Les terres cultivables manquent énormément dans la région du Centre-Nord en raison de la pression foncière et démographique. De surcroît, elles figurent parmi celles les plus dégradées au Burkina Faso, selon les techniciens du sol et de l'agriculture.
Mais, des petits producteurs, avec parmi eux des Personnes déplacées internes (PDI), cultivent du sorgho rouge et blanc ainsi que du sésame, sur des collines culminant à près de 150 mètres, à Boussouma, à 25 kilomètres de Kaya. A l'aide des diguettes filtrantes et de la Régénération naturelle assistée (RNA), ils exploitent ce milieu accidentel. Reportage en ce début d'août dans les champs de collines dont les exploitants ont choisi principalement des techniques antiérosives et de fertilisation, à travers les diguettes filtrantes et la RNA pour gérer durablement leurs terres.
Située à 80 kilomètres (km) de la capitale Ouagadougou, Boussouma est une commune rurale de la région du Centre-Nord, distante de Kaya, chef-lieu de la région, de 25 km. En ce début du mois d'août 2024, quelques nuages annonciateurs de pluie s'amoncellent à l'horizon. Dans cette bourgade peuplée de milliers d'âmes, les activités champêtres se font sentir, malgré l'installation tardive de la saison des pluies. Çà et là, de petites plantes de mil et de maïs s'étendent dans des champs, à perte de vue, qui continuent d'implorer la clémence de dame nature.
Aminata Bamogo, une paysanne de 36 ans et mère de six enfants se fait remarquer. Personne déplacée interne (PDI), originaire de la commune rurale de Pensa, située à 105 km de Boussouma, cette petite productrice ne pouvait avoir à l'esprit qu'un jour, elle serait sur une colline à plus de 100 mètres (m) du sol pour pratiquer l'agriculture encore moins des techniques de gestion durable des terres, afin d'avoir sa pitance.
Ainsi, ce jeudi 1er août 2024, en compagnie d'autres femmes, nous la trouvons aux flancs d'une colline cultivable qui lui a été léguée par les propriétaires terriens et parsemée de pierres de différentes tailles disposées de façon horizontale du sommet de la colline jusqu'aux flancs. Difficile d'évaluer la superficie de cette aire cultivable où l'on remarque de petites plantes de sorgho blanc, car n'étant pas une terre pleine.
Comment faites-vous pour assembler ces pierres ? D'où viennent-elles ? Lançons-nous à dame Bamogo. Tout sourire, elle explique que l'assemblage des pierres est une technique qui lui a été enseignée par les agents techniques d'agriculture pour protéger le sol et éviter que les eaux, en ruisselant, ne décapent la bonne partie de la terre pour en déverser aux bas-côtés ou versants de la colline. Ces cailloux, dit-elle, dès le mois de mai, ont été emportés, pour certains, de la terre ferme, jusqu'en hauteur dans le champ.
Des préparatifs particuliers
Pour d'autres, ils ont été trouvés sur place sur la colline et assemblés. Mais, prévient-elle, avant d'avoir un champ de sésame, de sorgho rouge ou blanc et de maïs sur ces collines et espérer récolter à la fin de décembre, il faut des préparatifs particuliers. Aminata Bamogo détaille qu'il faut d'abord isoler les gros cailloux et désherber toujours du bas vers le haut pour ensuite semer, en bravant les morsures douloureuses des reptiles et scorpions et en attendant les ravages des oiseaux et autres singes maraudeurs qui réduisent les rendements, lors des moissons. En réalité, pour gravir la colline, il faut être un initié.
Car, il ne faut pas plus d'une vingtaine de minutes (mn) pour arriver au sommet. Après avoir fait des efforts physiques, nous voici au point culminant qui nous montre une vue panoramique et pittoresque de comment sont disposées ces pierres, le long desquelles, il y a la présence de l'Andropogon gayanus, une plante herbacée qui permet, selon les techniciens, de freiner l'écoulement de l'eau et d'assurer l'humidité du sol.
« Je cultivais avec la famille sur une terre basse mais, depuis notre fuite de Pensa pour Kaya, j'exploite ce sommet avec mes enfants et d'autres femmes, il y a de cela quatre ans », se souvient un instant, Mme Bamogo, au bord des larmes. Par an, quelle quantité de sorgho pouvez-vous récolter ? Cette question semble dissiper un tant soit peu les souvenirs douloureux causés par les affres du terrorisme vécus par dame Bamogo qui est convaincue que « la terre ne ment pas », une sagesse, dit-elle, qui traverse les âges depuis les temps immémoriaux.
« La patience est un chemin d'or, nous a-t-on apprit », dixit Aminata Bamogo qui espère récolter, comme chaque année, deux charrettes de sorgho blanc équivalant à quatre sacs de 50 kilogrammes (kg), grâce à la technique de la diguette filtrante utilisée principalement. « Nous avons traité la ravine parce que là, la force de l'eau est trop. Si vous regardez du haut vers le bas, on a l'impression de voir une rigole.
Voilà pourquoi, nous avons essayé de faire des diguettes filtrantes qu'on ne peut pas qualifier de cordons pierreux, pour pouvoir supporter la force de l'eau en fonction de la pente », explique la cheffe de l'Unité d'appui technique en agriculture (UAT) de Boussouma, Mahoua Bawa/Traoré, concernant les techniques appliquées à l'exploitation d'Aminata Bamogo, avec l'aide des agents techniques d'agriculture. Tout comme elle, Zakaria Bamogo est une PDI, d'une quarantaine d'années et père de sept enfants. Egalement, petit producteur originaire de la commune rurale de Dablo, dans la région du Centre-Nord, à plus de 100 km de Boussouma, M. Bamogo, par la force des choses, s'est aussi retrouvé sur une colline culminant à plus de 100 m, selon les données GPS (Global positioning System ou Système de positionnement global, en Français), pour pratiquer l'agriculture, loin de sa terre natale, depuis 2022.
Mais, interrogé, très vite, il insiste que sans la technique de la diguette filtrante associée à la technique de Régénération naturelle assistée (RNA), il est difficile, voire impossible de faire de bonnes récoltes. Son champ est une vaste étendue de colline évaluée, à ses dires, à quatre hectares (ha).
Située à quelques pas de celui de dame Bamogo, c'est une superficie emblavée de sorgho blanc que nous avons découverte. Aidés par le propriétaire, Zakaria Bamogo, nous arrivons à la cime de la colline, avec beaucoup de peines et des jambes engourdies, accompagnés des techniciens d'agriculture. Des rigoles créées par le ruissellement de l'eau de pluie sont visibles. Et M. Bamogo de nous faire comprendre que c'est justement à cause de cette situation qu'il utilise, en suivant les conseils des spécialistes, les diguettes filtrantes pour atténuer l'effet de l'érosion hydrique.
Les pentes sont fortes sur les collines, avec un ruissèlement important, les sols sont caillouteux et peu profonds rendant les opérations culturales difficiles, le travail est pénible à cause du grand nombre de moellons (pierres) à aligner, etc., reconnaît également le producteur Zakaria Bamogo. «Au début, je rassemblais les pierres dans un coin de mon champ, je coupais les jeunes plantes qui y poussaient ainsi que certains arbres.
Mais, avec les conseils des agents techniques d'agriculture, j'ai découvert que les cailloux sont utiles. Pour les jeunes plants, les arbres et même les touffes d'herbe, je les entretiens bien maintenant car ils servent à fertiliser le sol et me procurent de l'ombre, en ce qui concerne les arbres », lâche-t-il dans un large sourire tout en montrant du doigt des arbres élagués au milieu de son exploitation.
Des champs des propriétaires de collines
Les cultures sur les collines, à Boussouma, sont séculaires, même si certaines d'entre elles sont sacrées où il est formellement interdit de pratiquer l'agriculture. Soumaïla Sawadogo fait partie des petits producteurs et propriétaires terriens qui exploitent également ces élévations. D'emblée, il affirme que même en cas de mauvaise pluviométrie, les
rendements sont forts appréciables. Il est suivi par les agents techniques d'agriculture qui soutiennent qu'avec les techniques de protection des sols sur les collines, le rendement est plus élevé sur les collines par rapport aux terres basses, respectivement de 115 kg et 110 kg, par exemple, dans des conditions de superficie, de pluviométrie et de fertilisation identiques. Soumaïla Sawadogo confie, par ailleurs, que cultiver sur les collines est harassante et demande du courage ainsi que de l'abnégation. Car, dit-il, il faut forcément faire usage d'une petite houe en raison de la difficulté d'utiliser un tracteur.
Toutefois, il envisage récolter à la fin, 300 kg de sorgho blanc. Pour la cheffe de l'UAT de Boussouma, les diguettes filtrantes sont de bonnes techniques qui améliorent les rendements agricoles sur les collines. C'est pourquoi, justifie-t-elle, les rendements au départ de l'exploitation de ces milieux n'étaient pas satisfaisants par manque de ces techniques et bien que ce type d'agriculture se pratique sur des formations pédologiques et géologiques propices à l'agriculture.
« Les diguettes filtrantes aident à la bonne gestion des terres et au développement des cultures parce qu'elles permettent l'infiltration des eaux dans le sol et lutte contre leur ruissellement », fait savoir Mahoua Bawa/Traoré qui assure que sur les collines, avec l'utilisation des diguettes filtrantes, l'on peut récolter 900 kg de sorgho blanc par ha. Ce qui est, pour elle, un grand apport à la sécurité et à l'autosuffisance alimentaires dans la région du Centre-Nord, en particulier et au Burkina Faso, en général. « Si toutes les techniques de fertilisation sont bien utilisées, les collines donnent autant de meilleurs rendements agricoles que les terres fermes et même plus », renchérit la cheffe de l'UAT de Boussouma.
Cette quantité par ha récoltée sur les collines est bien au-delà de celle obtenue sur les terres basses dans la région du Centre-Nord, en général, soit 650 kg/ha ou 700 kg/ha de mil ou de sorgho, renchérit l'agronome à l'Institut de l'environnement et de recherches agricoles (INERA) du Burkina Faso Faso, Dr Hamado Sawadogo, par ailleurs géo-pédologue, spécialisé en conservation des sols et des eaux.
La RNA, une autre technique de gestion durable des collines
Les diguettes filtrantes sont des ouvrages antiérosifs construits le long des courbes de niveau qui ont une hauteur de 30 à 50 cm et qui s'étendent sur une largeur égale à deux fois ou trois fois la hauteur, laisse entendre le directeur provincial de l'agriculture, des ressources animales et halieutiques de la province du Sanmatenga, Daouda Kiemdé. Les diguettes filtrantes, affirme-t-il, souvent protégées par des pieds d'Andropogon gayanus, sont utilisées sur les différentes collines exploitées dans la commune de Boussouma, à Soaga (20 ha), Fouti (20 ha), Singué (20 ha) et Nassogtanguin (16 ha) occupées principalement par des céréales (sorgho, mil) et quelques légumineuses telles que l'arachide, le niébé et le sésame.
Le directeur régional de l'Environnement, de l'Eau et de l'Assainissement de la région du Centre-Nord, le lieutenant-colonel et inspecteur principal des Eaux et forêts, Justin Paré, lui, reconnaît que les plantes herbacées, comme l'Andropogon gayanus, associées aux diguettes filtrantes favorisent la résilience au changement climatique en freinant l'érosion hydrique.
« En milieu de collines, ce sont des pratiques qui profitent aux producteurs dans un contexte de vents violents qui peuvent détruire les plantes. Sans elles, la plante peut mourir de stress hydrique », argumente-t-il. La Régénération naturelle est le processus naturel de reconstitution des formations végétales qui devient assistée (RNA) quand l'homme intervient pour aider les plantes à grandir en vue de tirer profit des potentialités fertilisantes (biomasse, humus, engrais bio) qu'offre l'arbre, explique le directeur de recherches en biologie et écologie végétale et spécialiste en agroforesterie, Dr André Babou Bationo.
« L'avantage d'associer la RNA aux diguettes filtrantes, est de créer des bandes antiérosives qui bordent ces diguettes pour lutter contre l'érosion de l'eau et du vent », appuie le spécialiste en agroforesterie. Pour lui, l'Andropogon gayanus constitue une bande enherbée favorisant l'infiltration des eaux au sol et dont l'association aux diguettes filtrantes est un avantage énorme pour la conservation du sol sur les collines. « En terre haute, le ruissellement est très important, la disposition de ces arbres peut favoriser la lutte contre l'érosion surtout hydrique qui est très accrue sur les flancs des collines.
On peut aussi créer une RNA active pour rentabiliser en faisant en sorte que les arbres soient perpendiculaires à la pente », détaille Dr André Babou Bationo. Dans la région du Centre-Nord, comme au Burkina Faso, d'une manière générale, les sols sont pauvres en matière organique, moins fertiles et manquent d'azote et de phosphore surtout qui sont des éléments clés pour la nutrition des plantes cultivées.
Concernant les collines de Boussouma, Dr Hamado précise que ce sont des sols marginaux, riches en éléments nutritifs (azote et phosphore) et à forte pente, obligeant les agriculteurs à utiliser des techniques de gestion durable comme la RNA. « Sur ces zones, le meilleur moyen d'adaptation est la technique d'agroforesterie, car premièrement, les racines des plantes remontent les éléments minéraux qui sont dans le sol.
Deuxièmement, il y a la masse de feuilles qui tombe et qui constitue la matière organique », insiste le spécialiste en conservation des sols et des eaux. Les producteurs sur les collines de Boussouma souffrent énormément pour produire en raison du caractère accidentel du milieu. Aucun projet ne s'est jusque-là signalé pour les aider. D'où la cheffe de l'UAT de Boussouma d'appeler l'Etat et ses partenaires à les organiser afin de les appuyer dans la gestion durable de leurs terres en hauteur.