Il ne faut pas se voiler la face. Le timing de l'annonce de l'exercice de réajustement salarial, par le tandem Callichurn-Padayachy, vendredi dernier, demeure éminemment politique. Affirmer le contraire, c'est prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages. Certes, «the writing was on the wall» pendant un certain temps, avec le ministre du Travail rassurant la grande masse de travailleurs au Parlement et ailleurs que le rapport sur le réalignement salarial était prêt, cela après notamment l'augmentation du salaire minimum de 27 % en janvier 2024 à Rs 15 000. C'était une question de quand et du quantum.
On peut comprendre que la nouvelle posture des bénéficiaires du salaire minimum, au nombre de plus de 141 000, qui avec sa compensation salariale de Rs 1 500 et l'allocation de la Contribution sociale généralisée de Rs 2 000, alignent aujourd'hui Rs 18 500 mensuellement, est venu bousculer la hiérarchie salariale de ceux touchant spécifiquement entre Rs 20 000 et Rs 50 000 mensuellement. Comme on peut comprendre également la logique qui veut qu'entre un cleaner et un accounts clerk dans le privé ou encore un management support officer dans la fonction publique, il ne puisse y avoir que seulement quelques milliers de roupies qui séparent l'un de l'autre, sans nécessairement porter un jugement de valeur sur la nature du travail dans les deux cas. Il y avait donc un rééquilibrage salarial à opérer, réclamé à cor et à cri par l'ensemble de la classe syndicale.
Il va de soi que cette ultime annonce à la veille des élections, complétant une série d'interventions ciblant différents segments de la population (retraités, jeunes, femmes avec la prime à l'emploi, la classe moyenne avec la fiscalité progressive, fonctionnaires, bénéficiaires du salaire minimum, etc.), est largement perçue comme une démarche électorale. Même si personne ne conteste le fait qu'elle va soulager momentanément une importante catégorie de travailleurs en y mettant entre leurs mains quelques milliers de roupies le mois prochain avec l'effet rétroactif de deux mois, juillet et août. Soit entre Rs 1 760 et Rs 3 425.
L'alliance gouvernementale joue certainement son va-tout avec cette ultime mesure populiste, après celles annoncées dans le dernier exercice budgétaire, qui restent pour certains des souvenirs lointains, n'ayant pu dégager le feel good factor escompté malgré la propagande de la télévision nationale. Il y a certes un calcul politique car les bénéficiaires de ce réalignement salarial représentent 60 % de la maind'oeuvre du privé, soit 197 042 ; encore que pour la fonction publique, le Premier ministre, sentant la grogne qui s'est installée après l'annonce d'une allocation intérimaire de 5 % aux fonctionnaires, en attendant la publication du rapport PRB début 2026, s'est livré à un damage control dimanche, à l'issue d'une cérémonie socioculturelle.
Pour le moment, le privé souffle le chaud et le froid. L'instance suprême, Business Mauritius, laisse entendre à l'hôtel du gouvernement qu'à la faveur de l'augmentation salariale de janvier 2024, il y a eu au moins 50 % des entreprises qui auraient déjà réaligné partiellement les salaires de leurs employés après l'augmentation du salaire minimum, en attendant d'autres qui emboîteront le pas d'ici le mois prochain. Un tel réalignement salarial pèsera lourd sur la masse salariale des entreprises privées, plus de Rs 4,5 milliards, selon les estimations des autorités. Si certaines peuvent les absorber, d'autres non, plus particulièrement les petites et moyennes entreprises qui bénéficient toujours de l'aide financière de l'État pour financer les dernières compensations salariales alors que celui-ci a, une nouvelle fois, proposé de les soutenir financièrement pour s'assurer qu'il n'y ait plus de distorsion dans la grille salariale.
Pour autant, il ne faut pas s'attendre, nous diton, à ce que l'État vienne à la rescousse de certains conglomérats se recoupant dans plusieurs secteurs d'activité, engrangeant des revenus en milliards de roupies ces dernières années et réalisant déjà la performance pré-pandémique.
Si Business Mauritius insiste sur le fait que «les salaires ne doivent pas être pris comme un enjeu politique», il souffre en même temps d'un déficit de crédibilité à trop vouloir crier au loup chaque fois que ses membres sont confrontés à des révisions salariales et qu'il sortent les mêmes arguments à chaque fois pour justifier la fragilité financière de leur trésorerie. Au Trésor public, les techniciens ont fait le calcul : depuis 2019, la rentabilité des entreprises a augmenté de 225 % et on a rayé, dans le même temps, selon certains syndicalistes, des dettes de Rs 21 milliards depuis le Covid-19.
D'une mesure à l'autre, on peut s'interroger sur la rationalité des largesses du gouvernement au chéquier si facile et généreux sans pour autant régler la problématique de la cherté de la vie. Les économistes ne cessent de répéter qu'à la base de la baisse du pouvoir d'achat est la dépréciation de la roupie depuis 2019, celle-ci s'étant accélérée en 2020 suivant le one-off grant de Rs 60 milliards de la Banque de Maurice à l'État, injecté d'ailleurs dans le circuit économique et faisant flamber la spirale inflationniste. Du coup, les ménages se livrent à un cercle vicieux : toute augmentation salariale relance mécaniquement l'inflation avec les prix qui s'enflamment dans les supermarchés et la MRA qui, au final, encaisse de la TVA à la fin de la journée sur la consommation. Soit ce que l'État donne par la main gauche, il le retire par la main droite.
Alors, quoi faire ? Il faut attaquer au coeur du problème pour redonner de la valeur à la roupie. Évidemment, c'est «easier said than done». Les spécialistes diront que la population comme les opérateurs doivent regagner la confiance en la monnaie, ce qui viendra mécaniquement éliminer cette pénurie de devises à laquelle les importateurs et les voyageurs mauriciens sont toujours confrontés.
À La Louise dimanche, le leader de l'alliance de l'opposition, Navin Ramgoolam, qui s'engage à honorer les engagements pris par l'actuel gouvernement en cas de victoire, soutient que la solution face à cette crise de confiance passe par un changement des dirigeants à la tête du pays. Attendons pour voir. Alors que le leader mauve, Paul Bérenger, reconnaît de son côté que le redressement du pays sera difficile. Faut-il s'attendre à une éventuelle période d'austérité ?
Quoi qu'il en soit, la campagne électorale est visiblement lancée. Il faut s'attendre à ce que l'opposition passe à l'offensive alors que les yeux sont braqués sur la prochaine annonce de Pravind Jugnauth !