Alors que la révolution numérique et les industries créatives sont en train de redéfinir les dynamiques économiques mondiales, la Tunisie, avec ses richesses culturelles et son potentiel créatif, peut se positionner en tant qu'acteur régional important dans le domaine des ICC. Cependant, pour que ce secteur devienne un véritable levier de croissance, il est essentiel de surmonter divers obstacles, liés essentiellement à l'informalité de ces activités.
Avec la nouvelle révolution technologique qui n'a cessé depuis sa naissance de secouer le monde et de bouleverser le paysage économique mondial, les industries classiques bien qu'elles occupent toujours une place prépondérante dans la création des richesses, sont aujourd'hui devancées par de nouvelles formes d'industries qui reposent essentiellement sur les technologies très avancées. C'est qu'on parle déjà d'industries 4.0, industries 5.0, économie du savoir, etc.
D'ailleurs, les plus grandes capitalisations boursières au monde ne proviennent plus du secteur manufacturier. L'époque où les magnats du pétrole ou de l'automobile dominaient les marchés est révolue. La montée en puissance -- spectaculaire et rapide --, au cours des deux dernières décennies, des GAFA, rattrapés eux-mêmes par de nouvelles licornes technologiques, a révélé la valeur hautement forte des entreprises d'innovation technologique. Parmi ces secteurs émergents à forte valeur ajoutée, figurent les secteurs créatifs.
En effet, les industries créatives et culturelles représentent un secteur résilient, avec un potentiel immense. Grâce aux technologies avancées, ces industries connaissent un essor sans précédent, poursuivant une croissance imperturbable par des crises comme celle du Covid-19. Une résilience qui a inspiré l'Unesco à proclamer l'année 2021 comme celle de « l'économie créative au service du développement durable », mettant en avant la croissance rapide de ce secteur à l'échelle mondiale.
Un secteur en plein boom
Les ICC jouent un rôle particulièrement important dans les économies parce qu'elles attirent les jeunes, et emploient majoritairement des individus âgés de 18 à 25 ans. En 2021, elles ont généré 2.250 milliards de dollars et employé plus de 30 millions de personnes dans le monde. En 2020, les services créatifs représentaient 21 % des exportations mondiales de services, une croissance significative par rapport aux 12 % d'il y a dix ans.
Cependant, cette croissance est marquée par de grandes disparités régionales : alors que l'Asie-Pacifique, l'Europe et l'Amérique du Nord cumulent 92% des revenus générés par le secteur dans le monde, les pays d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Amérique latine arrivent en queue de peloton. Or, s'il y a bien une réalité que les chiffres reflètent, c'est à la fois le potentiel inexploité du secteur dans les pays du Sud, mais aussi sa précarité et le caractère informel qui le dominent.
L'exemple de la Corée du Sud
Bravant l'obstacle de la langue, la Corée du Sud s'avère un véritable exemple inspirant pour les autres pays qui sous-estiment leurs potentiels dans ce domaine. Ses secteurs créatifs, enregistrant une croissance annuelle de 4 à 5 % et employant plus de 600.000 personnes, ont produit 12,4 milliards de dollars de revenus d'exportation en 2021, contre 4,7 milliards pour les exportations d'appareils électroniques grand public.
Un nouveau rapport de la Cnuced explore comment d'autres pays peuvent s'inspirer du parcours de cette nation asiatique, devenant une force culturelle mondiale. Selon le document, le succès de la Corée offre un modèle inspirant pour d'autres pays, comme la Tunisie, aspirant à transformer leurs atouts culturels et leurs industries créatives en moteurs de croissance et de développement. En effet, l'émergence de la République de Corée sur la scène culturelle internationale n'a rien d'un hasard, elle résulte d'une alliance stratégique entre les politiques gouvernementales et l'innovation du secteur privé.
Le succès s'est appuyé sur un cadre institutionnel robuste, orchestré par le ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme, agissant comme entité coordinatrice pour les organismes de promotion des secteurs créatifs du pays, tels que l'Agence coréenne du contenu créatif, la Fondation coréenne pour l'échange culturel international, et le Conseil coréen du film.
Ces organismes, bénéficiant de financements publics considérables, ont façonné l'ascension de la Corée en tant que colosse culturel. Des mesures de soutien financier du gouvernement, y compris des prêts et des avantages fiscaux, ainsi que la protection de la propriété intellectuelle, ont encouragé un climat propice à l'innovation et à l'avancement technologique.
L'investissement dans des institutions éducatives clés, comme l'Académie coréenne des arts cinématographiques et l'Université nationale des arts de Corée, a été essentiel pour cultiver une nouvelle génération de créateurs. Ces derniers ont su exploiter les plateformes numériques pour toucher un public bien au-delà des frontières nationales et asiatiques. Grâce à des investissements stratégiques et à des politiques de soutien, le gouvernement et le secteur privé ont créé un écosystème créatif où l'innovation prospère, permettant aux produits culturels coréens d'atteindre un public mondial.
Le potentiel de la Tunisie
La Tunisie, grâce à sa jeunesse, son patrimoine riche et ses ressources culturelles et créatives, possède un potentiel important pour développer les Industries Créatives et Culturelles et en faire un moteur de croissance économique. En avance sur le plan technologique par rapport à d'autres pays de la région, la Tunisie est bien positionnée pour bénéficier de l'essor mondial des ICC, soutenu par une jeune génération familiarisée avec les technologies modernes.
Les résultats d'une étude réalisée en 2022 soulignent ce potentiel, toutefois ils mettent à nu la prépondérance de l'informel dans ce secteur. En effet, les activités culturelles en Tunisie génèrent des revenus de l'ordre de 1,5 milliard de dinars, soit 0,7% du PIB. La filière la plus génératrice de revenus serait la filière «Design et autres services créatifs», contribuant à hauteur de 39% de la taille de marché des ICC.
Les résultats de l'étude ont également révélé que le secteur renferme près de 14.000 entreprises employant plus de 70.000 personnes, soit 1,6% de la population active.
Cependant, le secteur est marqué par une forte informalité, avec 56 % des emplois qui sont non déclarés et un tiers des chiffres d'affaires culturels qui sont réalisés dans l'informel. En raison de sa vulnérabilité, le secteur peine à attirer des investissements importants et des financements bancaires. C'est pourquoi il est important de mettre en place des réformes pour moderniser les lois existantes et stimuler la consommation culturelle, afin de libérer le potentiel inexploité de ce secteur.