Déposer les armes et reconstruire le Soudan. C'est l'appel lancé par plusieurs artistes soudanais réfugiés au Kenya. Car parmi les plus de 10 millions de personnes déplacées dans le pays et plus de 2 millions qui l'ont fui, des artistes ont trouvé refuge à Nairobi. Ils sont au sein d'une résidence artistique, The Rest. Jusqu'au 23 août, ils exposent leurs oeuvres dans une galerie d'art de la capitale kényane.
De la photographie, des peintures, des sculptures ou encore des films : une vingtaine d'artistes soudanais sont représentés dans cette exposition. Ibrahim, surnommé « Snoopy » fait partie du projet. Ce réalisateur a fui le Soudan après trois mois de conflit. Face à l'exposition, il décrit avoir un sentiment « mitigé » :
« Je suis heureux de voir tous ces artistes réunis, de découvrir des oeuvres que je n'ai jamais vues, explique-t-il. Mais en même temps, si nous avons été réunis ici, c'est à cause de la guerre. J'essaye de ne pas me laisser dominer par les sentiments et de profiter de l'exposition, car l'émotion peut vite monter. »
Cette émotion est vite palpable chez Muna Mutasim, quand elle parle de son art. Une partie de sa famille vit encore au Soudan, près des affrontements. Derrière elle, des morceaux de bois colorés sont suspendus pour représenter des souvenirs, un sommier est accroché au mur, des chaises peintes disposées au sol. Son installation invite à se plonger dans l'intimité des foyers soudanais.
« Je voulais que les Soudanais aient un sentiment de familiarité en voyant cette installation mais aussi que les non-soudanais découvrent ce que nous avons perdu, explique Muna Mutasim. Les souvenirs sont représentés brisés car avec les traumatismes que nous avons subis, la mémoire flanche. C'est tout ce qu'il nous reste : des fragments de souvenirs et la nostalgie de notre chez nous. »
Muna Mutasim insiste : il faut parler de la guerre au Soudan et de ses conséquences sur la population.
Pour Rahiem Shadad, le commissaire de l'exposition, ce projet va au-delà de l'art. Il joue un rôle d'archive, dans le contexte d'une guerre qui s'enlise, loin des yeux du grand public.
Pour moi, une archive peut aussi bien être notre tee-shirt préféré, nos photos de famille que nos lieux collectifs, de convergence, comme une gare de bus. Or la guerre a commencé d'une manière très personnelle, dans nos foyers. Notre maison a été vandalisée et pillée une semaine après le début du conflit par exemple. Travailler avec des artistes dans ce contexte est très important, ils nous montrent que ces archives ne sont pas complètement perdues, qu'elles vivent en nous. Et ce alors que de nouvelles générations vont arriver, vont trouver des soudanais avec de nouveaux accents, avec une culture peut-être différente à cause de tous les déplacements de population. Donc c'est très important que les artistes peignent aujourd'hui, racontent cette histoire, racontent comment ces changements ont commencé. De façon à ce que les générations suivantes puissent comprendre que ce n'était pas de notre volonté. Le Soudan traverse un black-out médiatique et l'art est en quelque sorte une façon d'apporter une couverture médiatique. C'est le moyen dont nous disposons à l'heure actuelle pour parler de la situation.