Afrique: Avec des dirigeants africains, Macron commémore le débarquement en Provence, deuxième acte de la Libération

Commémoration du 80ème anniversaire du débarquement de Provence

Deux mois et demi après le débarquement en Normandie, les alliés et l'armée B - essentiellement composée de combattants africains venus des anciennes colonies - ouvrent un deuxième front au sud du territoire français. Le président français Emmanuel Macron et plusieurs dirigeants africains célèbrent, ce jeudi 15 août, le 80e anniversaire de l'opération « Dragoon », épisode méconnu mais essentiel des combats d'août 1944.

« Si nous ne l'avions pas cherché, mon ancêtre serait définitivement tombé dans l'oubli, pourtant il est mort pour libérer la France ». Assis à une terrasse de café parisien, Yacine Cissé nous tend la photo d'un petit bout de papier. Quelques mots griffonnés par son père dans les années 1940 avec des informations sur son arrière-grand-oncle, parti d'un petit village guinéen pour combattre en France.

Mais ce n'est que 80 ans après sa mort que Yacine Cissé a retrouvé sa trace, et le lieu exact où il est enterré. Souleymane Diallo est décédé le 23 août 1944, à 25 ans, sur le champ de bataille à Solliès-Pont en Provence.

« Vous n'imaginez pas à quel point mon père est heureux, c'est un événement pour lui de poser une gerbe et de pouvoir enfin faire son deuil, 80 ans plus tard. En Guinée, les jeunes ne connaissent sûrement pas l'acte héroïque de leur ancêtre ! » Car pour le jeune Franco-Guinéen, il existe encore un manque de reconnaissance par la France du rôle joué par les tirailleurs des anciennes colonies. « C'est une histoire qui reste encore à éclaircir et à mettre en avant, parce que beaucoup de personnes ont sacrifié leur vie et restent inconnues », regrette-t-il.

%

Dans la nuit du 14 au 15 août 1944, 250 000 soldats de l'armée B française, dont plus de la moitié venait de pays africains de l'empire colonial de l'époque, ont débarqué sur les plages de Provence après les alliés américains, britanniques et canadiens et avec l'appui de 2 000 bâtiments de guerre et de la résistance française. Sous les ordres du général de Lattre de Tassigny, l'armée B est remontée vers le nord, libérant étape par étape les petits villages.

Le but de cette opération appelée « Dragoon » : prendre Toulon et Marseille, deux ports stratégiques en eaux profondes, et ouvrir un nouveau front au sud afin de prendre en étau l'armée allemande nazie, deux mois et demi après le débarquement de Normandie au nord. Paris, la capitale, sera finalement libérée le 25 août 1944.

Une cérémonie diplomatique pour « honorer les soldats de l'armée B »

Pour commémorer les 80 ans du débarquement de Provence qui a joué un rôle essentiel dans la libération de la France, une cérémonie se tiendra ce jeudi 15 août pour « honorer les soldats de l'armée B, de toutes origines et confessions, tombés au combat », selon une source à l'Élysée.

Durant la matinée, le président français Emmanuel Macron est d'abord attendu pour faire un discours à la nécropole de Boulouris où reposent les corps de 464 combattants, à quelques kilomètres de Saint-Raphaël.

Juste avant lui, Paul Biya, président camerounais de 91 ans au pouvoir depuis 1982, prendra la parole « au nom de l'ensemble des délégations africaines ». Selon l'Élysée, cinq chefs d'État africains sont attendus, dont Faure Gnassingbé, président du Togo, Faustin-Archange Touadéra de la République centrafricaine ou Oligui Nguema président de transition du Gabon. Le Maroc, lui, envoie son chef de gouvernement Aziz Akhannouch.

La Guinée et la Côte d'Ivoire, dont les présidents de l'époque Alpha Condé et Alassane Ouattara étaient les seuls présents pour le 75e anniversaire en 2019, ont cette fois-ci envoyé des ministres du gouvernement. Le Sénégal lui n'enverra que son ministre des Forces armées, le général Birame Diop.

Alors que la France n'a pas de bonnes relations ces dernières années avec le Niger, le Mali et le Burkina Faso, ce dernier envoie tout de même un chargé d'affaires pour le représenter. L'Algérie, elle, n'a pas répondu à l'invitation de la France et n'a envoyé personne pour la représenter. Le pays est en crise avec l'Hexagone depuis qu'Emmanuel Macron a assuré son soutien au plan marocain pour le Sahara occidental.

Des ambassadeurs seront aussi présents pour représenter des pays africains, mais aussi les pays alliés comme les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada.

Des symboles forts pour faire perdurer la mémoire

Des anciens combattants seront aussi présents dans la nécropole de Boulouris, dont Omar Diémé, un ancien tirailleur qui a fait la guerre d'Algérie et d'Indochine qui est venu depuis Dakar. Six vétérans recevront la Légion d'honneur du président de la République - dont un étranger, au titre de leur participation à la Seconde Guerre mondiale.

Une partie des événements prévus dans le Var pour la célébration du 80e anniversaire du débarquement en Provence, ce jeudi 15 août dans l'après-midi, a été annulée en raison des mauvaises conditions météorologiques, a annoncé l'Élysée. Tout au long du mois d'août cependantt, de nombreuses commémorations se feront au niveau local dans des villes et des villages qui célébreront leur libération.

Un débarquement longtemps oublié

Ce dispositif fait échos à la commémoration du 80e anniversaire du débarquement de Normandie deux mois et demi plus tôt, qui a pendant des décennies éclipsé ce deuxième débarquement.

Longtemps oubliée et encore en construction, cette mémoire a commencé à se réveiller avec la sortie du film Indigènes de Rachid Bouchareb en 2006, qui raconte l'histoire de trois tirailleurs algériens et d'un goumier marocain. Un film qui avait mené à la revalorisation des pensions des anciens combattants colonisés.

Puis tout s'est accéléré en 2014, lors du 70e anniversaire avec François Hollande, premier président français à consacrer une journée entière à ce débarquement depuis 1964. Le chef de l'État de l'époque avait montré la complémentarité des opérations de Normandie et de Provence lors d'une cérémonie au mémorial du Mont Faron près de Toulon, inauguré par le général De Gaulle cinquante ans plus tôt. Dans son discours, il avait valorisé la contribution des Africains, en les mettant au coeur de la libération de la France. Le chef de l'État avait alors rendu hommage à cette armée « cosmopolite » et « diversifiée ».

Deux ans après le début de l'opération française Serval au Mali en 2012, François Hollande avait aussi profité de l'occasion pour légitimer l'intervention de la France dans la lutte contre le terrorisme en Afrique.

« Ces combattants glorieux n'étaient pas tous volontaires. Notre dette à leur égard n'en est que plus grande. Cette dette, elle n'est pas seulement morale ou financière, cette dette, elle est politique. Et elle nous oblige, nous, la France, à une solidarité face aux menaces d'aujourd'hui, à toutes les menaces et d'abord en Afrique », avait déclaré François Hollande à bord du porte-avions Charles De Gaulle. Mais dix ans plus tard, l'armée française s'est retirée du Sahel, que ce soit du Mali, du Niger ou du Burkina Faso, trois pays dirigés par des putschistes qui rejettent la présence française sur leur territoire.

Emmanuel Macron attendu au tournant

Alors que l'Élysée promet une cérémonie qui permet de « regarder l'histoire en face » et de « n'oublier aucune mémoire », la question est de savoir quelle sera la place réservée à la présence africaine dans les rangs de cette armée de libération lors des commémorations du 80e anniversaire. Les vétérans et leurs familles attendent de l'État français plus de reconnaissance concernant les injustices vécues pendant cette période coloniale, comme les recrutements forcés, l'absence de pension ou l'opération de « blanchiment » des troupes avant d'arriver à Paris, quand les combattants venus d'Afrique ont été mis de côté et remplacés par des soldats occidentaux.

L'autre sujet épineux est le massacre de Thiaroye au Sénégal. Plusieurs dizaines de tirailleurs sénégalais, qui venaient d'être rapatriés après la libération de la France, ont été exécutés dans un camp militaire en périphérie de Dakar sur ordre d'officiers de l'armée française, alors qu'ils manifestaient le 1er décembre 1944 pour le paiement de leurs indemnités.

Près de 80 ans plus tard, le 28 juillet, le gouvernement français a annoncé que six d'entre eux ont été reconnus « morts pour la France ». Une décision très rapidement critiquée par Ousmane Sonko, le Premier ministre sénégalais, qui a déclaré que « Ce n'est pas à [la France] de fixer unilatéralement le nombre d'Africains trahis et assassinés après [qu'ils ont] contribué à la sauver, ni le type et la portée de la reconnaissance et des réparations qu'ils méritent. »

Mais il ne faut pas s'attendre à ce qu'Emmanuel Macron réponde à cette polémique durant ces commémorations. Selon une source à l'Élysée, « il ne faut pas mélanger les deux temps. Le temps du débarquement sera l'occasion de rappeler l'importance et le rôle central joué par les tirailleurs sénégalais dans la libération de la France. Et ensuite, on aura l'occasion de poursuivre tout le travail mémoriel qui a été fait autour de la question de Thiaroye en décembre ».

Pour le président français, qui n'a toujours pas nommé de Premier ministre plus d'un mois après les élections législatives, cette prise de parole pourrait aussi faire office de pré-rentrée politique juste après la « trêve » qui a duré le temps des Jeux olympiques de Paris 2024 qui viennent de se terminer dimanche dernier. Alors que la région du Var est dominée par le Rassemblement national, l'enjeu est de réhabiliter cette mémoire et la place primordiale des combattants africains dans la libération de la France pour lutter contre les idées d'extrême-droite.

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.