans le Rapport «Doing Business» de 2009. Cependant, un ralentissement de la mise en oeuvre de certaines reformes a conduit à̀ un recul dans ce classement de référence. Et la fermeture présentement de certaines entreprises, pour défaut de paiement, pourrait contribuer à accentuer la situation, même si la machine est déjà en marche depuis quelques années.
Rappelons que dès les premières annonces de cette mesure de déclaration de la dette et/ou redressement concernant la fiscalité par le gouvernement, des entreprises ont commencé à tirer la sonnette d'alarme, sollicitant l'ouverture de négociation pour trouver un terrain d'entente. Le gouvernement qui tient à son «Jub, Jubal, jubanti» semble fermer la porte à ce débat.
Dans le secteur des médias qui est déjà au bord de l'asphyxie avec la suspension des tous ou presque les contrats et conventions avec les sociétés et structures étatiques, une délégation de la Convention des jeunes reporters (Cjrs) conduite par son président, profitant de l'audience que leur a accordée le président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, a exposé le problème du paiement des impôts au chef de l'État.
Ce dernier s'est voulu clair : «c'est une obligation légale pour toute entreprise de payer les impôts afin de soutenir les efforts de l'Etat dans la prise en charge des besoins de la population. Les exonérations fiscales ne doivent pas être perçues comme un droit acquis et ne doivent pas être la règle quand elles surviennent à la suite de violations manifestes de la loi fiscale». Et d'ajouter : «il s'agit d'une question de justice et d'équité dont l'Etat est garant et qui s'applique à toutes les entreprises, quel que soit leur domaine d'activité».
Deux mois après cette annonce, on ne note toujours pas de rencontres avec les acteurs et l'Etat sur la question, malgré les sollicitations du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (Cdeps) dans ce sens. Alors que des entreprises continuent de mettre au chômage leurs travailleurs, avec comme excuse, le manque de recettes et autres difficultés financières. L'État, pour certaines entreprises qui ne se sont pas conformées aux obligations, a tout simplement gelé les comptes. La conséquence qui a découlé de cette mesure est la perte des emplois.
Par exemple, la société 1Xbet a mis en chômage ses employés depuis le 31 juillet dernier, des entreprises de presses ont licencié certains de leurs travailleurs. Et l'on assiste, toujours dans la presse, à la fermeture d'organes de comme Stade et Sunu Lamb, des Kiosques (avec le Groupe Africome). Chez nombre d'autres entreprises et organes, les travailleurs vivent des retards et/ou arriérés de salaires. L'heure est plus que grave pour des travailleurs qui paient les pots qu'ils n'ont pas cassé, dans ce bras de fer Etat/employeurs.