Pour beaucoup, les annonces faites vendredi dernier par les ministres des Finances et du Travail, Renganaden Padayachy et Soodesh Callichurn, ont un parfum électoraliste. D'autres, cependant, préfèrent voir dans cette somme un moyen de mettre du beurre dans les épinards. Néanmoins, l'ombre des réductions d'effectifs plane sur plusieurs secteurs, suscitant une certaine inquiétude.
Cette nouvelle augmentation salariale concerne 106 590 personnes qui travaillent dans le secteur privé, avec des salaires compris entre Rs 20 000 et Rs 50 000. Un autre point soulevé concerne la répartition des salaires pour les détenteurs de diplômes universitaires. Ainsi, les titulaires d'un Degree (licence) percevront un salaire de Rs 25 000, tandis que ceux ayant un diploma pourront bénéficier d'un salaire de base de Rs 23 000. «Quel parent accepterait que son enfant touche un tel salaire après tous les sacrifices consentis pour obtenir ces diplômes ?» se demande Stephane Maurymoothoo, président du Regroupement artisan morisien. Il s'interroge également sur l'éventualité que ces bas salaires poussent les jeunes à chercher du travail à l'étranger, où ils pourraient prétendre à de meilleures primes.
Depuis 2020, le pays a connu une hausse salariale significative, et les petites et moyennes entreprises (PME) en ressentent chaque impact. «Nous subissons ces augmentations et, en conséquence, nous devons répercuter ces coûts sur nos prix. Les clients, de plus en plus, réclament des réductions et certains préfèrent se tourner vers des braconniers présents dans notre industrie. Certains prétendent être experts dans quatre ou cinq métiers, mais finissent par tout faire de travers. Mais qui encourage cette pratique ? N'est-ce pas le résultat de toutes ces hausses ?» Celui qui souhaite maintenir un certain standard dans son secteur se voit contraint de réduire son personnel.
«Depuis 2020, de nombreuses PME ont dû se résoudre à réduire leurs effectifs.» Stephane Maurymoothoo confie que de nombreux «contracteurs» sont désormais contraints de devenir gardiens ou chauffeurs. «Ils disent qu'ils ne peuvent plus supporter le coût du personnel.» Concernant la dernière hausse salariale, il s'interroge sur le temps qu'il a fallu au gouvernement pour en arriver à ces chiffres. «Aujourd'hui, on se demande quel type de soutien les autorités envisagent de proposer aux PME.»
Ces préoccupations sont également partagées par Raj Appadu, président du Front commun des commerçants de l'île Maurice, qui pousse la réflexion encore plus loin. «Quel avenir attend les commerces de Maurice après ces augmentations ? Nous sommes déjà en difficulté, surtout avec la hausse des matières premières à l'étranger, sans parler de la dépréciation de notre roupie. Comment pourrons-nous continuer à acheter des produits dans des pays comme l'Afrique du Sud, l'Inde ou la Malaisie ? Le secteur du commerce se trouve dans une impasse.» Concernant le marché du travail, le risque de réduction d'effectifs est palpable.
«Les employeurs des petits commerces doivent non seulement penser aux salaires de leurs employés, mais aussi à leur marge de profit, sans oublier les coûts fixes tels que l'électricité, l'eau courante et le loyer de l'emplacement.» D'autres questions émergent, notamment sur les aides qui seront proposées pour permettre aux employeurs de verser ces salaires. «D'où viendra cet argent ? Si le gouvernement actuel remporte les prochaines élections, il faudra s'attendre à une cascade de hausses de prix.» La population pourrait en pâtir, surtout si la roupie continue de déprécier comme c'est le cas actuellement, avertit Raj Appadu.
Reeaz Chuttoo, président de la Confédération des travailleurs des secteurs public et privé, souligne le fait que la hausse salariale annoncée reste inférieure au salaire minimum, qui devrait atteindre Rs 21 000. «Selon la dernière enquête sur le budget des ménages réalisée en décembre 2023, les dépenses mensuelles moyennes s'élèvent à Rs 42 000 pour un foyer avec 1,4 gagne-pain. C'est pourquoi les autorités doivent envisager une augmentation des salaires, afin d'éviter que le pays ne soit sanctionné.» Il rappelle que Maurice est désormais classé comme un pays à revenu intermédiaire supérieur. «De la richesse est créée et sans une distribution équitable, le pays pourrait être contraint de payer des taux d'intérêt élevés sur le marché international.» Il critique également la mise en oeuvre de cette hausse, qu'il estime avoir été faite sans prendre en compte les différentes catégories professionnelles. «Tout cela a été fait à la va-vite», conclut-il.
Il précise également qu'il ne faut pas confondre cette hausse avec la compensation pour la perte de pouvoir d'achat. «Cette compensation devra être accordée en octobre. Actuellement, il n'est question ni d'ancienneté ni de durée de service. Peut-être est-ce une stratégie pour inciter les Mauriciens à chercher du travail à l'étranger, permettant ainsi aux employeurs de recruter des travailleurs étrangers qui seraient finalement moins bien payés que les locaux.»