Ile Maurice: La corruption vole la vedette

S'il y a une attitude qu'Amédée Darga, managing partner de Straconsult, ne souhaite pas voir s'installer dans le pays, c'est celle qui donne à penser que cela ne vaut pas ou plus le coup de tenter de changer une situation qui ne favorise pas la consolidation des bases démocratiques du pays.

Ce dont il est question, c'est le poids de la corruption dans le mental, le quotidien, voire l'ADN, du Mauricien. Un mal qui ronge la confiance de ce dernier de façon constante. Cette posture, Amédée Darga l'a affichée lundi, à Réduit. C'était lors de la présentation des résultats du dernier sondage effectué par la compagnie qu'il dirige, Straconsult, spécialisée dans le consulting indépendant, de réalisation d'études de gestion et de gouvernance en collaboration avec des partenaires africains globaux.

Le but de l'exercice réalisé en collaboration avec les experts d'Afrobarometer ? Prendre la mesure de ce que pensent les quelque 1 200 personnes sondées localement par rapport à la gouvernance, la corruption et la confiance dans les institutions. La gouvernance et la corruption, deux phénomènes contradictoirement inséparables tant le premier consiste à mettre en place des mesures décisives pour que les effets du second, qui sont de nature négative, ne pourrissent pas le fonctionnement de la société.

Au niveau du débat qui a fait suite à la présentation des résultats de ce sondage, celui autour de la corruption a pris le dessus, devant l'intérêt de l'assistance pour les deux autres thématiques, à savoir la gouvernance et la confiance dans les institutions. Un débat fort intéressant avec des têtes pensantes pour lesquelles la fonction publique et les risques de corruption n'ont aucun secret. Il s'agit de Shirin Aumeeruddy-Cziffra, avocate de profession, qui a occupé plusieurs postes importants dont celui d'Ombudsperson for Children ou encore de présidente du Public Bodies Appeal Tribunal ; Dan Maraye, ex-gouverneur de la Banque de Maurice et présentement président du conseil d'administration de l'Office of Ombudsperson for Financial Services ; Geeanduth Gopee, ex-directeur général de l'Office of Public Sector Governance et celui du Management Audit Bureau.

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Au moment où la possibilité d'une alternance à la tête du pays est envisageable, avec la tenue prochaine des élections générales, le résultat de cette enquête dévoile que les sondés ne sont pas convaincus que le combat contre la corruption constitue une priorité pour le gouvernement en place. Seuls 29 % contre 63 % des personnes sondées sont d'avis que la lutte du gouvernement contre la corruption pour 2024 mérite la mention assez ou très bien. Bref, une majorité estime que le combat du gouvernement contre ce phénomène ne mérite pas plus que la mention assez mal et très mal. La perception des sondés de la performance du gouvernement en matière de lutte contre la corruption pour la période située entre 2012 et 2024 montre que la mention assez mal ou bien mal a enregistré une baisse de 1 % seulement, passant de 64 % en 2012 à 63 % en 2024. Une situation qui montre que la lutte contre la corruption n'a fait qu'un progrès tout relatif.

Que dit ce sondage par rapport au niveau de la prédisposition manifestée pour lutter contre ce fléau ? Ce niveau a enregistré une régression de 4 %, passant de 33 % en 2012 pour atteindre 29 % en 2024. La situation au niveau de la perception de l'implication dans des cas de corruption, tant des membres de l'Assemblée nationale et des dirigeants de firmes, selon ce sondage, indique que 57 % des sondés, contre 30 %, estiment que certains membres de l'Assemblée nationale peuvent être impliqués dans des cas de corruption. Par rapport à une telle tendance au niveau des responsables d'entreprise, il ressort, toujours selon ce sondage, que 59 % contre 28 % des personnes interrogées estiment que ces derniers pourraient être impliqués dans des cas de corruption.

Deux témoignages sont venus s'ajouter à la longue liste d'éléments qui incitent à penser que la lutte contre la corruption n'est pas gagnée d'avance. C'est celui de Pouba Essoo, ex-secrétaire permanent et Cader Sayed- Hossen, ex-haut cadre du secteur privé et ex-ministre de l'Industrie et du commerce du gouvernement travailliste. Pour Pouba Essoo, là où des cas de corruption peuvent se manifester, c'est au niveau de la posture presque automatique de bon nombre de public officers de croire qu'ils sont obligés de suivre à l'aveugle les instructions d'un ministre. Elle a préféré accélérer son départ à la retraite alors qu'elle n'était âgée que de seulement 45 ans. Son explication : «Il n'y avait aucun facteur qui m'imposait de soumettre ma démission prématurément. J'ai pris la décision de m'en aller car il était hors de question que je me fasse complice d'un système pourri et corrompu.»

Entre 2014 et 2018, devait faire valoir Cader Sayed-Hossen, certains étaient convaincus que la compilation de 247 cas de corruption allait permettre au Parti travailliste de faire un tabac pour sa campagne électorale. L'homme est loin d'être pessimiste. Car parfois, les données permettent de ramener à la dure réalité ceux qui ont envie de faire reculer la corruption. Le Parti travailliste, a souligné Cader Sayed-Hossen, a dû s'avouer vaincu dans ce domaine. «There was no effect at all.» Entendons par-là que cette campagne rondement menée n'a pas donné les résultats escomptés.

Qu'en est-il de la confiance dans les institutions ? Sur ce plan, le judiciaire arrive en tête, avec un taux de confiance de 56 %, suivi par le ministère de la Santé et du bien-être, la police et la commission électorale qui récoltent respectivement 55 %, 52 % et 49 %. Au bas du tableau, les partis de l'opposition qui ne comptent qu'un taux de confiance de 26 %, alors que 11 % ont refusé de donner leur avis sur cette question.

Tenace, à la clôture des débats ponctués par des idées lumineuses, Amédée Darga a maintenu sa posture : même si les apparences invitent à adopter une démarche différente, la volonté de lutter tant au niveau individuel qu'à celui d'une structure bien organisée contre la corruption demeure, à ses yeux, une obligation morale.

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