Avec l'échéance électorale qui approche, la dette publique s'imposera dans le débat politique et deviendra à coup sûr un argument de campagne. Cela, vu que d'une année à l'autre, elle tend à grimper pour atteindre des proportions souvent alarmantes.
Celle de juin 2024, en s'appuyant sur les dernières statistiques du ministère des Finances, montre qu'elle a augmenté de plus de Rs 50 milliards en 12 mois pour atteindre Rs 546 milliards. Déjà pour le premier semestre 2024, elle avait augmenté de Rs 46 milliards.
Comparée au PIB du pays, la dette publique est toutefois en légère baisse : 77,6 % en juin 2024 contre 77,7 % en décembre 2023 et 79,3 %, en septembre 2023. Raison avancée : une PIB en hausse de Rs 659 milliards en décembre 2023, qui est passée à Rs 673 milliards et Rs 704 milliards en mars et juin 2024 respectivement après des baisses conséquentes liées à la contraction économique en 2020 dans le sillage de la pandémie de Covid-19.
Des économistes notent cependant un PIB gonflé artificiellement par la création monétaire et sa nouvelle comptabilisation, incluant les revenus primaires engrangés via les Global Business Companies. À Rs 546 milliards, c'est déjà une dette de Rs 420 000 sur la tête de chaque habitant. De quoi alarmer la population, plus particulièrement les jeunes, vu la taille de ce fardeau financier qu'ils seront appelés à porter à l'avenir; et s'attirer en même temps les critiques des économistes et de l'opposition, ces derniers s'interrogeant sur la gestion de la dette publique et de sa courbe ascendante.
L'économiste Eric Ng est catégorique dans son constat : «Si sous le gouvernement 2014-2020, la dette du secteur public avait augmenté de presque Rs 2 milliards par mois, maintenant, ce sont Rs 7 milliards par mois au deuxième trimestre de l'année. C'est beaucoup. Et le prochain PRB va encore accroître la dette publique.» À ce rythme, avec notamment les mesures électoralistes qui vont se multiplier dans les jours à venir après celle du backpay de 12 mois du PRB payable en décembre 2025, il faut s'attendre à ce que la barre de la dette dépasse les Rs 600 milliards d'ici la fin de l'année, explique un spécialiste qui a voulu garder l'anonymat.
Taxe différée
Comme quoi il sera difficile dans le contexte actuel de freiner l'appétit gargantuesque du régime sortant en matière de dépenses publiques. «Toute augmentation de la dette a une incidence directe sur les contribuables car c'est une taxe différée qu'ils seront appelés à payer à l'avenir. Ce qu'ils reçoivent aujourd'hui sous forme de réalignement ou augmentation salariale n'est en fait qu'une illusion monétaire. C'est ni plus ni moins qu'une inflation tax», analyse le spécialiste de la finance.
Pour d'autres experts,les milliards du PIB ne sont pas strictement comparables puisque la roupie ne cesse de glisser en valeur. «Une dette publique dépassant les trois quarts du PIB, c'est loin d'être négligeable, Il faut prendre toutes les mesures pour enrayer cette hausse et réduire le pourcentage. Or, dans les moyen et long termes, la seule manière d'y parvenir, c'est de déployer le mieux possible toutes les ressources économiques en vue de grossir le PIB de manière significative», disent-ils.
Pour le moment, le ministère des Finances ou, plus largement, le gouvernement ne semble pas se soucier outre mesure du niveau de la dette publique, convaincu qu'elle est dans une phase baissière. Elle est passée de 92 % du PIB en juin 2021 à presque 77 % aujourd'hui, soit en deçà, selon le ministre Padayachy, de l'ancrage fiscal déterminé par le FMI qui était de 80 % du PIB.
«Avec une croissance robuste de 8,9 % en 2022, de 7 % en 2023 et une estimation de 6,5 % cette année, notre objectif est de réduire davantage la dette souveraine à son niveau prépandémique. Nous pensons pouvoir ramener la dette publique à 60 % du PIB bien avant 2030», se plaît-il à souligner. Son objectif budgétaire au terme de l'année fiscale 2024-25 est de 71,1 % du PIB. Ce qui est loin de convaincre les initiés, vu que les différentes mesures électoralistes annoncées dans le budget et hors du budget devraient faire filer la dette publique.
Pour autant, faut-il toujours s'obséder et s'engager dans un débat sur le seuil de la dette publique, compte tenu que le pays ne dispose pas de ressources minières ou pétrolières. Certains économistes fixent ce plafond à 60 % du PIB alors que d'autres estiment que le pays peut s'endetter plus à condition qu'il puisse rembourser ses dettes et que les fonds soient investis dans des projets susceptibles d'influer positivement sur la croissance économique. «Un taux élevé de la dette publique n'est pas nécessairement une mauvaise chose en soi. Sa bonne gestion peut améliorer le niveau de vie d'un pays, incitant la population à dépenser plus, favorisant une croissance économique soutenable dans le temps en sus de générer plus de revenus fiscaux à être collectés», explique l'analyste financier, Imrith Ramtohul.
Aujourd'hui, comme hier, on cite volontiers le Japon ou Dubaï pour rappeler que le progrès économique et social dans ces deux États n'aurait pas été possible si le plafond de la dette était limité à 60 % du PIB. D'ailleurs, nombreux sont les économistes et autres experts qui arguent que la dette du secteur publique à Maurice dépasserait largement les 100 % du PIB si on y incluait les Special Purpose Vehicles à travers lesquels l'État garantit des prêts internationaux.
Qu'on le veuille ou non, la dette publique reste un indicateur économique éminemment politisé à Maurice comme ailleurs. Elle enflammera le débat politique à l'approche de la campagne électorale.