Ile Maurice: Le destin d'un homme différent

Derrière ce short porté si bas qu'il laissait entrevoir une raie qui mettait mal à l'aise, derrière ces jurons proférés si haut qu'ils effrayaient parfois les passants, derrière cette barbe jaunie, derrière ces vêtements sales, derrière cette mine rebelle, sous ces pieds nus, se cachait une âme, un homme. Son nom ? Louis Marcel, surnommé Mandela par les habitants de Quatre-Bornes. Le texte qui suit raconte son histoire.

Il s'en est allé le mercredi 7 août. Pas tout à fait sur la pointe des pieds. Les hommages vont plus sur les réseaux sociaux pour célébrer la mémoire de Mandela, qui aurait fêté ses 64 ans le 12 septembre. Lors de son incinération, il y avait plus de 30 personnes, dont deux de ses amis SDF. Lui, ne l'était pas tout à fait...

*« C'est mon frère Gaëtan M. qui l'avait recueilli», raconte E.M., une dame au grand cœur qui souhaite garder l'anonymat. « Gaëtan est malheureusement décédé. Ma belle-sœur est celle qui s'occupait le plus souvent de lui. Quand il se sentait trop sale, qu'il avait erré dans les rues pendant des semaines, il revenait alors à la maison. Ma belle-sœur lui donnait son bain, l'habillait, le rasait, lui donnait des savates neuves, car on les lui volait...» Cette Mère Teresa des temps modernes souhaite rester anonyme et préfère qu'on se réfère à elle par ses initiales : M.B.

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Ti Louis - c'est comme ça qu'on appelait Mandela dans cette famille d'accueil - est entré dans leur vie alors qu'il avait neuf ans à peu près. Avant cela, selon des bribes de souvenirs qu'il leur racontait, il habitait à Souillac, avec sa maman et son papa. Tous deux sont cependant décédés en l'espace de six mois... Le choc psychologique a été terrible pour l'enfant qu'il était.

Mandela a alors été confié à sa grand-mère, mais elle ne voulait pas de lui. Il a ensuite atterri chez une tante, à Quatre-Bornes. «Me li ti pe fer rebel, li ti pe al dan lari, al rod manze lapin, zwe boul, fer inpe betiz...» La tante a jeté l'éponge, l'a effacé de sa vie. Livré à lui-même, l'enfant de 12 ans qu'était Mandela a alors trouvé refuge dans la rue, se posant dans des endroits qui offraient un semblant d'abri à celui qui n'avait plus de toit.

C'est à La Place Taxis, à La Louise, que Gaëtan l'a aperçu. Il l'a pris sous son aile, montrant un peu d'affection à l'oiseau blessé qui n'avait plus de nid auquel s'accrocher. Un jour, alors qu'une des filles de la famille célébrait sa première communion, il a emmené Mandela à la maison. «Linn fer li begne, inn kwaf li, met enn zoli ti linz ek li... Linn bien fer fet, amize ek nou», confient E.M. et M.B., en remontant l'allée du passé. L'enfant qui dormait à la belle étoile avait des étoiles plein les yeux. Quand il a fallu repartir là d'où il venait, Mandela n'a pas voulu. Gaëtan l'a alors «adopté».

Quelque temps plus tard, ce dernier devait se rendre en Arabie saoudite pour le travail. Ce départ soudain après celui de ses parents, cette nouvelle séparation, ce déchirement d'avec celui qu'il considérait comme une figure paternelle, Mandela ne l'a pas supporté. Le moral a pris un coup de massue. Le coeur et la tête ont disjoncté. «So latet inn pli bouze kouma dir...»

Mandela a effectué quelques séjours à l'hôpital Brown-Séquard. «Sa lepok-la pa ti strikt kouma asterla. Ti Louis ti pe lav loto bann dokter, fer 1-2 kours pou zot...» De retour à la maison, il n'a toutefois plus été le même. Commença alors cette errance émotionnelle, ces «balades» interminables dans les rues, qui pouvaient durer des semaines, avant qu'il ne revienne à la maison. «Parfwa, ena dimounn ti pe bat li. Ena ti pe kokin so bann savat nef...» Bien souvent, les gens étaient bienveillants, lui offrant à manger et des «0.5» à boire.

S'il savait lire et écrire, Mandela n'a jamais travaillé, à cause de son état de santé mentale. L'amour d'une femme, il ne l'a pas connu non plus. Il aura tout de même connu la chaleur d'un foyer où les préjugés n'avaient pas leur place, où la bienveillance trônait au milieu du salon. Aujourd'hui, c'est la photo - encadrée - de Mandela, qui y a trouvé sa place, sur un meuble bien ciré. Il est décédé des suites d'une maladie qui le rongeait sans qu'il ne le sache, probablement. «Dernie ler, li ti pe pipi disan...»

Avant de mourir, il a tout de même retrouvé le chemin de la, ou plutôt de sa maison, où l'attendaient E.M., M.B. et d'autres proches. «Nounn gagn problem ek lanbilans, pa bliye ou ekrir sa, pou ki pa ariv sa lot dimounn... Li ti enn et imin li ousi... Enn kout zonn dir pena lanbilans, selman kan mo mari inn vini inn amenn li dan loto, ti ena 2-3 ti pe dormi dan lakour», s'insurge E.B. «Mais au milieu de notre malheur, les médecins de Candos et les policiers de Quatre-Bornes ont été vraiment formidables, nous tenons à les remercier.»

D'ailleurs, les médecins ont tout de suite reconnu Mandela à son arrivée à l'hôpital. Malgré leurs efforts, «il est allé rejoindre ses parents biologiques, son papa adoptif Gaëtan». Au paradis des croyants, celui qui a parfois connu l'enfer a peut-être enfin trouvé la paix. Mandela - appelé ainsi parce qu'il ressemblait sans doute dans sa jeunesse à Madiba - ne souffre plus, désormais. «Mandela finn libere.»

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