La pratique de la médecine vétérinaire est conditionnée par l'obtention d'un diplôme délivré par le ministère en charge des ressources animales à travers l'Ecole nationale de l'élevage et de la santé animale et la délivrance d'une autorisation de la direction générale des services vétérinaires sous le parrainage d'un docteur vétérinaire privé pour les techniciens d'élevage. Mais force est de constater qu'à travers le pays, des éleveurs sans qualification s'érigent en vétérinaire soignant au mépris de la pharmacovigilance et partant, les risques pour la santé des animaux, mais également, sur la santé humaine. Constat dans la région de l'Est !
Il est 8h30 au marché de bétail de Fada N'Gourma, une ville située à 240 km de la capitale, Ouagadougou, dans la région de l'Est. L'affluence de ce centre d'affaires animalier n'est pas des grands jours en ce dimanche 29 juin 2024. La fine pluie qui a débuté tôt le matin a contraint certains à s'abriter, en attendant d'investir les lieux. Néanmoins, quelques animaux sont déjà parqués sur l'aire de vente malgré les eaux et la boue.
Les bouviers les tiennent à carreau. « Aujourd'hui, le marché sera morose si la pluie ne s'arrête pas », s'inquiète le chef des opérations de vente du marché, Koudrègma Birba. A même le sol, le taureau de Boubacar Barry a du mal à se tenir debout. Abasse Zaogo, un vendeur de produits prohibés installé dans le marché est appelé à la rescousse et a injecté un produit à l'animal, car, il faut à tout prix le vendre.
Arrêté à quelques mètres de là, Salifou Tandamba, le chef boucher de l'aire d'abattage de Fada N'Gourma, observe impuissamment la scène. « Si l'animal ne résiste pas au traitement, sa viande va certainement finir dans nos assiettes », s'inquiète-t-il. Le président de la coopérative de bouchers de Fada déplore ce manque de rigueur dans le contrôle de la pratique de la médecine vétérinaire.
« Lorsque nous étions jeunes, aucun animal ne pouvait être abattu sur l'aire d'abattage sans une inspection préalable. Cette inspection sur pied permettait d'éviter d'abattre les animaux malades », regrette-t-il. Selon Salifou Tandamba, la plupart des problèmes de santé que connait la population, surtout dans cette partie du pays, sont liés à leur alimentation. « Les gens mangent du m'importe quoi et en fin de compte, ils ne savent plus de quoi ils souffrent », martèle-t-il.
L'ignorance des utilisateurs
Alima Ouéna est éleveuse de porcs au secteur 8 de Fada. Elle se souvient du jour où elle a décimé ses animaux après un traitement. « Mes porcs avaient des rougeurs sur la peau. Lorsque j'ai appelé le vendeur de produits qui se promène de cour en cour pour écouler ses produits, il m'a donné des médicaments qu'il disait être des déparasitants. Après administration, les porcs ont commencé à mourir. C'est quand j'ai montré au vétérinaire qu'il m'a expliqué que c'est juste du combustible utilisé généralement par les campeurs, que j'ai admi-nistré à mes procs », se remémore Mme Ouéna. Cependant, elle reconnait avoir vendu les animaux morts avec des bouchers.
Venu de Cinkansé, Harouna Lompo, éleveur, s'est vu obligé de traiter ses animaux par ses propres soins. « Nous sommes dans une zone où pour trouver un vétérinaire, c'est la croix et la bannière. Donc, lorsque nous avons un problème avec nos animaux, nous allons de l'autre côté de la frontière (NDLR : Cinkansé Togo) pour nous procurer les produits afin de venir les traiter », explique-t-il.
Jadis éleveur dans son Kantchari natal, Abasse Zaogo est désormais « vétérinaire » formé sur le tas. Il a appris le métier en suivant le chef de zone d'appui technique à l'élevage de sa localité. Forcé de quitter son village pour le chef-lieu de la région les mains vides, suite aux attaques terroristes, il a, grâce à l'aide de certains grossistes du grand marché de Fada, pu reprendre son activité. « Je suis venu à Fada sans aucune ressource. Mais comme depuis le village, je connaissais les produits, je me suis tourné vers les grossistes pour solliciter leur accompagnement.
Et c'est ainsi que j'ai repris l'activité que je menais de temps en temps au village », explique le vieux Zaogo, du haut de ses 57 ans. Il avoue ne pas connaitre les noms des produits, mais lorsqu'un éleveur vient lui expliquer les signes de la maladie dont souffre son animal, il sait déjà ce dont l'animal souffre. Ces « para-vétérinaires » ignorent que leurs actes ont des conséquences à tous les niveaux.
La pharmacovigilance, une mesure pour sauver des vies
Au constat, sur chaque notice des produits, des dispositions sont prises pour éviter de mettre en danger la santé des animaux, encore plus, celle des consommateurs des sous-produits de ces animaux traités. En effet, il est mentionné par exemple, viande : 28 jours, lait : 18 jours et oeuf : 3 jours. Ces avertissements correspondent à des délais d'attente à observer, après administration du produit, avant toute consommation des aliments dérivés de ces animaux traités.
Cette pharmacovigilance vétérinaire a pour principale objectif d'enregistrer et d'évaluer les effets secondaires nocifs éventuels résultant de l'utilisation du médicament chez ces animaux. Mais aussi, les incidents qui peuvent survenir chez des personnes exposées à ces médicaments. « C'est grâce à vous que nous venons de l'apprendre. Sinon, je n'ai jamais su qu'il y a des dispositions à observer après les traitements », se déculpabilise le vaccinateur Zaogo.
De l'avis du Directeur régional (DR) de l'agriculture, des ressources animales et halieutiques de l'Est, Bassirou Mandé, la pratique a la peau dure dans la région. A l'entendre, elle est surtout favorisée par les agents soignants eux-mêmes. « Lorsqu'ils (NDLR : les agents vétérinaires publics et privés) partent sur le terrain pour faire les traitements, ils font appel à des aides sur place pour les appuyer.
Et avec le temps, ces derniers finissent par avoir la main et à connaitre les produits utilisés pour chaque maladie », atteste le DR. Frappée par le terrorisme depuis plusieurs années, poursuit-il, la zone a perdu sa notoriété en matière de suivi des animaux. L'absence de vétérinaires praticiens dans les campagnes et le manque de moyens des éleveurs pour la prise en charge des honoraires dus aux vétérinaires ont été des facteurs favorisants, affirme Dr Guy Zagaré, vétérinaire privé installé à Fada.
« Nombre de nos collègues ont quitté le milieu pour retourner à la fonction publique ou chercher des postes dans les projets, car l'environnement n'est plus favorable dans les zones où ils étaient installés », raconte-t-il.
Des maladies liées aux résidus des produits
Selon Dr Zagaré, la plupart de ces produits, qu'ils soient homologués ou pas, ont un impact sur la santé des animaux, en ce sens que, s'ils ne sont pas bien conservés, ils deviennent toxiques.
« Mais pour les produits frauduleux, non seulement leurs origines sont douteuses, mais aussi, ils ne bénéficient pas d'une bonne conservation. Et, c'est regrettable que ceux qui, sans qualification aucune, s'adonnent à l'exercice de la médecine vétérinaire sous-estiment les effets que tous ces produits (antibiotiques, déparasitants internes ou externes, vitamines), peuvent avoir sur la santé des consommateurs de viande, du lait, des oeufs et même du miel, si les délais d'attente ne sont pas respectés », désapprouve Dr Zagaré. A l'en croire, dans la ville de Fada, certains bouchers « sans scrupules » se préoccupent moins de la santé de la population, en vendant la viande des animaux morts après traitement sur le marché au mépris des conséquences que cela peut avoir sur la santé humaine.
« De nos jours, nous faisons face à des maladies dont nous ignorons les origines. Je suis convaincu qu'elles proviennent des produits de la rue qui sont utilisés dans le traitement des animaux », fait-il remarquer. La consommation de produits d'animaux contaminés, poursuit Dr Zagaré, peuvent à court terme, provoquer une anémie aplasique mortelle après la consommation de la viande contenant des résidus de certains produits et à long terme, la toxicité peut résulter d'une exposition prolongée à d'infimes quantités de certains produits chimiques tels que les substances cancérigènes et les composés qui s'accumulent dans l'organisme, explique ce spécialiste de la santé animale.
Mais au-delà des maladies, dit-il, l'exposition aux antimicrobiens des animaux producteurs d'aliments peut mener à l'apparition et à la propagation d'une antibiorésistance (résistance aux antimicrobiens). Selon Dr Zagaré, les humains peuvent également être exposés à ces bactéries résistantes de différentes façons. Par le contact direct avec des animaux, avec des produits d'origine animale (par exemple, la viande, le lait, les oeufs, le miel) et par la contamination de l'environnement avec des bactéries antibiorésistantes présentes dans le fumier ou d'autres effluents de la ferme, ajoute-il.
Au Centre hospitalier régional (CHR) de Fada, cette mauvaise hygiène alimentaire est plus ressentie chez les enfants. Docteur en pédiatrie, Anita Ilboudo soutient que la plupart de ses patients sont des déplacées internes. « Les pathologies observées sont surtout liées à leur mode alimentaire », précise-t-elle. Selon elle, les motifs de consultation sont de plusieurs ordres, mais tous sont d'origine virale, parasitaire, bactéridienne ... Et même si aucune pathologie spécifique n'est liée à ce mode alimentaire des déplacées internes, Dr Ilboudo dit avoir remarqué plusieurs cas de malformations au niveau de son service.
L'Etat, responsable de la cacophonie ?
Le traitement clandestin des animaux est devenu, de nos jours, un problème de santé publique au Burkina. Pour Dr Guy Zagaré, le non-respect des textes est à l'origine de toute cette cacophonie dans le domaine qui fait tant de mal à la santé de la population. « Avec le programme d'ajustement structurel, le médecin vétérinaire qui a un mandat sanitaire devrait pouvoir occuper les locaux de l'administration publique et le matériel pour travailler pendant la campagne. Mais, au Burkina, l'Etat s'est accaparé de tout et sur le terrain, ce sont les agents de l'administration publique qui pratiquent la médecine vétérinaire au détriment des privés. Ce qui constitue une concurrence déloyale, car leur rôle n'est pas d'intervenir sur le terrain, mais de contrôler l'action des privés », dénonce-t-il.
Pour éviter la consommation des aliments d'origine animalière contaminée, le chef boucher, Salifou Tandamba, prône la construction d'un abattoir moderne, car l'infrastructure construite il y a 80 ans est vétuste et l'hygiène des lieux laisse à désirer.
Un phénomène pris à bras-le-corps
« Les services vétérinaires et notre coopérative (qui regroupe 10 familles de bouchers) ont pris langue à plusieurs reprises avec les autorités municipales pour voir dans quelle mesure, elles peuvent nous doter d'une infrastructure aux normes. Seulement, cela ne semble pas être une priorité pour la commune », se lamente le président de la coopérative des bouchers de Fada.
Dr Zagaré lui, insiste sur l'application des textes.
« Pour montrer à quel point le domaine de la médecine vétérinaire est très important, en tant que vétérinaire, nous n'avons pas le droit d'ouvrir un dépôt comme nos collègues de la santé humaine et de nous faire assister par un gérant. Il faut d'abord que la personne ait une formation. Donc, il faut que l'Etat initie des campagnes de sensibilisation auprès des éleveurs et des bouchers afin qu'ils comprennent que ces produits ne peuvent être utilisés n'importe comment », proposet-il. A la direction régionale en charge des ressources animales, le problème des traitements clandestins est pris à bras-le-corps. Et selon le directeur régional, des mesures ont été prises pour interdire la vente des produits, mais aussi sensibiliser les producteurs afin qu'ils fassent recours aux agents spécialisés (publics ou privés) en cas de besoin.
« L'insécurité est venue limiter nos actions sinon, nous disposions d'agents au niveau des communes, dans les villages que nous appelons des Unités d'appui techniques à l'éleveur (UATE) qui appuient les éleveurs », signale le DR Mandé. S'il est vrai que « le médecin soigne l'homme, mais le vétérinaire soigne l'humanité », comme le dit l'adage, il est important que des dispositions soient prises pour éviter que des résidus de produits médicamenteux de rue se trouvent dans nos plats.