Dans quatorze mois, il y aura de nouveau une élection présidentielle au Cameroun. Un scrutin qui dans ce pays ne s'est jamais véritablement déroulé dans le strict et absolu respect des règles démocratiques qui doivent prévaloir dans ce genre d'exercice, et, qui présentera en outre entre autres choses, deux curiosités. Premièrement, on pourrait revoir Mr Paul Biya, le chef de l'Etat actuel, bien que donnant de manière de plus en plus visible de réels signes de fatigue, solliciter pour la huitième fois un nouveau mandat présidentiel de sept ans.
Et, contrairement à ce que l'on pourrait penser, pour nous, la curiosité ne réside pas dans son état physique défaillant que son respectable âge considérablement avancé explique, mais dans le fait que son entourage s'obstine à refuser d'admettre ce fait pourtant de plus en plus évident partout et à toutes les occasions où il est désormais obligé de paraître en public. Une chose qui vient de se produire à Paris, et qui a d'ailleurs notamment fait l'objet de commentaires de certains médias français, pendant le voyage qu'il vient d'effectuer en France à l'occasion de l'ouverture des jeux olympiques.
Deuxièmement, alors que les résultats qu'on attend légitimement de cette élection préoccupent au plus haut point les Camerounais, l'inadéquation qu'il y a entre, d'une part, l'importance des enjeux, et d'autre part, la qualité et la pertinence de l'offre politique que proposent les forces qui vont y participer, ne semble non seulement pas être clairement identifiée et perçue par les intéressés, mais aussi et surtout, ne pas poser problème à grand monde alors que justement, ce sont ces considérants qui conditionnent absolument le changement systémique que tout le monde attend depuis soixante-quatre ans dans notre pays.
Le changement pas seulement au niveau de la direction de l'appareil d'État, mais aussi à celui de la pratique affirmée du panafricanisme souverainiste proclamé et assumé par le Cameroun, que beaucoup voyaient à la pointe de ce combat, compte tenu de l'histoire particulière des années 1950-1960, de la façon dont il accédé à l'indépendance.
Mais comme d'habitude malheureusement depuis ces années-là, les choses se passent plutôt comme si on avait toujours pas compris que même et surtout en politique, on ne peut pas récolter dans un champ qui n'a pas été au préalable labouré et ensemencé. On fait manifestement vraiment ici peu de cas de l'ingénierie politique qui guide pourtant partout ailleurs les appareils partisans dans l'action politique.
On ne prépare sérieusement rien en amont, mais on attend des résultats en aval un peu comme si on espérait une manne tombant du ciel. Et pire même, on s'en remet plutôt complètement au hasard puisqu'on fait totalement fi des expériences organisationnelles qui ont pourtant fait leurs preuves sous d'autres cieux et même en Afrique noire.
Dans ce registre, pour montrer qu'une autre option existe et que d'autres compatriotes au Cameroun même, y avaient déjà réfléchi, voici ce que nous sommes allés exciper dans l'opuscule "Problèmes d'organisation de l'UPC et du Manidem", un support didactique imprimé en 1978, de l'école centrale de formation des cadres supérieurs du parti de Ruben Um Nyobé, et donc naturellement élaboré bien avant sa date d'impression.
Un document qui définit en fait ce qu'est au sens pratique et même noble du terme, un parti politique, et qui traite donc de l'importance dans ce domaine, de la nécessité de l'organisation des choses en amont. "Organiser des personnes, c'est les regrouper de telle sorte qu'elles puissent poursuivre ensemble, de manière relativement durable, un certain nombre d'objectifs. Une fois que des personnes sont regroupées pour oeuvrer à la poursuite d'un certain nombre d'objectifs, cet ensemble acquiert une existence propre qui dépasse - qui transcende même - chacun des individus.
Quand le regroupement est permanent et s'efforce de manière également permanente d'atteindre les objectifs pour lesquels il a été créé, on parle alors d'organisation. Ce sont naturellement des hommes et des femmes partageant les mêmes aspirations ou poursuivant les mêmes objectifs qui peuvent oeuvrer de manière cohérente dans une organisation créée à cette fin..."
Comme on le constate, il ne s'agit ni plus ni moins que d'un égrégore qui s'applique tout autant à un parti politique, l'autre entité de regroupement des hommes et des femmes poursuivant un but commun, qui nous intersse ici, et qui sur le plan des objectifs qu'il se fixe généralement d'atteindre, et du fonctionnement qu'il met en oeuvre pour y parvenir, procède pratiquement dans la même logique qui est de rassembler le plus grand nombre de personnes possible pour agir sur la société et influencer efficacement ses membres dans le but d'atteindre ce qu'ils considèrent comme le graal.
A la suite de cet exposé de faits et d'intentions, l'on doit donc objectivement entre autres choses se demander si au Cameroun, en dehors de l'UPC-Manidem, un autre parti politique répond à cet exigent cahier de charges ? Et pourquoi justement l'UPC-Manidem ferait-elle cette exception ? Simplement parce qu'elle a été initiee dans les années qui ont suivi l'assassinat du président Ernest Ouandié en 1971, par le Cdt Kissamba, l'inspirateur pour ne pas dire l'auteur du manuel sus-cité en référence.
Et, pour revenir donc à la question de l'égrégore et des regroupements dignes de la qualification de parti politique, commençons par le RDPC et demandons nous s'il est un parti politique dont tous les membres, d'une part, partagent les mêmes aspirations, et d'autre part, poursuivent les mêmes objectifs ? La réponse est tout simplement non dans le contexte camerounais où priment uniquement des considérations d'ordre matériel et non pas idéologique.
Et ensuite, bien naturellement, posons-nous la même question au sujet de la majorité des autres partis politiques dont objectivement le Rdpc, le parti-État qui a succédé à l'UNC en 1985 et qui est trente neuf ans après, encore aujourd'hui en 2024 au pouvoir au Cameroun, est objectivement considéré comme la maison-mère de cette nébuleuse.
Et c'est seulement une fois que cette précision est faite sur ce que nous considérons comme la matrice des obligés de la néocolonisation, que la question doit alors également bien naturellement s'etendre aux autres partis politiques du pays et notamment aux plus en vue d'entre eux, le MRC, le SDF, le PCRN, et même subsidiairement, aux Alliances qui viennent de voir le jour dans la perspective de 2025, l'ATP et l'APC.
Un ensemble de forces qui se réclament de l'opposition et qui en tant que telles ambitionnent de prendre eux aussi les commandes du pays en 2025. Et dans la même veine, afin de clore ce registre, que l'on ne nous en veuille surtout pas de ne pas parler de la totalité de plus de 300 partis politiques camerounais qui n'ont en réalité vu le jour que pour servir les intérêts du régime rdpeciste qui use et abuse du sempiternel principe du diviser pour régner.
Des partis dont l'immense majorité n'existe que sur le papier, mais dont tout au plus une dizaine seulement ont droit au chapitre du volet de l'action politique concrète qui est absolument nécessaire dans la perspective de l'élection présidentielle de 2025, pendant laquelle les partis politiques vont de nouveau être appelés à concourir pour solliciter les suffrages des populations. Toute chose qui suppose par définition qu'il y aura plusieurs offres politiques dignes de ce nom, non seulement sur le plan idéologique, mais aussi sur celui des projets politiques de société.
Malheureusement, si l'on se réfère au développement qui a introduit ce document et qui encore une fois, est un égrégore, et si l'on observe aussi une fois encore la réalité concrète de la chose politique dans notre pays depuis 1990, année où l'UPC a cessé d'exister sous la direction du Cdt Kissamba en tant que force combattante et unie pour la véritable indépendance du Cameroun, et où le désordre et la cacophonie se sont installés par la présence et la prédominance de formations politiques issues du moule néocolonial, l'on est bien naturellement amené à se demander quelle est donc la différence au niveau des aspirations et des objectifs programmatiques, entre les différents partis politiques camerounais que nous avons cités plus haut ?
Et la réponse est objectivement, aucune. Et ceci non pas seulement parce qu'à une, deux ou trois exceptions, pratiquement tous les partis politiques du pays, ont à leurs têtes des anciens membres de l'Union camerounaise (U.C.), le parti-creuset qui a été mis en selle par la puissance coloniale au moment où le pays a accédé à son indépendance controversée et croupion en 1960, parti qui est par la force des événements, devenu après l'Union nationale camerounaise (UNC), et ensuite, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC).
Un parti-amiral qui bien évidemment n'a de cesse de métastaser et de faire bien naturellement des petits dans un univers kafkaïen où la politique est malheureusement surtout considérée comme un gagne-pain.
Si tant est donc que sur le plan idéologique, il y a un continium, ce n'est pas objectivement dans l'offre programmatique des uns et des autres de ces succédanés qu'on pourrait sur le fond trouver des contradictions antagoniques puisque qu'il s'agit d'hommes et de femmes possédant la même doctrine politique et défendant in fine les mêmes intérêts qui sont ici des intérêts néocoloniaux. Même pipe donc, et même tabac !
Tel que se présente donc le décor politique au Cameroun en 2024, si rien n'est sérieusement et vigoureusement fait pour changer structurellement la donne, les mêmes causes produiront les mêmes effets à l'issue de l'élection présidentielle d'octobre 2025. Nous assisterons simplement au cours de ce scrutin une fois encore, à la reconduction du système néocolonial mis en place dans notre pays en 1960.
Pour éviter qu'il n'en soit ainsi, il est indispensable que les forces alternatives s'entendent pour aller à cette élection avec l'unique objectif de mettre en place a travers des États Généraux de la nation dont la durée s'étendra pendant un mandat présidentiel, une dynamique de progrès qui ouvrira une nouvelle perspective historique à notre pays.
Jean-Pierre Djemba, 1er Vice-président du PSP/UPC (nommé par l'émerite et défunt Ngouo Woungly-Massaga, Fondateur-président national), potentiel candidat par défaut ou par dépit, à l'élection présidentielle de 2025.