Ile Maurice: Showkutally Soodhun - De l'arme aux larmes

Il est un personnage qui a certes joué un rôle clé dans des liens renforcés entre les gouvernements mauricien et saoudien, qui a considérablement aidé financièrement dans la construction d'hôpitaux et logements sociaux. L'an dernier, l'e-visa est devenu une réalité pour les Mauriciens voyageant aux Émirats arabes unis. Mais l'ambassadeur mauricien fait l'objet d'une nouvelle controverse.

Cette affaire d'un don de USD 6 millions du gouvernement saoudien pour des mosquées dans l'île remonte à septembre 2019, quand l'ambassadeur Showkutally Soodhun a, dans un discours lors d'un dîner au sir Abdool Razack Mohamed Hall à Phoenix, affirmé qu'il avait «ramené Rs 200 millions de dons pour les mosquées et Rs 70 millions pour les pêcheurs», ce dernier faisant référence à un accord sur la pêche signé à Riyad.

Le don de USD 6 millions devait servir à construire de nouvelles mosquées, rénover celles existantes et construire des écoles islamiques et de langue arabe. Or, cinq ans plus tard, ils sont nombreux, à l'instar du maulana Khodadin, à s'interroger sur ce don financier et sa distribution aux mosquées. À noter que ce dernier a été convoqué à une réunion par la Jummah Mosque hier pour fournir des explications à ce sujet.

La polémique a en tout cas poussé l'ambassadeur Soodhun à s'expliquer, en pleurant à chaudes larmes, sur une radio privée et à préciser qu'après une promesse du prince Mohammed bin Salman à l'époque, il avait fait une annonce verbale. Mais que le don financier - représentant aujourd'hui Rs 276 millions - n'a pas encore été décaissé. Il a ajouté qu'une délégation saoudienne aurait visité les mosquées et rencontré le Premier ministre et d'autres autorités.

Un comité aurait été recommandé par le ministère des Finances alors que l'Islamic Cultural Centre (ICC) et le Waqf Board seraient censés gérer la somme. Nous avons sollicité des informations du ministère des Finances à ce sujet et attendons des réponses.

Xavier-Luc Duval menacé de mort

Showkutally Soodhun est un habitué des controverses. Le 18 juillet 2017, lors d'un congrès à Flacq, il avait déclaré en parlant de Xavier-Luc Duval, alors leader de l'opposition : «Si mo bodyguard donn mwa so revolver, mo ti pou touy Xavier Duval dan Parlman. Mo touy li. Apré samem ki apel djihad.» Les commentaires étaient devenus viraux sur les réseaux sociaux et Showkutally Soodhun avait été poursuivi pour outrage à un membre du Parlement sous l'article 156(1) du Code pénal. Toutefois, en 2020, l'affaire avait été rayée, le Leader des bleus ayant décidé d'envoyer une lettre au bureau du Directeur des poursuites publiques indiquant ne plus souhaiter donner suite à l'affaire.

Osman Mahomed : «un dossier mal géré avec la complicité du gouvernement»

Osman Mahomed, député du Parti travailliste, évoque une grande confusion autour de ce dossier qui aurait été «mal géré par l'ambassadeur Soodhun, avec la complicité du gouvernement, ce qui compromet les liens diplomatiques entre nos deux pays. Le gouvernement saoudien a assisté Maurice dans la réalisation de plusieurs projets, pour lesquelles on lui est reconnaissant (...) l'ambassadeur (NdlR: Showkutally Soodhun), maladroit, avait lui affirmé sur plusieurs plateformes qu'il avait apporté USD 6 millions pour les mosquées.»

Il faut souligner que Maurice a bénéficié de l'aide financière de l'Arabie saoudite pour d'autres grands projets qui se sont rapidement concrétisés, dont l'hôpital Sir Aneerood Jugnauth à Flacq, inauguré mardi, le New Cancer Centre à Solferino, des maisons NHDC et en partie le complexe sportif de Côte-d'Or.«Cependant, j'ai posé des questions au Parlement à trois reprises sur le don financier pour les mosquées et nous avons entendu parler de la création d'une fondation mais rien n'a été fait en cinq ans. À la veille des élections, le maulana Khodadin a toutes les raisons de poser des questions pertinentes à ce sujet», affirme le député Mahomed.

Pour rappel, le député avait posé des questions au Parlement à ce sujet en juillet 2020 et en mars et avril 2021. Il avait également écrit au consul général de l'Arabie saoudite à Maurice en avril 2021, pour demander des éclaircissements après les déclarations de Showkutally Soodhun. «Il est navrant que le gouvernement saoudien, qui a beaucoup fait pour Maurice, soit entraîné dans un jeu politique malsain par Showkutally Soodhun.» Il ajoute que des personnes de différentes mosquées l'ont approché à ce sujet. Osman Mahomed lance un appel aux autorités responsables pour qu'elles résolvent le problème dans les plus brefs délais.

L'ICC est-il mandaté pour gérer ce don financier ?

Le Board of Waqf Commissioners est mandaté pour recevoir et gérer les subsides destinés à la communauté musulmane. L'année dernière, le montant perçu était de Rs 16 millions. Le Waqf Board gère actuellement 245 mosquées et il est bien au fait des dépenses et défis financiers auxquels sont confrontées les directions des mosquées. A contrario, l'Islamic Cultural Centre(ICC), qui relève du ministère des Arts et du Patrimoine culturel, a légalement comme objectifs d'organiser le pèlerinage en Arabie saoudite et des événements liés à la promotion des langues, des arts et de la culture islamiques.

En juillet 2020 au Parlement, le ministre des Affaires étrangères d'alors, Nando Bodha, avait évoqué la création d'une fondation sous l'ICC qui serait chargée de financer les mosquées. Mais l'ICC est-il mandaté pour s'occuper des finances des mosquées ? «Non», répond l'avocat et député du MMM, Reza Uteem, qui estime qu'au lieu que le gouvernement propose une fondation sous l'égide de l'ICC, «le don financier aurait dû dès le départ être reçu comme un Waqf (NdlR : dotation faite par un musulman pour une cause religieuse, éducative ou caritative), qui serait alors géré par le Waqf Board. Le gouvernement aurait pu aussi consulter d'autres associations religieuses islamiques et des dirigeants de mosquées pour les regrouper et leur permettre de décider de l'utilisation de l'argent, sous la supervision du Waqf Board».

Reza Uteem se dit peu convaincu des explications fournies par le gouvernement, même à sa question au Parlement, et évoque un manque de volonté et une ingérence politiques, d'autant plus que l'ICC a fait l'objet de questions sur son manque de transparence et un conseil ayant des nominés politiques. «Je ne serai pas étonné que certains membres du gouvernement exigent d'être invités lors des cérémonies de remise de dons. Cela, alors que plusieurs mosquées, comme celle de Vallée-Pitot, ont été endommagées et ont eu du mal à se remettre financièrement entre-temps en raison des inondations soudaines survenues en raison de l'incapacité du gouvernement à construire des drains.» Le Waqf Board, que nous avons sollicité, n'a pas souhaité commenter ce sujet pour l'instant. Le ministère des Arts et du Patrimoine culturel n'est pas non plus revenu vers nous. Il nous revient que le maulana Khodadin, qui s'est publiquement exprimé sur la question aurait été convoqué pour répondre devant un comité disciplinaire par la Jummah Mosque.

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