Ile Maurice: Marylène François - «Je pars mais l'institution et ses principes doivent rester et primer»

interview

L'ancienne journaliste Marylène François, fondatrice, directrice, voire l'âme, d'OpenMind, organisation non gouvernementale (ONG) de service prenant en charge les enfants et les adolescents souffrant de troubles mentaux, s'est retirée en mars, passant le témoin à une des thérapeutes du centre, Valérie Lagane. Dans cette interview, elle en rappelle les principes fondateurs, dont celui du droit à l'accès aux meilleurs soins pour les plus vulnérables de notre pays, et met en avant les valeurs de continuité.

En fondant OpenMind, il y a 14 ans, vous êtes venue combler une lacune à Maurice, soit offrir un service médical et une prise en charge globale aux enfants et adolescents souffrant de problèmes de santé mentale. Rappelez-nous comment tout a commencé.

De nombreuses ONG offrant un service médical ou paramédical ont été fondées par des mamans ou des parents d'enfant souffrant d'un problème de santé précis. OpenMind n'est pas différente. Je l'ai fondée, avec une petite équipe autour de moi, quand mon fils est tombé malade.

N'y avait-il pas des signes avant-coureurs ?

C'était soudain, affolant, et j'ai dû prendre un congé sans solde du journal Week-End pour être aux côtés de mon fils. Puis, j'ai repris le travail. Un soir, alors que je couvrais un meeting à Goodlands, il y a eu une urgence. J'ignore comment j'ai fait pour conduire de Goodlands jusqu'à chez moi ! C'est là que j'ai réalisé que je ne pouvais pas travailler et m'occuper de mon enfant malade. J'ai donc expliqué la situation au directeur du groupe Le Mauricien, feu Jacques Rivet. Il m'a proposé de prolonger mon congé mais j'ai opté pour la démission car il fallait me concentrer sur la santé de mon fils. J'ai alors mis un terme à 26 ans de journalisme pour devenir «soignante».

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À l'époque, comment la santé mentale était-elle prise en charge à Maurice ?

Il y avait un vide en matière de prise en charge des enfants et ados souffrant de troubles mentaux. Il y avait Friends in Hope, une ONG porteuse d'espoir et de répit aussi, qui encadrait les adultes. Puis, il y avait l'hôpital Brown-Séquard et les cabinets privés. Entre ces deux pôles, il n'y avait rien d'accessible au plus grand nombre. En voulant acquérir des méthodes de soignante dans une institution à Paris, le médecin responsable me l'a déconseillé : «Vous êtes une maman et ne pouvez pas être sa soignante. On se retrouvera au final avec non pas une mais deux personnes malades.» Sur ses conseils, j'ai constitué un petit «village» familial autour de mon enfant, mobilisant la famille proche, dont le principal atout était de l'aimer, tout en l'accompagnant dans sa stabilisation.

Après cette errance, la réflexion était que d'autres parents puissent trouver de l'aide, qu'il y avait forcément une route de sortie. D'où la devise d'OpenMind, «Ena Sime Sorti». En 2010, j'ai fait appel à mes amis et, là, nous avons fondé OpenMind. À partir d'une expérience intime, personnelle, nous avons débouché sur un organisme de santé publique. En juin 2010, nous avons fondé OpenMind et en septembre de la même année, le centre a ouvert ses portes à Rose-Hill.

À qui se destinait OpenMind ?

Au départ, nous étions ouverts à tous les enfants et adultes en détresse psychologique et souffrant de maladies mentales. Puis, on s'est spécialisé en service enfants. Nous avons répertorié 26 pathologies nécessitant une prise en charge pluridisciplinaire. On sait quand commence la prise en charge mais on ne sait pas quand ça finit. On est parti du principe que tout enfant a droit aux meilleurs services et gratuits et qu'OpenMind n'offrirait pas un service au rabais. En décembre 2010, nous étions submergés avec déjà 120 demandes. Nous avons donc comblé le vide, créant la première institution spécialisée pour les enfants en souffrance psychologique à Maurice.

Pourquoi en parlez-vous au passé ?

Nous avons, depuis, réduit nos effectifs, tout en gardant le principe de la qualité du soin. Aujourd'hui, les besoins pour la santé mentale sont reconnus mais en 2010, ce sujet était encore tabou, stigmatisé. Il a fallu expliquer que la santé mentale fait partie de la santé. C'est un droit humain. Sauf que ce type de prise en charge globale coûte cher. La National Social Inclusion Foundation (NSIF) nous finance à hauteur de 30 % et nous devons trouver le reste de financement. Nous avons donc réduit nos services et notre personnel, en nous mobilisant sur l'essentiel - les soins.

Comment mesurez-vous le succès de cette prise en charge ?

Nous faisons un bilan trimestriel pour chaque enfant et nous ajustons là où il faut. Lorsqu'on voit un enfant retrouver sa vie d'enfant, je me dis alors que j'ai été utile, que nous avons été utiles. Car OpenMind opère comme un «village thérapeutique» autour de l'enfant : un merci du fond du coeur à toutes ces personnes qui ont travaillé à OpenMind.

Qui ont été les premiers bailleurs de fonds à vous faire confiance ?

Je remercie Alberto Mariette de SOMAGS de l'enseigne Jumbo, qui a été notre tout premier financeur. À chaque étape de notre programme, nous avons eu un bienfaiteur/financeur sur la base d'un projet rigoureusement ficelé et d'un système de monitoring draconien. Comme l'expertise de Pamela Bapoo-Dundoo de la GEF-SGP du Programme des Nations unies pour le développement, qui a compris comment l'agriculture bio et l'environnement peuvent être des facteurs-clé pour la santé mentale. Healing Green... De 2012 à 2014, c'est ainsi qu'a été mis en place notre programme Hortithérapie/Écothérapie. Mais il manquait le lieu : Hector Espitalier-Noël, alors directeur d'ENL, nous a octroyé le terrain où est situé notre centre à Verdun. Puis, construire pour nos bénéficiaires des espaces sécurisés, lumineux, il y a eu l'appel à projet au DCP - Union européenne. Et là, M. Naidu, facilitateur pédagogue, m'a montré comment gérer un projet après le processus très pointu de sélection de notre projet. Et nous nous sommes mis à construire des drains, nettoyer le sol sous culture de cannes. Nous avons commencé avec un container aménagé et bien vite, on était à l'étroit. Projet encore, à la MCB Forward Foundation (MCBFF) où officie l'intrépide Juliette François-Assonne, psychologue de formation, qui a compris d'emblée notre mission, avec ce que cela implique comme impact intangible. Car si nous traitons la maladie invisible par excellence, les résultats le sont aussi et ne peuvent être divulgués, confidentialité médicale oblige.

Quand, en 2017, je réalise qu'il y a des enfants toujours en détresse, qu'on n'y arrive pas malgré tous nos moyens, je me renseigne. À mes propres frais, je vais en France, je rencontre des spécialistes et là, j'apprends que c'est un pédopsychiatre qu'il nous faut. Il n'y en avait pas à Maurice. Je présente à la MCBFF le projet de créer un service pédopsychiatrique à Maurice, le premier, et en mars 2018, après sa mise en place par la psychologue Aarti Banymandhub, c'est lancé... Le président de l'Association des pédopsychiatres de France m'avait conseillé de contacter le Dr Christian Simon à La Réunion et, pendant quatre ans, il est venu chaque mois comme consultant-expert en pédopsychiatrie à OpenMind, qui a alors ouvert ses portes aux enfants en besoin de Maurice et de Rodrigues. Il nous manquait encore une salle spécialisée et des tests psychométriques : il a fallu refaire un projet et c'est le Rotary Club de Phoenix qui l'a financé. Il y a des donateurs fidèles, qui donnent de l'argent mais aussi de leur temps. Ces personnes ont aidé à construire OpenMind. En 14 ans, imaginez le chemin parcouru et l'intense travail derrière.

Avec la pandémie de Covid-19 en 2020, nos thérapeutes ont fait des ateliers filmés avec leur téléphone et ont envoyé les vidéos aux enfants. C'est toute la fratrie confinée qui profitait alors de cette thérapie en ligne. Cela a tellement fait du bien que, juste après, dans la crainte d'un nouveau confinement qui renforcerait encore plus l'isolation sociale et couperait les soins, j'ai présenté, en 2021, un projet à la NSIF pour la production professionnelle et non par téléphone ! - de 25 petits films d'ateliers thérapeutiques, y compris l'hortithérapie, avec des pochettes de matériels et de graines qu'on a envoyées à travers l'île et même à Rodrigues lors du second confinement. OpenMind n'a jamais baissé les bras. D'ailleurs, ces 25 vidéos sont toujours là et il reste encore des packs de matériels qu'il faudra partager...

Malgré toutes ces réussites, pourquoi avoir décidé de passer le flambeau ?

J'ai travaillé intensément pendant ces années. J'étais sur tous les fronts. Les autres responsables d'ONG savent ce que c'est. Écriture de projets, levée de fonds, gestion, etc. On a fait le compte, une fois, de ce je faisais comme travail. On a réalisé qu'une entreprise normale emploierait quatre personnes pour cette somme de travail. Mais une ONG, même d'utilité publique comme OpenMind, n'avait pas les moyens d'employer quatre personnes ! Alors, je suis dans l'action, avec un style de gestion de «no nonsense», à toujours oeuvrer à partir de la réalité des faits. De ma carrière de journaliste, je connais le poids des mots. On fait ce qu'on dit ; les choses doivent être dites ; on met les papiers, les faits sur la table ; les décisions sont collégiales, transparentes. Et nous avons des comptes à rendre : aux bénéficiaires, aux parents, aux membres, aux financeurs. Mais en 2021, mon moteur s'est grippé. J'ai eu des ennuis de santé...

La réflexion s'est imposée : il fallait passer la main, pour le bien et la pérennité d'OpenMind. J'ai su et décidé qu'il fallait que je parte. Il y a eu aussi le fait que je ne pouvais plus affronter ces défaillances institutionnelles, fracassant encore plus des enfants, ne garantissant pas leur sécurité. Il y a eu des cas de trop, je ne pouvais plus recommencer des guerres déjà gagnées, et recommencer encore et encore à chaque changement d'interlocuteur public. Travailler dans le secteur de la maladie mentale, c'est travailler face à la souffrance, en double peine, telles la précarité, la pauvreté, la drogue touchant les plus jeunes avec un impact neuropsychologique effrayant. Donc, ma décision a été prise en toute connaissance de cause, en conscience et avec sérénité. Je pars, mais l'institution doit rester, affronter ces nouveaux défis. J'en ai discuté au centre et là, notre psychomotricienne depuis sept ans, Valérie Lagane, a dit qu'elle aimerait relever ce défi.

Vous n'êtes plus à OpenMind depuis quand ?

Valérie a été nommée directrice en juillet 2023, après des mois de préparation, et à partir de là, je n'étais plus directrice mais en mode de travail de transmission jusqu'à mars 2024 quand je suis partie à la retraite. Donc, la passation a été actée dès juillet 2023, avec tous les documents de travail, les comptes etc., qui sont au siège d'OpenMind, sous la responsabilité de la nouvelle directrice. Cet exercice d'autonomisation a été reconnu par Valérie Lagane, qui a vite démontré ses capacités d'organisation en préparant elle-même l'assemblée générale avec l'élection de son nouveau comité de direction. Je reste membre d'OpenMind, mais je n'ai plus rien à faire dans l'opérationnel, le financement ou autre. Des conseils si on m'en demande certes : le dernier donné à Valérie, à sa demande, est de relancer notre service pédopsychiatrique. Elle s'y est déjà mise avec enthousiasme. Je pars mais l'institution et ses principes doivent rester et primer.

Allez-vous retourner dans la presse ?

Je vais me faire plaisir d'abord. À 63 ans, je retourne à l'école. En septembre, je vais réaliser un rêve : apprendre l'histoire de l'art. Ensuite, je verrai. On est et on reste journaliste, non ? La pratique journalistique a marqué de ses valeurs OpenMind : la transparence, la persévérance responsable, le respect, la rigueur, la réflexion articulée. L'humilité aussi. Rester humble au service des autres. Retour dans la presse ou le social ? «On ne peut pas être et avoir été» : je vais tester l'adage !

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