Après la saga des oeufs, c'est bien le poulet qui a disparu du marché. Si cette pénurie entraîne un manque à gagner pour les petits commerces, certains consommateurs évoquent des craintes liées à une «pénurie artificielle» qui pourrait bientôt justifier une hausse du prix de cette chair très consommée par les Mauriciens.
Hier, dans deux grands supermarchés, les stocks de poulet étaient largement disponibles à des prix allant de Rs 127 à Rs 250, de Rs 274, Rs 317 et Rs 329, voire Rs 672, selon les tailles et les marques. Dans d'autres points de vente présents de longue date et réputés, tels qu'Hôtel Pakistan, situé à la rue Desforges, une atmosphère habituelle de précipitation et d'effervescence régnait alors que le lieu était bondé de clients fidèles consommant des snacks de poulet et du thé.
Au menu, samoussas, côtelettes et tikka de poulet, entre autres, étaient disponibles en grandes quantités. «Notre fournisseur est celui avec lequel nous travaillons depuis très longtemps. Par conséquent, notre stock de poulet est assuré. En cas de pénurie, nous sommes prêts à payer des prix plus élevés pour assurer un approvisionnement adéquat et répondre à la demande des clients fidèles et de longue date», explique son gérant.
Chez Poulet Rôti, rue St-François, il en va de même, car une grande partie des produits dépend du fournisseur avec lequel le commerce traite. «Il y a une pénurie en général, mais comme je suis dans ce milieu depuis 25 ans et que nous travaillons avec un grand fournisseur qui n'est pas lui-même confronté à une pénurie de poulet de la part des producteurs, 90 % de mon stock est livré et mon activité n'est donc pas affectée de manière significative. D'autres fournisseurs n'ont peut-être pas autant à livrer à leurs clients, des propriétaires de commerce qui peuvent les revendre. Mais cette situation aura un impact certain sur les prix. Un petit fournisseur confronté à une pénurie de poulet en a déjà augmenté le prix de Rs 10. »
On nous explique que le problème vient vraisemblablement d'un manque de poussins au niveau des éleveurs, donc d'un manque de poulets. «D'ici à deux ou trois semaines, la situation pourrait se stabiliser si les éleveurs obtiennent les poussins nécessaires auprès des producteurs. Face à la pénurie de poulet, quelques gérants de snack nous ont également approchés pour acheter de la chair de poulet, mais nous ne pouvons leur donner qu'une certaine quantité après avoir assuré le stock pour notre clientèle. Afin d'éviter le panic-buying, nous avons rassuré nos clients que nous continuerons à opérer normalement.»
Difficultés des petits commerces
Mais un certain nombre de petits commerces de la capitale ferment déjà plus tôt que prévu en raison du manque de stocks et donc de ventes. Chez Hosany, revendeur d'oeufs et de poulets frais, alors que l'approvisionnement en œufs n'est pas encore revenu à la normale, la pénurie de poulets entraîne une perte supplémentaire de clientèle, poussant à fermer le commerce en début d'après-midi au lieu d'en fin de soirée.
« Aujourd'hui, le fournisseur a livré 20 poulets ; certains jours, c'était 15. Il y a eu des moments, au cours des trois dernières semaines, où j'ai dû fermer la boutique parce qu'il n'y avait pas d'approvisionnement. Aujourd'hui, une cliente régulière est venue après six jours pour pouvoir s'approvisionner. » Il ajoute : « Le fournisseur m'a dit que cela pouvait être dû à un manque de poussins depuis un certain temps. Akoz paran-la pa ti bon, bann pousin-la si pa bon.» Ce qui est sûr, c'est que cette situation a déjà entraîné la hausse du prix de cette chair, dit-il. «Je suis allé au bazar pour acheter quelques-uns à revendre. Le prix a déjà grimpé de Rs 110 roupies à Rs 125, voire Rs 140 la livre.»
Mais d'autres, dont des clients, évoquent la crainte d'une « pénurie artificielle, systémique, habituelle » qui pourrait justifier une hausse du prix de ce produit très consommé par les Mauriciens. «Les oeufs qui sont censés être vendus à Rs 9,50 l'unité sont déjà vendus à Rs 11 ou Rs 13 en raison de la pénurie. La population a été témoin d'un système qui prévaut maintenant où, lorsqu'il y a une pénurie, les vendeurs augmentent le prix en raison du panic-buying. Il faut se rappeler que les tomates ont été vendues à Rs 800 la livre, le cotomili à Rs 200 pendant et après le Covid, et le piment à Rs 900 le demi kilo». Ajoutant : «Les propriétaires de petits commerces seront affectés, car ils achèteront des stocks de poulet à des prix plus élevés. S'ils revendent à leur tour le produit à des prix plus élevés, ils perdront des clients, car tout augmente de jour en jour et la population n'a pas les moyens de faire face à l'inflation. S'ils ne le font pas, ils perdront des travailleurs parce qu'ils ne seront pas en mesure de les payer en fonction de l'augmentation du salaire minimum. Mais cela n'affectera pas les grandes chaînes alimentaires, les hôtels, les restaurants et les supermarchés, car ils disposent du capital nécessaire pour payer plus cher le poulet. Les grands fournisseurs et producteurs leur donneront la priorité sur les petits commerces. Dans ce contexte, les supermarchés pourraient également avoir le monopole d'augmenter les prix du poulet et, n'ayant pas le choix, les consommateurs l'achèteront à des prix élevés. »
Dans un petit point de vente à la rue Magon, dont le menu est composé de burgers de poulet, de croustillants et de pièces de poulet frit, H.B., la gérante, témoigne : « Depuis deux semaines, on ne nous livre plus que 50 paquets de poulet au lieu de 120. Pour l'instant, nous arrivons à compenser avec les stocks précédents, mais on nous dit que le prix du poulet va augmenter prochainement en raison de la pénurie. Zot dir pe gagn pli tipti poul akoz liver. (...) Certains disent que la situation se stabilisera dans quelques semaines, tandis que d'autres disent qu'elle persistera jusqu'en décembre. Nous ne sommes pas sûrs, mais si ça continue comme ça, nous devrons fermer plus tôt, car nous ne pouvons pas nous permettre d'augmenter les prix de nos produits. Il y a un marchand près de chez moi qui vends des tikka et des côtelettes, et il a déjà arrêté de travailler. »
Insécurité alimentaire
Dans d'autres points de vente, comme Fast and Fresh - Wok and Grill à Calebasses, Javed, 26 ans et gérant du commerce, explique : « Notre approvisionnement est assuré par trois fournisseurs et, face à la pénurie, le prix d'achat du poulet auprès des fournisseurs a déjà augmenté de Rs 15 par kilo. Nous utilisons environ 60 à 70 kilos par semaine et la hausse représente un montant considérable sur un mois ou sur quelques mois.» Le jeune entrepreneur souligne qu'alors que le coût de tous les autres produits a augmenté, la hausse des prix du poulet et des œufs ne fait qu'aggraver la situation.
«Si les prix des produits alimentaires augmentent et que les autres baissent ou se maintiennent, on arrive à trouver un équilibre. Mais dans l'économie d'aujourd'hui, les prix des produits alimentaires dont j'ai besoin pour préparer et vendre mes repas augmentent. Viennent ensuite l'augmentation des factures d'électricité et les prix des carburants qui n'ont pas baissé et qui poussent les livreurs à facturer plus cher lorsqu'ils viennent livrer mes produits. Il m'est arrivé de devoir compter sur le soutien financier de mon père pour joindre les deux bouts - il a lui-même du mal à acheter des médicaments et à payer les frais universitaires de mon frère en raison de la dépréciation de la roupie - et à rémunérer trois travailleurs selon le nouveau salaire minimum.»
Il conclut : «Sans profit, mes économies personnelles pour mon mariage servent parfois à assurer la survie de mon activité sur le marché. Il n'y a pas non plus d'encouragement au niveau politique pour assurer la suffisance et la sécurité alimentaires. Entre la réticence à augmenter le prix des repas, la perte de clients due à la hausse des produits de base et la nécessité de progresser financièrement dans mon activité, il est difficile de tenir le coup.»