Somalie: Traiter les causes profondes des problèmes du pays

La Somalie a été confrontée à des décennies de conflit armé, d'instabilité sociale et politique et aux effets négatifs du changement climatique. Le gouvernement fédéral et les partenaires de développement s'accordent sur le fait que si la Somalie veut combler l'écart qui la sépare du reste du monde, elle ne peut s'en tenir au statu quo.

Il est nécessaire de rompre avec les crises prolongées et la fragilité et de s'affranchir de la dépendance à l'égard de l'aide humanitaire qui apporte des secours, mais ne s'attaque pas aux causes profondes des problèmes. Nous devons plutôt investir dans des communautés, des systèmes et des institutions résilients qui seront en mesure de prospérer sans les apports ou les ressources des partenaires. Il est essentiel d'adopter une approche qui promeut des interventions intégrées, dirigées par les Somaliens et gérées par eux.

Le conflit est l'un des facteurs qui façonnent les besoins spécifiques de développement de la Somalie. Le gouvernement actuel a lancé une offensive militaire libérant un certain nombre de zones géographiques du contrôle d'Al-Shabaab. Il est donc devenu nécessaire d'intensifier les efforts de stabilisation et de renforcer la présence du gouvernement dans les zones récemment libérées et fragiles afin de consolider le contrat social, de fournir des services et de soutenir les moyens de subsistance de la population.

Parallèlement, les effets du changement climatique ont été très déstabilisants pour des millions de personnes. Le pays a été touché par de graves sécheresses, la plus récente en 2022. En décembre 2023, le pays a été confronté aux pires inondations enregistrées au cours des 100 dernières années. Certaines communautés n'ont pas été en mesure de se remettre d'une crise à l'autre. Le changement climatique exacerbe également les conflits, la violence et les déplacements. La Somalie compte environ 3,8 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays, qui se rassemblent principalement autour des grandes villes et villages, ce qui en fait l'un des pays qui s'urbanisent le plus rapidement au monde.

La résolution de ces problèmes est d'autant plus complexe que le processus de construction de l'État en Somalie est toujours en cours. Il n'existe pas encore de modèle accepté qui reflète un accord national sur le partage du pouvoir et des ressources entre le gouvernement fédéral et les états qui ont leurs propres dynamiques politiques, problèmes et contraintes.

Dans un environnement aussi complexe, le PNUD considère qu'une approche intégrée multisectorielle par zone est le choix évident. C'est pourquoi nous avons mis en oeuvre des programmes intégrés par zone (ABIP) pour renforcer le contrat social entre la population et le gouvernement en améliorant la sécurité, en favorisant la responsabilisation, en fournissant des services essentiels, en autonomisant et en impliquant les femmes, les jeunes et la société civile et en soutenant les moyens de subsistance et la création d'emplois.

Cette approche est particulièrement bien adaptée aux zones où le contrôle de l'État reste faible et où les communautés ont du mal à se remettre sur pied après un conflit et un déplacement. Elle est tout aussi essentielle dans les zones les plus touchées par le changement climatique et dans les villes qui accueillent des personnes déplacées à l'intérieur du pays et qui sont surchargées car leurs services et leurs ressources sont mis à rude épreuve.

Cette approche nous permet de concevoir des stratégies qui répondent aux besoins des communautés et qui respectent les normes locales. Nous utilisons l'analyse de l'économie politique pour identifier les structures de pouvoir locales et garantir que les interventions sont non seulement valables d'un point de vue technique, mais qu'elles renforcent également la cohésion sociale tout étant politiquement acceptables.

Nous utilisons également un outil appelé «conflict navigator» pour déterminer des données de référence essentielles relatives aux conflits qui orientent les plans de réconciliation locaux en s'attaquant aux causes profondes des conflits, telles que la pénurie de ressources ou le changement climatique. Pour garantir que nous répondons à leurs besoins, nous recueillons des commentaires afin de comprendre comment les communautés perçoivent le soutien qu'elles reçoivent et son impact sur leur vie.

L'ABIP s'adapte à l'évolution rapide des dynamiques environnementales et politiques. Nous avons révisé la manière dont nous concevons, mettons en oeuvre et suivons les projets afin de créer un processus continu d'apprentissage et d'adaptation. Cela nous a conduits à écouter les points de vue locaux, à remettre en question nos hypothèses, à placer la souplesse et la réactivité au contexte au coeur de notre façon de travailler, à apprendre de manière collaborative tout au long des cycles de projet et à adapter les activités ou à apporter d'autres changements au projet lorsque la situation le justifie.

Nous pouvons déjà constater clairement que cette méthode a été favorable compte tenu de la nature extrêmement fluide et dynamique du contexte somalien. Elle a permis à nos programmes d'être plus pertinents et plus efficaces et nous constatons des résultats positifs pour ceux avec qui nous collaborons.

La combinaison d'une structure de gouvernance ABIP autonome dirigée et détenue par des Somaliens, et d'un suivi renforcé a incité toutes les principales parties prenantes à réfléchir régulièrement à la mesure dans laquelle les interventions proposées fonctionnent. Des examens conjoints périodiques permettent d'évaluer si nous nous attaquons efficacement aux causes profondes des problèmes fondamentaux et si nous sommes sur la bonne voie.

Cela nous a permis de porter notre attention sur la recherche de changements transformationnels fondés sur des preuves, par exemple des changements mesurables attribués à l'application des compétences nouvellement acquises par les stagiaires plutôt que de nous concentrer sur des résultats immédiats basés sur les activités comme les sessions. Cette approche offre des possibilités de changer de cap quand cela est nécessaire. Il s'agit d'un instrument puissant pour garantir une gestion collective des projets et une utilisation optimale des ressources rares.

Par-dessus tout, les approches de gestion par zone et adaptatives reconnaissent le rôle clé des gouvernements locaux et des communautés dans la conduite du développement de manière collaborative et pragmatique. L'ABIP investit dans la création de systèmes, d'institutions et de capacités locales qui peuvent continuer à fonctionner après la fin du programme. C'est une approche qui intéresse vraiment le gouvernement et qui a été bien accueillie par les communautés.

En ce qui me concerne, j'ai été intéressé par ce que j'ai pu apprendre à cette occasion. Je connais les approches de développement par zone depuis de nombreuses années, mais c'est la première fois que je fais l'expérience de cette gestion adaptative pour répondre à un contexte aussi dynamique et fragile.

Conjuguer la compréhension approfondie des contextes locaux, l'adaptation pragmatique des programmes à mesure que les situations évoluent et les investissements dans les communautés, les institutions et les capacités locales pour favoriser les progrès à long terme constitue un outil puissant pour permettre au PNUD de jouer efficacement son rôle d'intégrateur dans le lien entre l'humanitaire, le développement et la paix.

Lionel Laurens, Représentant résident, PNUD Somalie

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