Cameroun: Albert Ebossé - La famille du footballeur camerounais entre deuil et amertume 10 ans après sa mort en Algérie

Dix ans après le décès tragique du footballeur camerounais Albert Ebossé Bojongo le 23 août 2014 en Algérie, sa famille à Douala, au Cameroun, peine à faire son deuil. Sa fratrie est resserrée autour de la maman pour entretenir le souvenir de ce jeune joueur, qui représentait les espoirs de toute la famille. Il est mort à 24 ans sur le chemin des vestiaires à la sortie d'un match avec son club, la JS Kabylie (JSK).

En cette veille du tragique anniversaire du 23 août, la concession familiale est plutôt calme. Dans ce petit pâté de cinq maisons bâties sur près d'un hectare et qui abrite la famille Bojongo, sise au quartier Ndogsimbi, dans l'arrondissement de Douala IIIe, se trouvent les sept frères et soeurs toujours en vie d'Albert Ebossé. Ils se regroupent autour du dernier socle vivant de la famille : leur mère, Kotto Marie Epse Bojongo André.

Dans un coin de la grande cour attenante à la maison principale, une tombe a été construite. Elle n'est pas toute fraîche, mais est ornée de quelques fleurs. « C'est papa qui est couché là », annonce avec pudeur sa veuve. « Ça fait quatre ans qu'il est parti. Il s'est battu jusqu'au bout pour connaître les circonstances de la mort de son fils et obtenir, pour lui et pour nous tous, justice. Hélas, il n'a pas eu la chance d'avoir toutes les réponses », conclut-elle sur cette séquence.

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« Depuis ce jour, je suis moi-même morte en partie »

De ce 23 août 2014, la maman se souvient distinctement du coup de fil, le dernier, qu'elle a reçu de son fils. Il était 15 h lorsqu'il l'a appelée. Un échange, comme souvent lors des jours de match, où Albert lui recommandait de suivre la partie en début de soirée. Un match qu'elle ne regardera finalement pas.

Plus tard, peu après 22 h, un vacarme éploré va la sortir de son sommeil. La maison ne désemplit pas, mais personne ne lui dit rien. Alors qu'elle pressent le pire, elle est loin de s'imaginer que le drame se noue là-bas, loin en Algérie. Elle pense plutôt à un accident d'un des siens, dans ces rues de Douala à la conduite si imprudente. Elle s'efforce de faire le compte de ses enfants présents dans la maison et demande à tue-tête : « Qu'y a-t-il ? De qui s'agit-il ? Qui est mort ? » Jusqu'au moment où l'une de ses petites filles va lui souffler la terrible nouvelle au creux de l'oreille.

À la télévision et sur les réseaux sociaux, où les images défilent désormais en boucle, elle voit son fils sortir du stade où il vient de disputer un match. Puis elle aperçoit une silhouette humaine sur laquelle on a roulé un drap blanc, couchée sur un brancard. « Depuis ce jour, je suis moi-même morte en partie », assène-t-elle.

Les jours qui suivent le drame, les questions s'amoncellent et la famille, incrédule, veut comprendre. Mais vers qui se diriger ? Qui pour expliquer ce qui a bien pu se passer ? Qui sont les responsables ? Pourquoi Albert et pas un autre ? Et quid des préjudices ? La JSK, le club employeur, va rapidement communiquer une première version : Albert Ebossé serait mort à la suite du jet d'une ardoise, lancée depuis les gradins du stade du 1er-Novembre-1954 de Tizi-Ouzou.

« Papa s'est épuisé à la tâche et est mort sans avoir réussi à faire toute la lumière »

La famille, le père Anderson André Bojongo, en tête, n'y croit guère. Une nouvelle autopsie est pratiquée sur la dépouille, à Douala. Ses conclusions sont littéralement à l'opposé de celle pratiquée en Algérie : selon elles, le footballeur de 24 ans a succombé à une violente agression qui a causé notamment « une rupture des vertèbres cervicales ». Dix ans plus tard, la famille s'y tient encore. « Ils ont tué mon enfant, tel un chien », lâche la maman, dans une voix étouffée par un sanglot.

« Pendant six mois, papa a multiplié les démarches auprès de l'équipe dirigeante de la JSK, de la chancellerie algérienne à Yaoundé et même auprès des autorités camerounaises pour que justice soit rendue à mon frère, en vain. Il s'est épuisé à la tâche et est mort sans jamais avoir pu réussir à faire toute la lumière sur ce dossier », témoigne Hughes Bojongo, un des frères aînés d'Albert Ebossé, avant d'ajouter, un brin énervé : « Les gens racontent des bêtises sur l'argent que papa aurait reçu dans cette malheureuse affaire. On parle tantôt d'un milliard, une autre fois de 800 millions [de francs CFA, NDLR]. Vous qui êtes ici, vous voyez quelque chose qui s'approche de telles sommes ? Tout ça, ce sont des sottises et c'est révoltant. »

L'envie de réconcilier le club, la famille et le peuple camerounais, pour tourner la page

La famille concède néanmoins avoir reçu de la JSK la somme de 9 millions de francs CFA [un peu moins de 14 000 euros, NDLR] pour l'organisation des obsèques. Nyamsi Bojongo Jeannette, l'une des soeurs, évoque un montant plus important de 100 millions qui auraient été perçus plus tard. Par qui et de quel expéditeur ? Les réponses à ces interrogations restent imprécises.

Pour la commémoration des 10 ans du décès de leur fils et frère, les Bojongo ont envisagé l'organisation d'une série d'hommages. Celles-ci devaient culminer avec la tenue, le 23 août, d'un match de gala pour lequel ils espéraient la participation d'une section de la JSK. L'idée étant de réconcilier le club, la famille et le peuple camerounais et ainsi tourner la page de cette douloureuse tragédie dont ils disent ne s'être jamais remis. Mais l'événement n'aura finalement pas lieu, en raison de diverses contingences et du silence que leur opposent les parties concernées, déplore notamment Hughes Bojongo qui en a eu l'idée.

Il s'insurge aussi de l'abandon dont la famille ferait l'objet de la part de la JSK. Alors qu'il s'y serait engagé pendant les obsèques, le club algérien aurait coupé tout contact avec la famille. Et voici neuf ans déjà qu'il n'aurait tenu aucune promesse, selon la famille d'Albert Ebossé : principalement la prise en charge jusqu'à sa majorité de la fille du défunt, âgée d'un an lors du drame, et dont la scolarisation échoit désormais à sa grand-mère.

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