Burkina Faso: Pr Abdoulaye Diabaté, investigateur principal du projet Target Malaria Burkina Faso - « Nous devrions être en mesure d'éliminer le paludisme dans un futur plus ou moins proche »

interview

Chef du service d'entomologie médicale et de parasitologie de l'Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) / Centre Muraz à Bobo-Dioulasso, et investigateur principal du projet Target Malaria Burkina Faso, le Professeur Abdoulaye Diabaté a été formé en biologie animale et écologie à l'université de Ouagadougou.

Titulaire d'un doctorat en parasitologie de l'université de Montpellier II (France) en 2003, les recherches du Pr Diabaté portent sur la biologie des populations, les études écologiques sur la variation phénotypique au sein et entre les populations de moustiques et l'analyse de ses sources génétiques et environnementales. En prélude à la Journée mondiale du moustique, célébrée chaque 20 août, il a été reçu par Sidwaya à sa Direction régionale de l'Ouest (DRO), comme invité de la Rédaction, le mardi 6 août 2024 à Bobo-Dioulasso.

Avec cet investigateur principal du projet Target Malaria qui a vocation de lutter contre le paludisme par le moustique génétiquement modifié, toutes les questions relatives à ce projet qui fait couler beaucoup d'encre et de salive, le processus de transformation du moustique génétiquement modifié, son impact à terme sur le paludisme, ainsi que les précautions environnementales ont été abordés.

Qu'est-ce que l'entomologie médicale ?

L'entomologie médicale est la science qui étudie les insectes et d'autres arthropodes qui sont extrêmement importants dans la santé de l'homme et par extension, dans la santé des animaux.

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Depuis 2012, vous pilotez le projet Target Malaria dans le cadre de la lutte contre le paludisme. De quoi s'agit-il ?

Target Malaria est un consortium de recherches à but non lucratif, composé de chercheurs de plusieurs disciplines et de différents horizons, pratiquement en Afrique, en Europe et aux Etats-Unis d'Amérique. L'objectif essentiel de Target Malaria c'est de développer un outil de lutte anti vectoriel génétique qui puisse cibler spécifiquement les moustiques qui transmettent le paludisme et donc de contribuer à l'élimination du paludisme dans un futur plus ou moins proche. Le paludisme est un problème majeur en Afrique, particulièrement au Burkina Faso.

Les statistiques font état d'à peu près 200 millions de cas pour malheureusement près de 700 000 décès par an. Au Burkina Faso, on a environ 12 millions de personnes affectées par le paludisme chaque année avec 4 000 à 5 000 décès par an. Les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans sont les cas les plus dangereux. En plus de cela, le paludisme nous impose un fardeau économique très énorme. En Afrique, environ 12 milliards de dollars américains (7 000 milliards FCFA) sont dépensés pour contrer cette maladie.

Quels sont précisément les objectifs principaux du projet Target Malaria au Burkina Faso ?

Avec toutes les avancées technologiques que nous connaissons aujourd'hui, qu'une maladie puisse tuer autant de personnes par an est incompréhensible et inacceptable. Target Malaria s'est réellement positionné pour voir comment utiliser l'avantage comparatif de cette nouvelle technologie dans le domaine du génie génétique pour développer un outil qui va être efficace, à moindre coût, durable, très facile à déployer et très sécurisé pour permettre, non seulement au Burkina Faso, mais aussi à l'Afrique, de contribuer à éliminer le paludisme dans un futur plus ou moins proche.

Donc Target Malaria, spécifiquement, travaille à développer cette technologie ici au Burkina Faso pour réduire le fardeau du paludisme, mais surtout construire une masse critique de capital humain et avec toutes les infrastructures nécessaires qui vont avec pour permettre à l'Afrique et au Burkina Faso d'adopter cette technologie.

Quelles sont les avancées scientifiques les plus significatives réalisées jusqu'à présent par le projet ?

Target Malaria est subdivisé en trois grandes phases. A la date d'aujourd'hui, nous sommes à la deuxième phase. Et nous avons fini avec la première phase à partir de juillet 2019. Cette première phase a consisté à lâcher des moustiques génétiquement modifiés mâles stériles auto-limitatifs à l'Ouest du pays, dans les villages de Bana et Souroukoudinguè.

Lorsque ces moustiques s'accouplent avec une femelle, il n'y a pas de progéniture. Et s'il n'y a pas de progéniture, cela veut dire que votre germe d'intérêt ne peut pas passer dans la descendance et donc perdurer dans l'environnement. Cela a été fait à dessein. Les résultats majeurs que nous avons obtenus avec ce lâcher étaient déjà dans un premier temps de nous rassurer du fait que quand on dit moustique génétiquement modifié, cela veut dire que vous les conservez au laboratoire, vous faites d'abord la modification et vous conservez ce moustique dans le laboratoire pour plusieurs années.

La question que vous vous posez est de savoir si le jour que vous enlevez ce moustique de ce laboratoire et vous l'amener dans l'environnement, est-ce qu'il aura le même comportement que les moustiques sauvages ? Si votre moustique ne peut pas rivaliser avec les moustiques sauvages, il est clair que vous êtes en train de perdre vos ressources et votre temps.

Ce lâcher nous a permis de regarder leur comportement, leur vol de dispersion, le comportement de reproduction et leur longévité. Les résultats qui ont été obtenus sont parfaitement au regard de ce qu'on attendait et on peut dire que cela a été un vrai succès. Lors de nos communications avec les parties prenantes, nous avons largement communiqué sur ces résultats.

Comment assurez-vous la transparence et la communication avec le public concernant les avancées et les résultats du projet ?

La transparence et la confiance sont des valeurs cardinales pour Target Malaria. Quand je viens dans votre village pour travailler avec vous, vous n'avez pas besoin d'un doctorat pour savoir que je suis digne de confiance. Et nous avons commencé à travailler dans les villages depuis 2012. Si ces gens continuent toujours de nous accueillir et de travailler avec nous, c'est que quelque part, ils nous font confiance.

Et cela, parce que pour tout le travail que nous faisons avec ces différentes communautés et au-delà, nous avons pu assoir la base d'une confiance solide en toute transparence. Donc quand vous prenez chacune de ces communautés avec lesquelles nous travaillons, il n'y a pas une seule activité que nous pouvons mener sans avoir donné d'abord l'alerte.

On les rencontre, on discute avec elles et on leur fait comprendre exactement ce que nous voulons faire et nous les écoutons. S'il y a quoi que ce soit dont elles ont peut-être peur, des inquiétudes, des incompréhensions qu'elles soulèvent, en aucun cas nous ne pouvons-nous permettre de mener nos activités sans répondre à leurs préoccupations.

Nous avons également fait des journées portes-ouvertes pendant lesquelles nous les avons amenées à Bobo-Dioulasso pour la visite de l'insectarium, tout cela pour établir cette confiance avec elles. Et nous sommes dans un processus de co-développement qui est que, lorsque vous commencez à développer un produit, n'attendez vraiment pas que ce produit finisse avant d'aller vers les gens. C'est ce qui nous a permis, depuis 2012, d'être en contact avec les communautés et de continuer à travailler avec elles.

Ne trouvez-vous pas que le projet tarde à produire des résultats concrets ?

Oui ! On est tout à fait conscient de cela. Mais il faut dire que le timing que nous avons est dicté par la complexité de la technologie que nous sommes en train de développer. Quand on dit Target Malaria avec les moustiques génétiquement modifiés, ce n'est pas seulement les aspects techniques et scientifiques. Il y a aussi l'aspect communication.

Qui parle d'organisme génétiquement modifié, dans l'imaginaire de la population, on s'attend forcement à ce qu'il y ait des études qui permettent d'assurer que vous avez pris toutes les mesures nécessaires de sécurité avant d'amener les moustiques sur le terrain. Et cela prend du temps. Le Burkina Faso compte plus de 20 millions d'habitants, et tant qu'on ne va pas prendre le temps nécessaire d'expliquer les étapes pour que les gens aient une très bonne compréhension et confiance au produit que nous sommes en train de développer, même si nous aboutissons à créer un produit, il n'ira nulle part.

Le produit final qui doit être lâché sur le terrain, avec nos partenaires, est déjà disponible au laboratoire. Mais pourquoi on ne se permet pas de l'utiliser sur le terrain ? Simplement parce qu'il faut prendre le temps de passer par toutes les différentes étapes. Aussi, toute la règlementation que nous avons au niveau de l'Agence nationale de biosécurité doit également assurer que ce qu'on fait est conforme à la loi et aux exigences demandées par cette règlementation.

Néanmoins, on reste optimiste et on demande aux gens de nous faire confiance. On espère vivement qu'il y ait un produit final bien sécurisé qui va sortir d'ici-là pour nous permettre d'avoir l'impact que nous souhaitons.

Quels sont les mécanismes de suivi et d'évaluation pour mesurer le succès du projet ?

Sur un plan plus large, le succès de ce projet peut se mesurer à trois niveaux. D'abord, nous avons été capables de récolter les résultats intermédiaires qui nous permettent de concevoir et de finaliser le projet pour lâcher les moustiques un jour sur le terrain et être sûrs que ces résultats intermédiaires sont à la hauteur des attentes.

On a fini la première phase et nous sommes à la deuxième phase. Le deuxième succès du projet sera de savoir si les résultats récoltés précédemment ont permis de finaliser le produit et être sûrs que ce produit va avoir de l'impact sur le paludisme. Mais tout montre que les résultats que nous avons vont permettre d'aller vers la troisième phase.

Le troisième élément qui est extrêmement important pour nous, est qu'à la fois on veut lutter contre le paludisme et doter le Burkina Faso de toutes les infrastructures et les ressources humaines nécessaires à la compréhension et à la domestication de cette technologie de manière à ce qu'en toute souveraineté, les chercheurs, pour le problème du paludisme ou au-delà, puissent utiliser cette technologie si l'Etat estime que c'est nécessaire de l'utiliser pour résoudre d'autres problèmes.

Nous avons énormément d'étudiants que nous avons envoyés à l'extérieur pour se faire former. Et ces étudiants aujourd'hui, dans les laboratoires avec nos partenaires, sont capables de prendre tout le processus de A à Z sans aucune aide et de transformer les moustiques eux-mêmes. Il nous reste à avoir la plateforme technique ici, et nos étudiants viendront mettre leur savoir-faire sur le sol burkinabè si nous avons les autorisations nécessaires pour le faire. Les mécanismes sont mis en place pour suivre ces trois grandes phases.

Nous avons eu les autorisations nécessaires pour faire les étapes déjà réalisées parce que les moustiques génétiquement modifiés, pour faire le lâcher, ne sont pas pris directement avec nos partenaires. Sur la base d'une autorisation que nous avons, ces moustiques sont importés et conservés dans notre insectarium et nous faisons une série d'activités de recherche avec ces moustiques dans le laboratoire. Une fois que nous avons les résultats, nous les envoyons à l'Agence nationale de biosécurité et pour demander son autorisation afin de passer à la deuxième phase et ainsi de suite jusqu'à la troisième phase du projet.

Avant de faire le lâcher sur le terrain à grande échelle, nous devons d'abord avoir l'autorisation du comité d'éthique institutionnel, du comité d'éthique national, de l'Agence nationale de biosécurité qui est l'organe garant de la sécurité de ce genre de technologie au Burkina et enfin du ministère en charge de l'environnement.

Tout ce qui est comme études d'impact environnemental, social et autre, c'est au niveau de l'Agence nationale de biosécurité et du ministère de l'Environnement que nous devons avoir les avis de faisabilité. Nous avons obtenu tous ces avis, toutes ces autorisations jusqu'à la deuxième phase. Pour les autres phases qui viennent, on doit également introduire le dossier au niveau de ces différents organes avant de poursuivre.

Le projet est à sa deuxième phase sur trois. Quelle interprétation peut-on donner à cette étape ?

La première étape du projet consistait à prendre des moustiques génétiquement modifiés males stériles. En ce sens que lorsque ces moustiques mâles s'accouplent avec des femelles, il n'y aura pas de progéniture. Cela peut être en soi un problème dépendant du contexte spécifique dans lequel vous faites votre recherche.

Mais pour le cas du Burkina Faso et des pays alentours, c'est extrêmement difficile, pour la bonne et simple raison que si vous lâchez ces moustiques dans un environnement spécifique donné et que les gênes d'intérêt normal qui doivent impacter ne peuvent pas être dans la nature et donc se propager aux autres progénitures, cela veut dire que chaque année, vous devez être sur le terrain pour lâcher des millions de moustiques. Nous avons utilisé cela d'abord, juste comme étape intermédiaire.

Nous sommes à la deuxième étape où nous avons ce qu'on appelle le mâle biaisé auto-limitatif. Ce moustique, quand il s'accouple avec la femelle, il y a près de 95%, voire 97% de mâle. Donc seulement 3% de femelles. Le mâle ne pique pas et par conséquent, ne transmet aucune maladie. Donc, si le nombre de moustiques est majoritairement constitué de mâles, cela va avoir un impact important sur le paludisme. Mais à ce niveau, le problème qui se pose c'est la logistique disponible pour faire passer cela à grande échelle.

Cela voudrait dire que le gêne d'intérêt, une fois que vous l'avez, certes le mâle peut s'accoupler avec la femelle, mais au fur et à mesure des générations, le gène d'intérêt va disparaitre. Et tout comme avec les moustiques génétiquement modifiés mâles stériles, on sera systématiquement obligé chaque année d'aller sur le terrain et de faire des lâchers.

Pourtant, quand on connait l'état de nos routes, en plus de la distance entre les différents villages et les logistiques que nous avons, en aucun cas cela ne peut être un produit final. C'est pourquoi, une fois qu'on aura les résultats de ces différentes phases, on va passer à la troisième phase où vous aurez les mêmes constats qui peuvent conférer les mêmes caractéristiques aux moustiques. Mais il y a ce qu'on appelle « Gene drive ». Qui est un système spécifique qu'on a et qu'on attache à ce moustique et cela fera qu'on n'ait plus besoin de lâcher autant de moustiques.

Par exemple, une fois dans un village, on lâche juste quelques moustiques et c'est le moustique qui fera le travail. Il ne sera plus nécessaire d'aller faire des lâchers dans les autres villages aux alentours. Le moustique se chargera de reprendre le gène d'intérêt avec les autres moustiques. Et cela peut aller carrément au-delà du Burkina Faso. C'est d'ailleurs ce qui fait la beauté de cette technologie.

Ce qui est bien ici, c'est que le mâle s'accouple avec la femelle et les femelles des moustiques sont fidèles. Cela veut dire que lorsqu'elle s'accouple avec un mâle, elle ne garde que le sperme de ce mâle toute sa vie. Et ce sperme est stocké et lorsque la femelle veut pondre des oeufs elles utilisent ce stock de sperme pour le faire.

Donc, il suffit d'introduire la caractéristique de moustiques que nous voulons et le moustique l'utilise tout le temps et cela ne fait que de génération en génération et au bout de quelques générations, le gène d'intérêt va se rependre un peu partout. En somme, nous sommes actuellement à la deuxième phase, et les résultats que nous avons, montrent que c'est ce à quoi nous nous attendions. Ce qui fait que nous sommes en train d'aller progressivement vers la troisième phase.

Comment le projet intègre-t-il les communautés locales dans ses activités et prises de décisions ?

Nous avons mis en place ce qu'on appelle un processus de co-développement. Parce que quand on parle d'organisme génétiquement modifié, évidemment beaucoup se posent beaucoup de questions, vue que c'est une nouvelle technologie. Il faut prendre le temps de leur expliquer. C'est la raison pour laquelle lorsque vous regardez la structure et la composition des organes qui pilotent Target Malaria que ce soit au Burkina et dans les autres pays, vous allez vous rendre compte que nous avons trois piliers essentiels dont le premier est purement scientifique.

Le deuxième pilier est la régulation, donc toutes les actions qui ont trait aux risques, même si ce n'est pas nous qui faisons l'évaluation du produit en tant que tel. Nous faisons des évaluations à l'interne, d'abord, pour nous assurer que tout ce qu'il y a comme risque potentiel, a été perçu et que nous avons pris toutes les dispositions nécessaires pour les éliminer avant de soumettre le dossier aux différentes instances. Le troisième pilier qui est l'engagement des parties prenantes est extrêmement important.

Sans cet aspect, le projet ne peut aller nulle part parce que tant que vous ne prenez pas le temps de communiquer avec les gens pour qu'ils aient une très bonne compréhension de ce que vous faites et qu'ils vous donnent la licence sociale de pouvoir opérer, c'est vraiment difficile pour vous de travailler dans ce sens. Pour votre information, nous avons tout un département spécifique qui concerne la communication et les parties prenantes au sein de ce projet au Burkina Faso, pour interagir avec les communautés.

Le projet se passe ici à l'Ouest dans les villages de Bana et Souroukoudinguè, mais si vous regardez notre plan de communication, vous vous rendrez compte qu'on a parcouru presque tout le pays pour communiquer avec les gens. Nous avons mis en place les groupes relais, soit du public ou du secteur privé qui viennent un peu de tous les horizons dans les services que nous avons ciblés ou bien dans les différents corps de métiers dans le secteur privé et sont également les représentants de ces différentes communautés.

On les informe régulièrement par rapport à la progression du projet et ils sont chargés de relayer l'information à leurs bases pour que les gens puissent avoir l'information afin de nous remonter tout ce qu'il y a comme préoccupations pour qu'on les prenne en compte.

Existe-t-il des études préalables sur les conséquences environnementales potentielles d'une telle intervention ?

Le moustique génétiquement modifié avec le Gène-drive n'a encore été réalisé nulle part. A Djibouti, les gens sont en train de faire du lâcher de moustiques pour lutter contre le paludisme, parce qu'il y a une espèce invasive qu'on appelle « anophèle stephensi » qu'on ne connaissait pas en Afrique, mais en Asie, en Inde et autres. Ces moustiques ont commencé à envahir l'Afrique.

C'est un moustique qui est responsable de la transmission du paludisme en milieu urbain. Si ces espèces arrivent à envahir le milieu urbain, cela peut aggraver la situation du paludisme en Afrique. Ils ont commencé à envahir la corne de l'Afrique à commencer par le Djibouti, l'Ethiopie, le Ghana, le Nigéria, etc. Et pour contrer ce moustique, tout un projet a été mis en place sur la modification génétique à Djibouti.

Il y a de nombreuses études sur l'impact environnemental qui ont été réalisées, et c'est ce qui a permis aux différentes autorités de donner les autorisations nécessaires pour faire ce travail. En ce qui nous concerne jusqu'à présent, nous avons obtenu toutes les autorisations nécessaires. Il y a aussi les études d'impact environnemental social que nous faisons avec le ministère de l'Environnement.

Quelles sont les mesures sécuritaires mises en place pour s'assurer que ces modifications génétiques n'affectent pas négativement l'écosystème ?

Lorsque vous examinez le système de régulation de tout pays, il y a généralement trois valeurs fondamentales que l'on cherche à protéger. D'abord, la valeur humaine, ensuite les animaux, et enfin l'environnement y compris l'eau. Lorsqu'un projet comme celui-ci est soumis, on évalue l'impact potentiel sur chacune de ces valeurs de protection. Les mesures mises en place pour assurer la sécurité du projet, notamment pour Target Malaria, sont nombreuses.

Chaque fois que nous présentons le projet, que ce soit au Burkina Faso ou à l'extérieur, des questions récurrentes sur l'environnement surgissent. Une autre question fréquemment posée est de savoir si les moustiques modifiés génétiquement, censés réduire la transmission du paludisme, pourraient, à long terme, avoir des conséquences imprévues.

Avant même de commencer à travailler avec ces moustiques au Burkina Faso, de nombreuses études sont menées avec nos partenaires. Nos moustiques génétiquement modifiés subissent des tests rigoureux avant d'être importés au Burkina Faso. Les résultats de ces études sont inclus dans un dossier soumis à l'Agence nationale de biosécurité pour obtenir l'autorisation d'importer ces moustiques.

Ce n'est qu'après avoir reçu cette autorisation, et après s'être assurés que les moustiques sont sûrs, que nous commençons à travailler avec eux sur le terrain. Il y a donc une multitude d'études menées au Burkina Faso, au Ghana, en Ouganda et ailleurs pour évaluer l'impact potentiel du lâcher de moustiques sur l'écosystème.

Avec la modification génétique classique, lorsqu'on lâche des moustiques modifiés, le gène d'intérêt finit par disparaître avec le temps. Ce qui oblige à relâcher constamment de nouveaux moustiques pour maintenir l'effet. Pour surmonter ce problème, nous utilisons le gène-drive. Cela permet à la modification génétique de se transmettre rapidement à toute la population de moustiques, assurant ainsi un impact durable. Pour le moment, nous nous concentrons sur les principaux vecteurs du paludisme au Burkina Faso et en Afrique de l'Ouest.

D'autres espèces ne sont pas encore ciblées. Cependant, la technologie est adaptable. Une fois qu'elle sera maîtrisée pour les espèces ciblées, elle pourra être appliquée à d'autres espèces. Nos chercheurs à l'étranger ont déjà commencé à explorer ces aspects, bien que nous n'ayons pas encore importé ces moustiques ni demandé d'autorisation pour cela au Burkina Faso.

En résumé, la technologie que nous utilisons, si elle fonctionne comme prévu, devrait prévenir l'émergence d'autres moustiques susceptibles de transmettre le paludisme. Nous prenons toutes les précautions nécessaires pour minimiser les risques sur l'écosystème.

Le projet est ambitieux à vous entendre. Peut-on avoir une estimation de son coût ?

Quand on considère le projet, il est vrai que nous recevons des fonds de divers bailleurs. Même l'Etat burkinabè contribue énormément. Tous ceux qui travaillent sur ce projet au Burkina Faso sont des fonctionnaires, ce qui signifie que nos salaires sont comptabilisés dans le coût global du projet. De plus, l'insectarium où nous hébergeons les moustiques génétiquement modifiés est un bâtiment de l'Etat, construit par l'IRSS. En outre, l'Etat burkinabè a compris l'importance de cette technologie et a contracté un prêt de 8 millions de dollars (plus de 4 milliards F CFA), auprès de la Banque mondiale.

Ce prêt a permis de créer un centre d'excellence à l'université Nazi-Boni. Aujourd'hui, ce centre abrite un complexe de recherche doté de plateformes techniques très bien équipées. Pour donner un chiffre global, on estime que le budget total de Target Malaria, depuis son lancement en 2005 jusqu'en 2025, sera d'environ 170 millions de dollars (plus de 42 milliards F CFA).

Bien que ce montant puisse sembler énorme, il est important de noter que d'autres outils de lutte contre le paludisme, comme les vaccins, coûtent bien plus. Par exemple, le développement d'un vaccin, du début à la fin, peut coûter environ 500 millions de dollars (plus de 300 milliards F CFA), et celui des insecticides pour les moustiquaires environ 250 millions de dollars (plus de 150 milliards F CFA).

Il s'agit d'un investissement initial important, mais une fois que vous avez un produit final qui peut avoir un impact significatif, le retour sur investissement est rapide. Actuellement, bien que de nombreuses recherches soient menées, le lien avec le secteur privé, qui permettrait de transformer ces résultats en produits concrets ayant un impact sociétal et économique, fait défaut.

Les Etats-Unis et la Chine, par exemple, se sont appuyés sur la science, la technologie et l'innovation pour devenir les puissances qu'ils sont aujourd'hui. Ils ont su créer ce pont entre la recherche et le secteur privé, permettant ainsi de transformer rapidement les résultats de la recherche en produits commercialisables. Par exemple, les premières recherches sur les moustiquaires imprégnées d'insecticide ont commencé au Burkina Faso. Cependant, mis à part la Tanzanie, la production de ces moustiquaires se fait ailleurs, notamment en Chine, au Pakistan, en Inde et en Afghanistan.

Si nous avions bâti un écosystème favorable, ces résultats auraient pu être valorisés localement, créant ainsi des emplois et ajoutant de la valeur à notre économie. Avec Target Malaria, nous nous engageons fermement dans cette dynamique. Nous cherchons à nous assurer que la technologie que nous développons ne se limite pas à des publications, mais qu'elle puisse être domestiquée et exploitée par des jeunes entrepreneurs pour avoir un impact durable sur notre économie.

Si on vous comprend bien, les moustiques déjà lâchés ont été importés. D'où viennent ces moustiques ?

Nous avons plusieurs partenaires avec lesquels nous collaborons. La chaîne de production de ces moustiques se déroule en plusieurs étapes. Tout d'abord, la production initiale des moustiques génétiquement modifiés se fait en Angleterre. Une fois que ces moustiques sont modifiés, ils subissent une série de tests en laboratoire, dans de petites cages spéciales.

Après avoir passé ces tests initiaux, les moustiques sont envoyés en Italie où ils sont placés dans des environnements contrôlés qui reproduisent le microclimat et l'écosystème des moustiques à l'état naturel. Ces tests permettent de récolter un certain nombre de données scientifiques. Ce n'est qu'après avoir confirmé que ces moustiques respectent les critères attendus que nous soumettons notre demande à l'Agence de biosécurité pour les importer.

Cependant, avant d'importer les moustiques, nous envoyons d'abord des moustiques locaux du Burkina Faso pour que la modification génétique soit transférée dans le génome des moustiques burkinabè. Une fois cette étape réalisée, les moustiques modifiés sont renvoyés au Burkina Faso sur lesquels nous travaillons.

Y a-t-il une assurance concernant ces moustiques ?

Exactement. L'assurance se fait à plusieurs niveaux. D'abord, il faut s'assurer que ces moustiques modifiés puissent entrer en compétition avec les moustiques sauvages locaux. Si les moustiques lâchés ne sont pas capables d'avoir l'impact nécessaire, cela pourrait poser problème. C'est pourquoi nous envoyons nos moustiques burkinabè pour qu'ils soient modifiés afin qu'ils puissent efficacement rivaliser avec les moustiques locaux.

En ce qui concerne la sécurité, de nombreuses études sont menées. Par exemple, au Ghana, un pays partenaire, des études sont réalisées pour comprendre le rôle du moustique dans l'écosystème. On évalue, par exemple, l'impact de la suppression de ce moustique sur la chaîne alimentaire, notamment sur les prédateurs qui se nourrissent de ces moustiques.

D'autres études examinent le rôle des moustiques dans la pollinisation. De plus, nous étudions si ces moustiques pourraient potentiellement transmettre le paludisme ou d'autres maladies de manière plus efficace que les moustiques non modifiés. Tous ces éléments sont analysés au cas par cas, puis compilés dans un dossier que nous transmettons à l'Agence de biosécurité.

Pourquoi avez-vous choisi les villages de Bana et de Souroukoudinguè pour mener ces études ?

Le choix de ces villages repose sur plusieurs critères importants. Premièrement, notre laboratoire principal se trouve à Bobo-Dioulasso, à l'IRSS. Lorsqu'on veut lutter contre une espèce de moustique spécifique, il est crucial de s'assurer que cette espèce existe dans la localité choisie et qu'elle constitue un problème de santé publique, en particulier pour le paludisme. Les espèces de moustiques ciblées se trouvent dans ces deux villages, ce qui en fait un choix logique.

Deuxièmement, l'accessibilité est un facteur clé. Imaginez que nous devions mener ces études dans des villages très éloignés, la logistique et le temps nécessaires seraient considérables, d'où l'importance de choisir des villages proches et facilement accessibles.

Troisièmement, la communication avec les communautés locales est essentielle. Il est important de travailler avec des communautés qui comprennent bien le projet et sont prêtes à nous soutenir dans nos recherches. Enfin, en ce qui concerne le village de Bana, situé à environ 30 kilomètres de Bobo-Dioulasso, il se trouve entre la forêt de Dindéresso et Bobo-Dioulasso, créant ainsi une barrière naturelle contre la dispersion des moustiques.

Comme nous ne déployons pas encore le Gène-drive, il est crucial de s'assurer que la dispersion du gène d'intérêt soit aussi maîtrisée que possible avant d'envisager une expansion à plus grande échelle. Ces critères ont donc guidé notre choix de ces villages pour mener nos travaux.

Les démographes s'inquiètent, en ce sens que les moustiques que vous êtes en train de modifier pourraient avoir des conséquences sur la fertilité humaine. Qu'en pensez-vous ?

Je comprends que cela puisse prêter à interprétations et susciter des inquiétudes, mais je tiens à rassurer tout le monde que ce n'est absolument pas le cas. Il est important de comprendre comment ces modifications sont faites, que ce soit avec les moustiques mâles génétiquement modifiés pour être stériles ou les mâles biaisés, qui sont à la deuxième phase de notre projet.

La modification génétique est conçue de manière à permettre aux moustiques de produire une enzyme spécifique, appelée nucléase qui s'attaque au chromosome X. Les chromosomes sexuels déterminent si une personne est un homme ou une femme. Les hommes ont des chromosomes XY, tandis que les femmes ont des chromosomes XX. Lorsqu'un homme et une femme se reproduisent, l'homme fournit des chromosomes X et Y, tandis que la femme ne produit que des chromosomes X.

Si les gamètes XX se rencontrent, cela donne une fille. Si c'est un X de la femme et un Y de l'homme, cela donne un garçon. L'enzyme produite, la nucléase, est conçue pour attaquer spécifiquement le chromosome X pendant la spermatogenèse, c'est-à-dire le processus de formation des spermatozoïdes. Cette enzyme est produite lors de l'accouplement et commence à s'attaquer au chromosome X du mâle et de la femelle. Cependant, pour qu'une enzyme puisse être transmise à une personne, elle doit d'abord entrer en contact avec l'individu, ce qui signifie que le moustique doit piquer la personne.

Même si cela se produisait, il faudrait que l'enzyme se trouve dans les glandes salivaires du moustique pour être transmise lors de la piqûre, ensuite, qu'elle puisse s'attaquer au chromosome X humain pour rendre la personne stérile. Mais toutes les analyses ont montré que l'enzyme et donc la modification, est spécifique à un tissu particulier. Même chez les moustiques mâles où l'enzyme opère, elle n'est trouvée dans aucun autre organe. Elle est uniquement présente dans les organes sexuels du moustique. Des analyses similaires ont été faites chez les femelles.

Même si le gène modifié est présent dans leur génome, il ne s'exprime pas, car son expression est spécifique à un tissu particulier. Cela signifie que le gène peut être dans le génome du moustique, mais s'il n'est pas dans le bon tissu, il ne s'exprimera pas du tout, et n'aura donc aucun impact. De plus, si cette enzyme pouvait avoir un impact par ingestion ou par contact sanguin, nous aurions simplement modifié la nourriture des moustiques pour qu'ils consomment l'enzyme. Mais ce n'est pas le cas, car l'enzyme est rapidement dégradée et n'atteint jamais les cellules germinales pour avoir l'impact souhaité.

Il est compréhensible que des inquiétudes puissent exister, mais je peux assurer que cette modification n'a absolument aucun impact sur les humains. Tous ces éléments ont été examinés et soumis à l'agence de biosécurité qui a évalué les risques avant de nous donner les autorisations nécessaires.

Comment gérez-vous les préoccupations éthiques liées à l'utilisation des moustiques génétiquement modifiés ?

Pour la question d'éthique, nous avons des comités d'éthique qui existent. Ces comités sont au-delà même de l'Agence nationale de biosécurité, pour examiner toutes les questions éthiques. Déjà au niveau de l'IRSS, nous avons le comité d'éthique institutionnel. Tout projet, quel qu'il soit, y compris Target Malaria, passe par ce comité qui regarde toutes les questions éthiques et décide de vous donner l'autorisation de le faire ou pas.

Il fait des critiques par rapport à un certain nombre de choses que vous devez corriger. Au-delà de ce comité, lorsque vous devez aller dans la nature pour faire des lâchers, il y a le comité d'éthique national qui va l'évaluer, regarder toutes les questions d'éthiques et prendre la décision de vous laisser faire le travail ou en tout cas, vous interpeller sur un certain nombre d'aspects.

Quelles sont les perspectives d'avenir pour le projet Target Malaria, au Burkina Faso et au-delà ?

La chose la plus importante qui nous tient à coeur, c'est vraiment d'arriver au produit final. Parce que c'est seulement ce produit final qui va nous permettre d'avoir l'impact. Nous sommes à la phase 2 et avec le travail que nous sommes en train de mener en ce moment, nous auront l'accompagnement nécessaire pour arriver à ce produit final.

Quand on va y arriver, par rapport à tout ce qui a été fait comme modélisation, si le projet marche réellement tel qu'on l'espère, l'impact va être nettement au-delà du Burkina Faso. On le disait tantôt, le paludisme à un certain moment va être vraiment un mauvais souvenir. Et nous sommes en train de travailler dans ce sens pour absolument tout faire pour mettre à la disposition du Burkina Faso et de l'Afrique ce produit qui va nous permettre d'aller vers l'élimination du paludisme.

Le dernier point que je pense qu'on n'exploite pas assez souvent, c'est le renforcement des capacités. Aujourd'hui, nous sommes réellement dans une dynamique de faire du Burkina Faso, le pôle d'excellence de ces nouvelles technologies de telle sorte qu'en Afrique de l'Ouest, tout pays qui a besoin de cette technologie, vienne ici au Burkina Faso apprendre avec nous.

Cela a même déjà commencé avec le Centre d'excellence. Je n'ai pas les chiffres avec moi, mais on a commencé depuis 2019 jusqu'à maintenant. On a des étudiants que nous avons en ce moment qui viennent du Kenya, d'Ethiopie, que nous avons formés et qu'on a envoyés à l'extérieur.

Quel message avez-vous à l'endroit des organisations de la société civile qui expriment des réserves sur le projet Target Malaria ?

D'abord, Target Malaria est ouvert. Si les gens ont des incompréhensions sur quoi que ce soit, interpellez-nous. A la base, nous avons le temps nécessaire qu'il faut pour vous expliquer exactement de quoi il s'agit. Ensuite, nous avons vraiment besoin de l'accompagnement de tout le monde. Nous sommes tous du Burkina Faso et nous voulons tous le bien de notre pays.

Nous particulièrement à Target Malaria, nous sommes payés par l'Etat burkinabè pour faire de la recherche. C'est quelque chose que nous sommes en train de développer pour aider le pays, pas pour le détruire. Il faut vraiment que les gens comprennent que nous faisons partie de la solution et pas du problème.

 

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