Afrique: Comment calcule-t-on le nombre de décès attribuables à la chaleur ?

Avec le réchauffement climatique, causé par l'homme, les vagues de chaleurs n'épargnent aucun continent. Et de plus en plus souvent les températures extrêmes causent la mort. L'Inde a comptabilisé plus de 100 décès dus à la chaleur en juin, Tokyo a annoncé 120 décès pour juillet. Le réseau World Weather Attribution craint des centaines, voire des milliers de morts dans les pays du Sahel. Et pour l'Europe, une nouvelle étude table même sur près de 48 mille décès au cours de l'année dernière.

Comment calculer le nombre de décès attribuable à la chaleur ? C'est la question que se posent les scientifiques dans le monde entier en ce moment. Pour les pathologies directement liées aux températures extrêmes, comme l'hyperthermie - que l'on appelle communément « coup de chaleur » - ou la déshydratation, c'est relativement simple : ces causes sont directement inscrites sur l'acte de décès et peuvent donc être recensées par les autorités. Mais la chaleur aggrave aussi des pathologies préexistantes.

« Près de la moitié des décès durant une vague de chaleur sont dus à des causes cardio-vasculaires. Il peut y avoir aussi des problèmes respiratoires ou une insuffisance rénale, explique Kristie Ebi, professeur à l'Université de Washington. Pour notre corps, il est vital de maintenir sa température dans une certaine fourchette. Au-delà, nos cellules et nos organes chauffent. Et notre coeur, par exemple, risque de réagir à cette chaleur par une crise cardiaque ».

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Les décès indirects attribuables aux fortes chaleurs bien plus nombreux que les décès directs

C'est là que le recensement par les autorités se complique : quand un patient meurt durant une vague de chaleur des suites d'une crise cardiaque à l'hôpital, c'est cette cause qui est inscrite sur l'acte de décès. Or, au moment des températures extrêmes, ces décès sont bien plus nombreux que ceux liés à l'hyperthermie ou à la déshydratation.

« C'est ce qu'on appelle la surmortalité attribuable à la chaleur », développe encore l'épidémiologiste américaine Kristie Ebi qui étudie les effets du changement climatique sur la santé humaine depuis plus de trente ans. Dans certains pays, on tente désormais de chiffrer cette surmortalité. « On regarde combien de personnes sont mortes durant la vague de chaleur et on compare ce chiffre avec le nombre de morts de la même période durant les années précédentes sans vague de chaleur. La différence entre les deux nombres, c'est le chiffre de la surmortalité ».

Tout l'enjeu est de trouver la bonne méthode de calcul de la période prise en compte pour faire cette comparaison des chiffres. Car des gens continuent de mourir à cause des effets de la chaleur sur leur organisme même après la fin d'une canicule.

En Afrique, bon nombre de décès échappent à la surveillance de la mortalité

Dans des pays où des actes de décès ne sont pas systématiquement émis, les difficultés pour recenser la mortalité durant une vague de chaleur extrême sont encore plus nombreuses. C'est le cas dans certains pays d'Asie du Sud-Est, mais aussi sur le continent africain.

Le directeur général de l'Institut Pasteur à Bangui, le professeur Yap Boum II, regrette que de nombreux lieux reculés passent sous les radars des autorités : « En Centrafrique par exemple, une partie importante de la population n'est pas couverte par les systèmes de surveillance de la mortalité. Cela est dû aux défis logistiques, sanitaires et surtout sécuritaires. Nous faisons aussi face à des aspects culturels : les populations musulmanes vont enterrer leurs morts assez rapidement. Dans certaines localités (ces décès) peuvent également échapper aux systèmes de surveillance de la mortalité ».

Yap Boum II explique que sur le continent africain, « la mortalité est surveillée aujourd'hui au niveau des formations sanitaires, dans les hôpitaux, mais également dans les communautés. Jusqu'ici, les critères permettaient de connaître les causes de décès liées à des maladies ou à des traumas, comme des accidents par exemple. Mais les récentes vagues de chaleurs importantes, que nous avons connus au Cameroun, au Tchad et dans de nombreux autres pays, a renforcé le projet porté par le CDC Afrique ». Le Centre africain pour le contrôle et la prévention des maladies travaille à « intégrer les paramètres liés à la chaleur pour savoir quels sont exactement les critères et les questions qu'il faut poser pour obtenir cette information ».

« La plupart des décès durant une canicule pourraient être évités »

Avoir accès à ces données est en effet primordial : pour mieux adapter des politiques publiques afin de protéger les populations de la chaleur, ainsi que pour sensibiliser l'opinion publique mondiale. « Trop de personnes ne prennent pas au sérieux les vagues de chaleur, jusqu'à ce qu'il soit trop tard. La conscience collective n'est pas encore à la hauteur de l'enjeu », constate l'épidémiologiste américaine Kristie Ebi qui insiste sur le fait que « la plupart des décès liés à la chaleur pourraient être évités ».

À Bangui, le professeur Yap Boum II soutient qu'« il est critique pour les pays africains d'avoir accès aux nombres de décès attribuables à la chaleur. Ce sera un indicateur supplémentaire et transparent de l'impact que nous subissons par rapport au réchauffement climatique ». Un indicateur à mettre en avant lors des négociations climatiques internationales.

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