A l'instar de nombreux pays du monde, les menaces sur la population d'abeilles est une réalité au Burkina Faso. Chercheurs, apiculteurs, techniciens de l'environnement et de l'agriculture l'admettent sans détour. Les causes de ce déclin des abeilles sont multidimensionnelles et appellent à des réponses structurelles et durables, locales et globales, afin de sauver ce pollinisateur, indispensable pour le maintien de l'équilibre des écosystèmes biologiques, de la chaine de production agricole et alimentaire, au développement socioéconomique durable...bref pour la survie de l'humanité.
Naba Ambga, chef traditionnel du village de Bingo, situé environ 30 km de Ouagadougou est un responsable coutumier pas comme les autres. En cette matinée du mois de fevrier 2024, le bonnet, symbole du pouvoir traditionnel, vissé sur la tête, il est confortablement installé sur un fauteuil devant l'entrée de son palais royal, sous un neemier ombragé. Il y reçoit les visiteurs ou les habitants du village qui viennent lui traduire leurs civilités.
Les attributs de la royauté ne laissent pas transparaitre l'homme visionnaire, l'agriculture écologique qui se cache derrière sa personnalité. Depuis 1991, Naba Ambga caressait le rêve de faire de l'apiculture moderne, à une époque où cette activité était très peu développée au Burkina Faso. Pour mener à bien son projet, il lui faut un domaine boisé. La même année, le prince à l'époque se lance dans la végétalisation d'un terrain dégradé de 7,5 hectares.
« Le terrain étant complètement nu, il fallait le régénérer. J'ai commencé par y planter des arbres en vrac ; j'y repiquais des herbes, répandais les grains d'herbes. J'ai confectionné moi-même le grillage pour sécuriser le domaine. C'était pénible, mais j'avais un objectif. J'étais convaincu que si je ne meurs pas tôt, ce terrain inculte deviendra une forêt », se remémore-t-il.
20 ans après, la végétation repris ses droits sur ce sol jadis nu. En 2012, Naba Ambga se lance alors dans la production apicole, avec cinq ruches modernes. Aujourd'hui, son domaine dédié exclusivement à l'apiculture abrite 245 ruches dont 10 traditionnelles. 55 ruches lui appartiennent, le reste est la propriété des autres apiculteurs du village. De couleur blanche, ces ruches modernes sont posées sous les arbres, dans les herbes ; certaines grouillant d'abeilles, d'autres en attente de colonies d'abeilles.
A divers endroits, des bidons de 20 litres en plastiques, coupés en deux et contenant de l'eau servent d'abreuvoirs aux abeilles. « Les agriculteurs n'acceptent pas que l'on dépose les ruches dans leurs champs ou dans les alentours. En plus, les pesticides, à savoir les insecticides et les herbicides qu'ils utilisent tuent les abeilles. J'ai compris qu'avec ces pratiques, à la longue, nous risquons de ne plus avoir d'abeilles ! Alors que si les abeilles venaient à disparaitre que deviendrons-nous ? C'est ce constat qui m'a poussé à anticiper, en me lançant dans l'apiculture », confie sa majesté.
Pour n'est cavaler seul, il sensibilise et mobilise la population qui rallie sa cause. Cela a donné naissance aux coopératives de producteurs et de transformatrices de miel de Bingo composées de 85 membres. La coopérative des apiculteurs est dirigée par Naba Ambga.
Des ruches sans abeilles
L'apiculture est une activité très rentable si on la prend au sérieux », confie-t-il. Selon le président de l'interprofession miel du Burkina, Désiré Marie Yaméogo, le secteur apicole burkinabè compte 16 structures de transformation et plus de 16 milles apiculteurs, dont 28% de femmes. Avec une production annuelle de 15 00 tonnes de miel, selon des données de 2018, l'apiculture contribue à l'économie nationale à plus de 3 milliards F CFA par an.
Malheureusement, les apiculteurs font de plus en plus face à un déclin contenu de la population d'abeilles qui affecte négativement l'activité apicole, déplore-t-il. « Je reviens d'une tournée de deux semaines dans plusieurs localités du pays ; le ressenti général est la rareté de l'abeille. Tous les apiculteurs témoignent qu'ils ont posé des ruches mais il n'y a pas d'abeilles. Ils se demandent ce qui leur arrive », confie le président Yaméogo. Cette perte de la population d'abeilles, s'empresse-t-il d'ajouter, loin d'être une vie de l'esprit, est une réalité de plus en plus préoccupante.
Selon la Convention sur la biodiversité, bien que les évaluations des risques posés pour l'état des insectes pollinisateurs sauvages tels que les abeilles sauvages et les papillons soient limitées sur le plan géographique, celles-ci indiquent des niveaux de menace élevés, avec des pourcentages d'espèces menacées dépassant souvent 40%. De l'avis de l'enseignant chercheur en entomologie au Centre Universitaire de Dori, Dr Adama Kaboré, au Burkina Faso, très peu de recherches scientifiques ont été menées purement sur les abeilles. Cependant, poursuit-il, plusieurs études ont été menées sur les plantes mellifères, la perception des apicultures sur la production du miel, l'inventaire des nuisibles vivant avec les colonies d'abeilles, etc...
Le maitre de conférences, Pr Issa Nombré, enseignant chercheur sur les interrelations plantes/abeilles et expert formateur en techniques apicoles modernes, de l'Université Norbert Zongo de Koudougou, abonde dans le même sens. « Certes, il n'y a pas d'études scientifiques pour qualifier le degré, l'ampleur de la perte de la population d'abeilles, mais le constat sur le terrain indique que la population a baissé. Lorsque nous faisons des enquêtes auprès des agriculteurs, des apiculteurs, ils sont unanimes sur la question. Mais c'est un constat qu'il faudrait documenter par la recherche scientifique », soutient-t-il.
L'homme, la principale menace
Agro-écologiste et apiculteur depuis 40 ans, à Pô, dans la région du Centre-Sud, Apékira Gomgnoumbou, assiste impuissant à ce qu'il appelle une « perte drastique » des abeilles. « Il y a un phénomène cyclique d'essaimage où l'on voit des grappes d'abeilles en mouvement, qui s'accrochent aux arbres. Ce phénomène est dû à une surpopulation d'abeilles à une certaine période de l'année, obligeant une partie des colonies migrer à la recherche de nouveaux abris. On a l'essaimage primaire en septembre où les colonies d'abeilles sont plus importantes, et moins nombreuses lors des essaimages secondaires en décembre et tertiaire à partir de mars. Aujourd'hui, ce grand mouvement d'essaims d'abeilles ne s'observe plus, pour la simple raison que la population d'abeille a considérablement diminué », relate-t-il.
Ce constat empirique s'observe également dans les ruches. Quand il faisait ses premiers pas dans l'apiculture dans les années 80, pour une ruche posée le matin, le soir, elle était occupée par les abeilles. « Aujourd'hui, il faut être chanceux pour glaner deux ruches pleines d'abeilles au cours de deux, trois mois. Cela veut que la perte de la population d'abeilles se pose sérieusement », confie M. Gomgnoumbou, le regard interrogateur.
Ce déclin de ces pollinisateurs tient à plusieurs facteurs, à commencer l'action anthropique, soutient Pr Nombré. « La croissance démographique aidant, pour installer ses champs, ses habitations, l'homme, à travers la déforestation, détruit beaucoup d'habitats naturels des abeilles ; ce qui menace dangereusement la survie de l'abeille », explique-t-il. Sans oublier la pollution des eaux, les feux de brousse qui participent à ravager l'abeille et son habitat. Selon le ministère en charge de l'environnement, la déforestation a fait passer les superficies forestières du Burkina Faso de 6,9 millions d'hectares en 2000 à 5, 1 millions d'hectares en 2022, soit une perte annuelle de plus de 83 000 ha.
Une étude publiée réalisée par le Centre Écologique Albert Schweitzer (CEAS) en partenariat avec l'Université de Neuchâtel et publiée en 2015, souligne que la destruction des milieux naturels est préoccupante pour l'abeille africaine qui, contrairement aux sous-espèces occidentales, parvient à survivre dans des concavités naturelles sans aide anthropique. « Nous pouvons également supposer que la destruction de l'habitat naturel provoque une baisse de disponibilité en nectar pour les abeilles. Le nectar disponible durant la grande miellée s'étendant de fin février à début-juin ne provient uniquement que des espèces ligneuses au Burkina. L'hypothétique diminution de cette manne indispensable pour les abeilles constituerait également l'une des causes de l'affaiblissement des colonies », souligne l'étude.
Utilisation incontrôlée des pesticides
L'utilisation incontrôlée des pesticides, surtout non homologués, par les agriculteurs constitue une sérieuse menace directe pour la pérennité de l'espèce abeille, clame à l'unisson les acteurs. « Les pesticides sont utilisés pour protéger les cultures, alors qu'il y a une relation symbiotique entre les abeilles et les plantes. Ces produits chimiques répandus pendant la floraison affectent la population d'abeilles, car c'est en cette période que les abeilles visitent les forêts, les cultures pour prélever le nectar pour produire le miel », explique l'enseignant chercheur sur les interrelations plantes/abeilles. Il est soutenu par l'étude de CEAS qui conclut que « l'usage des néonicotinoïdes utilisés comme pesticides dans la production agricole burkinabè pourrait causer de sérieuses diminutions d'effectifs chez les abeilles ».
Selon le responsable du service de la protection des végétaux de la direction régionale de l'agriculture du Centre-Ouest, Joseph Zoma, l'utilisation des produits chimiques dans les champs par les agriculteurs s'est généralisée, avec les herbicides, les insecticides et les fongicides comme les pesticides les plus prisés. « Le cultivateur a tronqué la daba contre le pulvérisateur. Depuis que les paysans ont découvert les herbicides, ils se sont tous jetés dedans. Dans les provinces de la Sissili et le Ziro, ce sont les herbicides qui produisent », lâche-t-il. A côté des 3000 litres de pesticides et 2 tonnes de pesticides physiques homologues que la direction reçoit par an, les producteurs utilisent des quantités inestimables de produits chimiques non homologués et prohibés, que nous ne contrôlons pas, précise-t-il. Et l'entrée massive de pesticides dans nos pays, est favorisée par les lobbies des industriels des pays développés qui font que des produits chimiques interdits en Occident sont déversées dans nos pays, déplore le président de l'interprofession miel. A cela s'ajoute les techniques traditionnelles néfastes consistant à tuer les abeilles et même les larves avec des flammes pour récolter le miel. « En plus, certains apiculteurs, pendant la récolte, racle tout le miel dans la ruche, sans rien laisser aux abeilles qui en ont besoin pour poursuivre leur activité de reproduction et de production de miel. Les abeilles ne produisent pas le miel pour l'homme mais pour elles-mêmes, pour la survie de leur espèce. L'homme n'est qu'un usurpateur », explique l'apiculteur écolo, Naba Ambga.
Des chercheurs burkinabè de l'Institut du Développement Rural de l'Université polytechnique de Bobo-Dioulasso, de l'Université Joseph Ki-Zerbo et du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST), dans une étude intitulée « Inventaire et analyse de l'entomofaune vivant avec les colonies d'abeilles, Apis mellifera adansonii Latreille dans la commune de Garango (Burkina Faso) » et publiée en 2015, ont montré que des insectes ravageurs vivant dans les ruches constituent aussi une menace pour les abeilles et leurs produits.
L'effet du changement climatique
Il ressort de leurs travaux que sur dix espèces appartenant à huit familles d'insectes collectées et identifiées, le petit coléoptère des ruches (Aethina tumida), la grande fausse teigne (Galleria mellonella), la fourmi à grosse tête (Pheidole megacephala), la fourmi du sucre ou la fourmi grand galop (Camponotus maculatus) et l'Oplostomus fuligineus seraient responsables de la majorité des dégâts causés sur les produits de la ruche ainsi que sur les colonies d'abeilles. Dans le sillage de cette conclusion, les travaux de thèse de doctorat (Université Joseph K-Zerbo) de Wendpanga Issaka Kanazoé sur l'«étude des potentialités mellifères et des pratiques de la méliponiculture dans le corridor n°1 du PONASI, Centre-Sud du Burkina Faso », et soutenue en décembre 2023, ont montré que les attaques parasitaires (51,4 %) réduisent la production du miel.
« La richesse spécifique et la diversité des insectes diminuent de la saison pluvieuse à la saison sèche. La connaissance des insectes inféodés à la ruche est une étape cruciale dans la mise au point de méthodes de lutte saines contre les ennemis de l'abeille dans ce milieu », concluent ces chercheurs. Le changement climatique affecte négativement la biodiversité en général, et les abeilles en particulier. « Le changement climatique aura forcément un impact sur la perte de la population d'abeilles. Les effets du changement climatique comme l'augmentation des températures, la multiplication des sécheresses, les inondations et les perturbations des saisons de floraison auront des effets désastreux sur la pérennité des pollinisateurs en générale et en particulier les abeilles », soutient l'entomologiste, Adama Kaboré.
Selon l'étude du CEAS, le raccourcissement progressif de la période des pluies au Burkina depuis plusieurs années place les colonies en situation de stress hydrique intense. « Au raccourcissement des périodes de précipitation et à la déforestation s'ajoute la poussière véhiculée par l'Harmattan (vent du nord-est, chaud sec et chargé de poussière) qui souille le nectar et assèche les fleurs durant la grande miellée dans la zone Est du pays. Selon nos interlocuteurs, les occurrences annuelles de l'Harmattan sont apparemment devenues plus fréquentes ces dernières années faisant chuter les rendements des apiculteurs qui peuvent ainsi être incités à prélever trop de rayons de miel sans en laisser suffisamment pour le nourrissage de leur colonie », souligne l'étude.
A l'inverse, le déclin des abeilles a des répercussions sur l'accélération du réchauffement climatique. « A travers l'évapotranspiration des plantes, il y a beaucoup d'eau qui se trouve dans l'atmosphère et revient sous forme de pluie ; à travers la photosynthèse, les arbres captent le CO2, un gaz carbonique qui pollue l'atmosphère et qui est à l'origine du réchauffement climatique. Si les abeilles, et les pollinisateurs en général, ne jouent pas efficacement leur rôle de polinisateurs, les plantes vont disparaitre et il n'y aura plus de séquestration de carbone », décortique Pr Issa Nombré.
Impérieux d'agir
Avec ces menaces, l'abeilles, au-delà des apiculteurs et des agriculteurs, c'est la survie de toute l'humanité qui est menacée, au regard du rôle crucial de cet insecte pollinisateur dans la préservation de l'équilibre des écosystèmes biologiques, dans l'offre des services écosystémiques, la préservation de l'environnement, de la biodiversité, la production agricole et végétale, fait remarque M. Nombré. Et d'ajouter qu'ailleurs, l'abeilles est considérée comme une espèce d'utilité publique.
Selon les Nations Unies, la pollinisation est un processus fondamental pour la survie des écosystèmes car de lui dépendent la reproduction de près de 90 % des plantes sauvages à fleurs du monde, ainsi que 75 % des cultures vivrières et 35 % des terres agricoles à l'échelle de la planète. Sans donc ces pollinisateurs, les plantes à fleurs, appelés producteurs, et qui constituent le premier maillon de la chaine de production alimentaire vont disparaitre. « Cela va entrainer une disparition des herbivores qui se nourrissent des plantes, puis des carnivores se nourrissant d'herbivores. Et peu à peu, la chaine alimentaire va se rompre, emportant avec elle toute l'humanité ; d'où cette affirmation du célèbre scientifique Albert Einstein qui disait que si les abeilles venaient à disparaitre, l'humanité aura quatre ans pour survivre », détaille l'universitaire, Pr Nombré.
Tous les acteurs sont unanimes qu'il est impérieux de déployer, des actions et initiatives, à la fois locales et globales, afin d'endiguer les menaces que pèsent les abeilles. L'étude du CEAS et de l'Université de Neuchâtel recommande de soutenir de manière plus significative des initiatives de la société civile visant à réduire l'usage des pesticides chimiques dans les cultures du coton et le maraîchage, de renforcer les connaissances sur les pathogènes de l'abeille burkinabé et sur les techniques de lutte en s'appuyant sur l'expérience ou les études existantes et intégrer ce volet aux formations. Elle suggère également d'étudier les savoirs et savoir-faire traditionnels locaux en matière d'apiculture, y compris dans leurs dimensions environnementales, afin de pouvoir mieux les mobiliser, les valoriser et capitaliser sur ces connaissances endogènes.
Dans la même perspective, le président Yaméogo, préconise de réaliser des études scientifiques pour mesurer l'impact réel des produits chimiques sur les abeilles, afin de prendre des mesures qui s'imposent. Mieux, il convient d'avoir une cartographie des différentes menaces selon les régions du pays et apporter des réponses en fonction des spécificités régionales renchérit le directeur régional de l'environnement du Centre-Ouest, Fiedi Hakiekou.
Financements spécifiques pour l'apiculture
Et pour une réponse structurelle, durable à la problématique, l'Etat a un rôle central à jouer, estime Pr Nombré. Il a la responsabilité de sensibiliser les différents acteurs sur l'important rôle écosystémique que jouent les abeilles, de promouvoir le développement de l'apiculture moderne qui est protectrice de la biodiversité et source de revenus monétaire, et de réguler le marché des pesticides.
A l'interprofession miel, au vu de cet important rôle que l'abeille joue dans la préservation de la vie humaine, animale et végétale, on estime que l'apiculture devrait bénéficier d'un appui structurel conséquent, car elle n'est pas seulement une activité économique génératrice de revenus mais avant tout une activité à valeur ajouté écologique et environnementale inestimable. « Malheureusement, cette dimension de l'impact écologique, environnemental et sur la production agricole et alimentaire n'est pas toujours prise en compte dans l'appréciation de notre filière. On résume le plus souvent l'apiculture à la production du miel et de ses produits dérivés. Alors qu'il ne peut pas avoir de développement agricole sans l'apiculture », martèle son président. Cet accompagnement de l'Etat, renchérit l'apicultrice et transformatrice de miel de Bingo, Alizèta Simporé, devrait s'opérer par la facilitation de l'accès aux financements et aux équipements technologiques, qui ne sont pas toujours à la portée des acteurs. « Je dispose de 15 ruches dont cinq traditionnelles. Les principales difficultés que nous rencontrons sont liées à l'accès aux crédits, au matériel de production et de transformation mais aussi à l'eau. Nous parcourrons des kilomètres pour chercher l'eau pour les abeilles », fait-elle savoir, le regard interpellateur. La cherté des équipements technologiques est aggravée par l'Etat qui leur applique une TVA (taxe sur la valeur ajoutée) de 18%, déplore le Désiré Marie Yaméogo.
En un mot, le secteur apicole a besoin d'un financement conséquent et spécifique, commente le secrétaire général de la coopérative des producteurs de miel de Bingo, Ibrahim Kouraogo. Car le financement global que l'Etat accorde au monde rural ou agricole, qui représente 4% du budget national, ne profite pas toujours à l'apiculture. « 4% du budget alloué à un secteur qui occupe 80% de la population, il y a un paradoxe. On devrait commencer par appuyer l'apiculture car sans elle, il n'y aura pas les autres activités agricoles », s'offusque l'apiculteur Kouraogo. Les ressources publiques à affecter à l'apiculture, poursuit-il, devraient être davantage conséquentes, d'autant plus que les produits financiers proposés par les banques et les institutions de microfinance ne sont pas adaptés à l'activité apicole, faite deux principales saisons : la grande miellée et la petite miellée.
L'agroécologie, une alternative durable
Comment un apiculteur peut-il faire face à des échéanciers mensuels de remboursement du crédit à une période de l'année où elle n'a pas de miel à écouler, s'interroge Ibrahim Kouraogo. Le financement approprié de la recherche constitue un autre impératif, souligne l'enseignant chercheur, Issa Nombré. « Il n'y a pas de moyens conséquents pour accompagner la recherche sur les abeilles, l'apiculture. Les projets financent les apiculteurs et oublient la recherche qui a un rôle d'accompagnement des producteurs. Actuellement, on parle des pathologies comme la fausse teigne. Une étude scientifique s'impose pour mieux l'appréhender et proposer le moyen de lutte qui va avec. On ne peut pas prendre les résultats d'une recherche menée en France pour venir les appliquer au Burkina ; ce n'est pas le même contexte environnemental, ni le même type d'abeilles », argue-t-il
Pour sauver l'abeille et sauver l'humanité, il est impérieux, insiste l'agro-écologiste Apékira Gomgnoumbou, de recourir à des modes de productions durables comme l'agroécologie, qui est à la fois un moyen d'atténuation et d'adaptation au changement climatique, et constitue une alternative aux pratiques agricoles destructrices des abeilles. L'agroforesterie et l'utilisation des engrais et des pesticides biologiques au détriment des intrants chimiques offrent des habitats paisibles aux abeilles.
Comme le suggère Fiedi Hakiekou, une meilleure organisation des filières agricoles, l'instauration des cadres de concertation, participent aussi à une solution holistique à la crise de l'abeille. « Cela a l'avantage d'éviter le cloisonnement entre elles. Par exemple, les acteurs des filières coton et miel pourraient se parler pour minimiser les effets des activités de l'une sur celles de l'autre », propose-t-il. Cette dynamique collaborative est en phase avec la vision de la FAO. « Pour mieux gérer la biodiversité pour l'alimentation et l'agriculture et renforcer la contribution qu'elle fournit aux services écosystémiques, il faut améliorer la coopération multipartite, intersectorielle et internationale », conclut-elle.
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Mahamadi SEBOGO
Les efforts de la communauté internationale
Selon la FAO, on compte plus de 20 000 espèces d'abeilles et d'autres pollinisateurs sauvages, dans le monde. Consciente de l'urgente nécessité de susciter une prise de conscience locale et globale, de promouvoir et de faciliter les initiatives en faveur de la protection des abeilles et des autres pollinisateurs, le secrétariat général des Nations Unies a pris une résolution le 20 décembre 2017 proclamant le 20 mai, Journée mondiale des abeilles. En 2024, cette journée a été célébrée sous le thème : « volons au secours des abeilles, avec les jeunes ». Une thématique qui vise à encourager les jeunes à s'engager dans le secteur de l'apiculture, à prendre part aux efforts de préservation des pollinisateurs, à les sensibiliser au rôle fondamental des abeilles et des autres pollinisateurs dans l'agriculture, l'équilibre écologique et la préservation de la diversité biologique.
Partant également de cette importance des pollinisateurs et de la pollinisation pour tous les écosystèmes, la Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique, a adopté en novembre 2018 en Egypte, le plan d'action 2018-2030 de l'Initiative internationale sur la conservation et l'utilisation durable des pollinisateurs. Ce plan d'action a pour but global de promouvoir une action coordonnée à l'échelle mondiale pour sauvegarder les pollinisateurs sauvages et domestiques et encourager l'utilisation durable des services de pollinisation.
A cela s'ajoute l'adoption du cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, en décembre 2022, à Montréal, au Canada, et qui vise à stimuler, faciliter et promouvoir une action urgente et transformatrice de la part des gouvernements et des autorités locales et infranationales, avec la participation de l'ensemble de la société, afin de faire cesser et d'inverser la perte de biodiversité.
M.S