Burkina Faso: Lassane Lankoandé, président de l'Union des Burkinabè d'Afrique du Sud - « Face à cette crise, les Burkinabè doivent être unis »

interview

Lassané Lankoandé réside à Johannesburg depuis 2003. Il est l'actuel président de l'Union des Burkinabè d'Afrique du Sud (UBAS). Dans cet entretien accordé à Sidwaya, il aborde les conditions de séjour de la diaspora burkinabè au pays de Nelson Mandela, son intégration au sein de la société sud-africaine.

Il donne également sa lecture de la crise sécuritaire que connait sa mère patrie et appelle ses compatriotes de l'intérieur comme de l'extérieur à se mettre au-dessus de toutes les considérations pour se liguer et combattre le terrorisme afin de remettre le pays sur les rails du développement.

Pouvez-vous nous présenter la communauté des Burkinabè vivant en Afrique du Sud ?

Nous sommes organisés au sein de l'Union des Burkinabè d'Afrique de Sud (UBAS). L'UBAS existe depuis 16 ans. Selon, les estimations, il y a environ 400 Burkinabè vivant en Afrique du Sud. Mais les membres inscrits à notre association sont au nombre de 100. Ils sont tous des commerçants travaillant à leur propre compte. Il n'y a que deux qui sont des employés. Je suis le président de l'UBAS depuis environ 10 ans.

Je n'ai pas été élu, mais désigné à l'unanimité par l'ensemble de la diaspora, après le départ de l'ancien président. Les compatriotes ont trouvé en moi celui qui peut rassembler, défendre les intérêts de la communauté. Le deuxième dimanche de chaque mois, notre association se réunit. Nous nous partageons les expériences, donnons des conseils sur comment se comporter, se conformer aux lois du pays. L'UBAS a un compte alimenté par les cotisations mensuelles de 200 rands par membre.

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La principale difficulté que les gens rencontrent est liée aux papiers de résidence, surtout pour ceux qui viennent d'arriver. Si, nous apprenons qu'un Burkinabè a un tel problème avec la police, nous lui apportons assistance et secours. Nous mettons un avocat à sa disposition pour le défendre s'il y a lieu. Mais si, la personne doit être rapatriée, nous lui payons le billet d'avion retour et lui trouvons de l'argent de poche, des tenues.

Il y a des Burkinabè rapatriés d'Afrique du Sud qui sont rentrés au pays avec deux ou trois millions F CFA, grâce aux soutiens de la diaspora. Tout dépend de la chance de chacun. Rarement, nous utilisons l'argent de l'association pour faire face à ce genre de dépenses. Généralement, un d'entre nous décide de prendre en charge telle dépense, un autre de s'occuper d'une telle autre charge, ainsi de suite...

Le plus souvent, les gens en difficultés que nous aidons, nous ne les connaissions pas auparavant. Arrivés au pays, nous recevons les appels de remerciements de leurs parents. Fort heureusement, contrairement à d'autres communautés étrangères, nous sommes solidaires. Qu'il s'agisse des évènements heureux ou malheureux, nous nous assistons mutuellement. Par exemple, cette année, il y a un Burkinabè qui es décédé. Lorsque nous avons voulu régler les factures liées à son décès, à son enterrement, un d'entre nous avait déjà tout soldé.

Les Burkinabè sont-ils bien intégrés en Afrique du Sud ?

Nous sommes bien intégrés et bien respectés ici. Les Burkinabè sont l'une des meilleures communautés étrangères en Afrique du Sud. Je ne le dis pas parce que je suis Burkinabè. Beaucoup de Sud-Africains ne connaissaient pas le Burkina Faso. Mais depuis que notre équipe nationale de football a joué la finale de la CAN 2013 ici, les gens connaissent notre pays et respectent les Burkinabè. Nous sommes l'une des rares communautés étrangères qui n'a pas de prisonniers en Afrique du Sud. Lors des contrôles policiers, si tu te présentes comme un Burkinabè, tu as moins de soucis.

Depuis quand résidez-vous dans ce pays et comment y êtes-vous arrivés ?

Le 27 août prochain fera ma 21e année dans ce pays. Je suis arrivé par la voie normale, à partir d'Abidjan, où j'ai pris l'avion pour Johannesburg. Ceux qui nous ont devancés ont entre 27 et 30 ans de résidence. La première vague de Burkinabè est arrivée à la suite de l'élection de Nelson Mandela à la tête du pays en 1994. La seconde vague est venue à la faveur de la CAN 1996 comme supporteurs des Etalons.

Quelle activité menez-vous à Johannesburg ?

Je suis commerçant. J'ai une boutique de vêtements et de chaussures. Et par la grâce de Dieu, je ne me plains pas. J'arrive à bien prendre en charge ma famille. Contrairement à certains membres de la diaspora qui ont des immeubles à Ouagadougou, je n'en dispose pas. Mais j'ai déjà construit chez moi à Fada N'Gourma. J'ai aussi une construction en cours à Ouaga. Ils sont très peu les Burkinabè résidant ici qui n'ont pas investi au pays. Aujourd'hui, les gens qui partent à l'aventure ont bien compris, ils pensent toujours à investir dans leurs pays d'origine.

J'invite les autres communautés burkinabè qui partent à l'aventure à s'inspirer de l'exemple des Bissa. Quand vous arrivez en pays bissa, vous êtes séduits par les investissements qu'ils ont réalisés. Mais ce n'est pas parce qu'ils réussissent plus que les autres. Chez les autres communautés, lorsque leurs frères leur envoient de l'argent, pour des investissements, ils l'utilisent à d'autres fins. Il est temps que les gens changent de mentalités.

Comment, loin de la mère-patrie, vous vivez la crise sécuritaire que connait le Burkina depuis près de 10 ans ?

Je ne sais pas s'il faudrait verser des larmes pour prouver à quel point, nous sommes affectés par cette situation difficile que vit notre pays. Je viens de la province de la Gnagna, mon village est à 17 Km de Bogandé. Mon père a eu 17 filles et garçons. Tous mes frères et soeurs ne sont plus dans leurs villages, du fait du terrorisme. Ils se sont déplacés à Bogandé ou à Piela.

Les terroristes ont tué deux enfants de mon grand frère. Au-delà du pays, je suis personnellement touché par cette guerre terroriste. Je disais tantôt que j'étais en train de construire à Ouagadougou, mais depuis deux ans, le chantier est en arrêt. Car tout l'argent va dans la prise en charge de mes parents déplacés internes. Au total, j'ai environ 100 personnes à ma charge ( mes frères, leurs femmes et enfants, les soeurs et leurs enfants...).

Chaque mois, je leur envoie de l'argent pour qu'ils achètent des vivres. Je paie le loyer de beaucoup d'entre eux. Il y a moins de deux semaines, ma tante a perdu deux de ses enfants, d'autres sont blessés et hospitalisés à Fada. J'ai fait l'école coranique, j'ai grandi entre Koala, Yalgo, Dori, Djibo et dans la zone de Bandiagara au Mali. Les amis et connaissances de toutes ces localités où j'ai vécu avec mes maitres coraniques sont en pleurs aujourd'hui du fait de la situation sécuritaire. Avec cette situation, je ne dors pas la nuit. Quand je reçois un appel du Burkina, mon coeur bat. Je ne sais pas quelle nouvelle on va m'annoncer.

Vous avez fait l'école coranique. Les terroristes justifient leur barbarie comme étant une guerre religieuse, du djihad....

Cette guerre est loin d'être une guerre religieuse, une guerre pour la défense de l'islam. Dans aucun passage du Coran, il est dit que les musulmans doivent tuer leurs prochains. Aujourd'hui, les Burkinabè savent que cette guerre n'a rien de religieux. La preuve, les terroristes tuent sans distinction des musulmans et les non musulmans. Tout le monde sait qu'il y a d'autres agendas, intérêts derrière ce terrorisme. Dans les rangs des terroristes, il y a des Burkinabè. Mais qui leurs fournissent les armes ? Cette question doit donner à réfléchir.

Face à cette situation difficile, la diaspora burkinabè en Afrique du Sud apporte-t-elle son soutien à la mère-patrie ?

Après l'attaque de Solhan, la communauté burkinabè vivant ici avait cotisé 1 500 000 F CFA pour venir en aide aux populations de cette localité. Après ce soutien, suite à l'appel du président à la mobilisation à travers le fonds de soutien patriotique, nous avons également apporté notre contribution à hauteur de 1 500 000 F CFA par l'entremise de la radio Savane FM. Nous avons également apporté un appui financier de 1 200 000 F CFA aux VDP de Pouytenga. Ce qui porte la contribution totale des Burkinabè résidant en Afrique du Sud à l'effort de paix à 4 200 000 F CFA.

Avant la crise sécuritaire, chaque année, à l'occasion de la Journée nationale de la solidarité, en collaboration avec l'ambassade, nous apportons nos contributions. A notre dernière réunion du mois de juillet, nous avons encore lancé un appel à des cotisations pour apporter une fois de plus notre contribution au fonds de soutien patriotique.

Face à cette crise sécuritaire que connait le pays, avez-vous un appel à lancer aux Burkinabè ?

Notre premier message est un message de paix pour notre pays. Face à cette crise, les Burkinabè de l'intérieur et de l'extérieur doivent être unis, soudés comme les enfants d'une même mère et d'un même père. C'est une condition préalable à la paix. Certes, les iniquités de développement entre les régions expliquent en partie cette crise. Mais, aujourd'hui, nous devons nous mettre au-dessus de ces considérations et nous unir pour vaincre d'abord le terrorisme.

J'invite tout le monde à apporter son soutien aux VDP et aux FDS. Après cette guerre, l'approche du développement du pays va changer. Aujourd'hui, la pauvreté a fait que certains Burkinabè ont perdu leur intégrité. Beaucoup de ceux qui mènent les attaques dans les villes et villages sont des natifs des mêmes localités. Certes, dans un pays, tout le monde ne peut pas regarder dans la même direction, mais nous prions pour que la majorité des Burkinabè soit des gens qui oeuvrent pour la construction, le développement de notre pays.

Nous ne sommes pas au pays, mais à travers les médias, nous savons qu'avec les nouvelles autorités, il y a un changement. Nous implorons Dieu pour qu'il assiste notre président dans la bonne direction qu'il a prise, afin que notre pays retrouve la paix, la stabilité. Nous apportons notre soutien au président du Faso et à toute l'équipe qui l'accompagne.


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