Burkina Faso: Détention provisoire - Des victimes en silence

De nombreuses personnes prévenues, inculpées ou accusées, après avoir séjourné en prison dans le cadre de la détention provisoire sont relaxées pour infraction non constituée ou pour manque de preuves suffisantes pour les condamner.

Après tout ce temps passé en taule, ces personnes, désormais libres de leur mouvement, n'ont aucun moyen de se faire réparer le tort causé « injustement » par les instances judiciaires. Meurtries et blessées dans leur âme, ces victimes de la détention provisoire injustifiée ne souhaitent qu'une seule chose : que justice leur soit rendue pour le temps perdu et l'honneur bafoué. Reportage !

Alassane (nom d'emprunt), commerçant dans une localité de la province du Kénédougou (Orodara), a comparu, le 27 mai 2024, pour répondre des faits de détention de drogue devant les juges à l'audience de la chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de (TGI) de Bobo-Dioulasso. Selon le récit des faits, ce commerçant, qui fait régulièrement, la navette entre la cité de Sya et son lieu de travail, a été appréhendé au cours d'un contrôle policier lors d'un de ses voyages à l'entrée de la capitale économique du Burkina Faso.

Stupéfait de ce que lui-même venait de découvrir par-devers lui, il jure de tous les noms ne pas savoir comment la drogue s'est retrouvée dans son sac de voyage. Peine perdue ! Ces arguments ne vont pas le sauver. Manu militari, il est menotté et embarqué directement à la Maison d'arrêt et de correction de Bobo (MACB) où, il passera des mois avant son procès. Pendant qu'il cogitait en détention, les enquêtes vont révéler la source de l'introduction de la drogue dans le sac du commerçant de céréales.

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En effet, le jour de son déplacement, il constate, une fois à la gare, avoir omis de prendre son sac à la boutique. C'est là qu'il appelle le fils de son bailleur qui travaille avec lui de le lui apporter. Ce qui fut fait. En cours de route, Alassane reçoit un coup de fil de son bailleur lui signifiant avoir introduit un colis dans ledit sac dont le destinataire récupérera une fois à Bobo-Dioulasso.

Le sac étant dans les coffres du car, il n'a pas eu le temps de vérifier la nature de ce colis jusqu'au poste de contrôle où, il découvre en même temps ce « fameux colis » avec les flics. Avant cette affaire, son bailleur, qui était recherché pour détention de stupéfiants, a été mis aux arrêts. Le parquet, à la lumière des enquêtes préliminaires et des débats au procès, a requis la relaxe du prévenu pour infraction non commise.

Une profusion de cas

Une réquisition que le tribunal a suivie en accordant la liberté à sieur Alassane pour infraction non commise après qu'il ait passé des mois en prison « pour rien ». Alassane reprend ses activités commerciales sans que le temps passé en prison ne soit réparé. L'histoire de Alassane est loin d'être un cas isolé dans le système judiciaire au Burkina Faso.

Elles sont nombreuses, ces personnes qui ont croupi dans les prisons dans le cadre de la détention provisoire pendant des mois ou même des années qui, au finish, sont relaxées comme Alassane pour infractions non commises ou pour des non-lieux. Issouf (nom d'emprunt) et quatre autres, tous personnels de l'éducation dans une zone à fort défi sécuritaire dans les années 2015 ont subi le même sort.

Ces commis de l'Etat, accusés de complicité de terrorisme ont séjourné en taule pendant plus de deux longues années avant d'être mis en liberté parce qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves pour les condamner. Quatre ans après avoir recouvré sa liberté, Issouf a de vifs souvenirs de son « cauchemar ». « C'est une tache noire indélébile de ma vie que je ne pourrai jamais oublier », martèle-t-il, les yeux imbibés de larmes. Son malheur, poursuit Issouf, a été d'avoir allié une activité de vente d'unités de communication à son activité d'éducateur.

« Des personnes venaient acheter des unités de recharge chez moi sans que je ne les connaisse forcément », soutient cet ancien détenu de la Prison de haute sécurité de Ouagadougou (PHSO). Ainsi, des gens, qui n'étaient autres que des fils du village où lui et ses collègues officiaient, se procuraient en unités de communication auprès de lui avant de rejoindre le camp des terroristes. « Presque toutes ces personnes avaient leurs numéros chez moi parce qu'avant d'être terroristes, on se fréquentait.

Donc, il y a eu cette familiarité bien avant l'avènement du terrorisme », précise-t-il. Malgré ces explications, Issouf n'a pas échappé aux accusations de complicité avec ces anciennes connaissances, aujourd'hui terroristes. A cet effet, il a été mis aux arrêts et transféré de la localité de son service à la prison de haute sécurité, un jour du mois d'octobre 2017 pour recouvrer sa liberté en janvier 2020.

Deux ans et quelques mois, c'est le temps passé dans cette prison dans des conditions de détention que Issouf narre tout en pleurs. « Nous étions neuf dans une cellule qui devrait contenir quatre personnes selon les standards. Les conditions d'hygiène n'y étaient pas. Il y avait tellement de poux qui nécessitaient une désinfection permanente.

Pour les maladies, ce ne sont que les cas graves qui étaient pris en charge », fait-il savoir. La mine froissée, hantée de peur, avec méfiance, Romaric (nom d'emprunt), coaccusé de Issouf, conte avec colère son séjour à la prison jusqu'à son acquittement. Un épisode qui, dit-il, a marqué lui aussi sa vie à jamais.

« Il n'a pas reconnu sa propre fille »

A la question de savoir comment il a vécu cette situation ? La tête baissée, un grand soupire après une vingtaine de secondes de silence, les yeux rouges, ce quinquagénaire, d'une voix sèche pleine d'amertume, se lâche. « Très mal ! J'ai vécu très mal cette situation. C'est une humiliation, car je suis un éducateur. J'ai été bafoué dans ma dignité et dans mon honneur. Cette situation est comme la mort dans l'âme.

Ma famille l'a vécue difficilement, surtout ma femme. Rien ne pourra effacer l'humiliation et le préjudice moral subis. C'est une injustice qui m'a été faite, et seul Dieu peut la réparer », fulmine-t-il. Le passage entre cette maison d'arrêt, pendant deux ans, a laissé des trous de mémoire à Issouf. « C'est le pire moment de ma vie que j'ai passé dans cette prison de haute sécurité.

Certes, nous n'avons pas été victimes de sévices corporels, mais psychologiquement, j'ai été touché. C'était un calvaire. J'ai eu un choc et jusqu'à présent, ma mémoire me joue des tours », se confie-t-il. Le frère de Issouf, à chaudes larmes, ne cache pas son désarroi quand on aborde avec lui le sujet.

« Je souffrais dans l'âme à chaque fois que je lui rendais visite en prison. Ma plus grande douleur a été le jour où, pour avoir passé tout ce temps entre quatre murs, loin de sa famille, il n'a pas reconnu sa propre fille qui avait à peine deux ans quand on le mettait aux arrêts », raconte-t-il en sanglots. Toutes ces personnes au destin commun n'ont qu'un seul souhait : demander réparation pour cette injustice.

Il est impossible pour Romaric de rattraper le temps perdu ni de laver l'honneur bafoué, mais il n'hésiterait pas, dit-il, à demander réparation pour cette injustice. « Si, j'ai la possibilité, c'est de réclamer une réparation pour ce tort causé par ceux-là mêmes qui sont censés rendre la justice.

C'est impossible pour que je redevienne comme avant. Mais pour l'injustice faite à ma famille, à mes amis, à mon entourage, pour mon honneur bafoué, j'exigerai une réparation », soutient sans détour Romaric qui n'admet pas avoir passé tout ce temps en taule pour être libéré un beau jour parce qu'il n'y avait pas de charges contre lui.

« Qui paye pour cette humiliation gratuite, pour ce temps perdu ? Moi, je suis un fonctionnaire de l'Etat. J'ai toujours conservé mon salaire même étant en détention. Aujourd'hui, j'ai mon boulot, mais qu'en est-il de toutes ces victimes du monde paysan ou des commerçants qui ont aussi été accusées à tort comme moi ? Elles sont libérées, mais sans rien. Sans une réparation, comment peuvent-elles s'en sortir, surtout avec ce poids moral ? », se questionne-t-il. Une multitude d'interrogations qui restent sans réponse chez Romaric.

Possibilité de réparation ?

A sa libération, Issouf a eu l'idée de demander réparation. « J'ai pensé à demander des réparations. J'en ai même posé le problème à mon avocat et il m'a fait savoir que si c'était dans les pays européens, on vous verse des indemnités après un tort de ce genre. Mais qu'ici (ndlr Burkina Faso) c'est complexe », fait-il savoir avec un air de déception. Le frère de Issouf, lui en veut aux Officiers de la police judiciaires (OPJ), aux complices de cette « mascarade », et même aux acteurs de la justice qui, par négligence, selon lui, ont été à l'origine de ce séjour en prison « sans fondement ».

« Si, l'Etat a la possibilité de punir toutes les personnes qui transgressent les lois de la cité, ce même Etat doit aussi pouvoir punir ceux-là aussi qui, par leur mauvais travail, causent du tort aux honnêtes citoyens », estime-t-il. Selon le président de la CAGIDH, chargé des questions judiciaires à l'Assemblée législative de Transition (ALT), Lacina Guiti, le législateur dans le nouveau Code de la procédure pénale a prévu des dispositions pour demander réparation après une détention provisoire injustifiée ou abusive.

« Lorsqu'une personne est victime d'une détention provisoire abusive, la loi lui donne droit à une réparation », informe le député à l'ALT. Pour ce faire, la personne doit fournir les preuves de sa détention abusive. « Vous devez fournir les preuves du début de votre détention caractérisée et votre liberté par des documents pour assigner l'Etat en justice pour le mauvais fonctionnement dont vous avez été victime », détaille-t-il.

Le substitut du procureur, près le TGI de Bobo-Dioulasso, Jean Noël Samivo Bonzi, est septique à l'aboutissement d'une telle procédure pour une quelconque réparation. En plus de la complexité de la procédure, la juridiction compétente, pour connaitre un tel dossier pose problème aux dires du substitut du procureur. « La question principale qui se pose est : quelle juridiction faut-il saisir ?

Pour l'instant, il n'y a pas de recours à une réparation sauf pour une personne audacieuse qui saisit les juridictions internationales », soutient le substitut Bonzi. Toutes personnes victimes de prévention provisoire qui ont saisi les tribunaux administratifs n'ont pas eu gain de cause, à en croire Jean Noël Samivo Bonzi. « Les quelques décisions qu'on a pu consulter, sans être un spécialiste du droit administratif, les juridictions de l'ordre administratif se sont toujours déclarées incompétentes pour sanctionner les actes posés par les acteurs des juridictions de l'ordre judiciaire », indique Me Bonzi.

Le législateur interpelé

D'ailleurs, poursuit Jean Noël Samivo Bonzi, le procureur ou le juge d'instruction ne fait qu'appliquer la loi en détenant de façon provisoire une personne soupçonnée d'une infraction même si en fin de compte cette décision est source de préjudice. Seul l'Etat peut être assigné en justice pour ce dysfonctionnement, précise Lacina Guiti, mais pas les acteurs de la justice qui bénéficient d'une immunité dans leur fonction.

« Le parquet est inattaquable. Ce qui veut dire que le procureur et ses substituts ne peuvent pas être poursuivis pour avoir posé des actes judiciaires ou des actes en lien avec le parquet. Ils ne peuvent pas répondre de ces actes, car, ils ont une immunité », dit-il. Ainsi, il appartient à l'Etat de répondre de ces préjudices et non des acteurs qui les ont posés.

« Si dans cet élan de rendre la justice, les acteurs judiciaires posent des actes préjudiciables à quelqu'un, il appartient à l'Etat de prévoir les mécanismes nécessaires pour que ces personnes puissent avoir une réparation », préconise, Jean Noël Samivo Bonzi. Il souhaite à cet effet que le législateur du Burkina Faso s'inspire de la France qui a créé une commission nationale de réparation des détentions au niveau de la Cour de cassation pour se pencher sur les cas de détentions provisoires injustifiées.

« C'est un grand soulagement pour les victimes d'être libres après le séjour en prison. Et engager la responsabilité de l'Etat pour réparation du tort causé peut paraître comme un affront judiciaire. Mais, il va falloir que le pouvoir législatif prévoie des mécanismes pour permettre à ces victimes d'obtenir une réparation pour atténuer cette injustice », conclut le substitut du procureur, près le Tribunal de grande instance de Bobo-Dioulasso.

Pourquoi la détention provisoire ?

La détention provisoire est une mesure exceptionnelle consistant à détenir une personne dans un établissement pénitentiaire avant son jugement. Elle est justifiée par plusieurs raisons. D'abord dans l'intérêt de protéger la personne détenue des représailles des victimes. Ensuite, pour garantir la représentation, l'on décide de garder à portée de main jusqu'au jugement la personne à qui des faits infractionnels ou criminels sont reprochés. «

Au risque que la personne poursuivie ne fasse disparaitre les preuves de ce dont on l'accuse, le procureur ou le juge d'instruction peut décider de sa détention provisoire », précise le substitut du procureur du Faso près le Tribunal de grande instance (TGI) de Bobo-Dioulasso, Jean Noël Samivo Bonzi. Il y a deux types de détenus provisoires, aux dires du président de la Commission des affaires générales institutionnelles, et des droits humains (CAGIDH) à l'Assemblée législative de la Transition (ALT), Lassina Guiti.

Il s'agit, cite-t-il, des détenus du parquet sous mandat de dépôt du procureur et ceux mis en examen qui sont sous mandat de dépôt du juge d'instruction. « Conformément au nouveau code de procédure pénale, lorsque vous êtes sous mandat de dépôt du procureur, il est fixé un délai pour que vous soyez jugé, un délai qui ne saurait excéder actuellement un mois.

Cependant, pour ce qui concerne la mise en examen, c'est-à-dire les détenus provisoires relevant des cabinets d'instruction, la durée de la détention provisoire varie en fonction de la gravité de l'infraction », détaille le député à l'Assemblée législative de la Transition (ALT), Lassina Guiti. Si fait que la personne peut passer des mois ou des années en prison sans être condamnée pour manque de preuves ou pour infraction non constituée.

 

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