La lutte contre les djihadistes au nord du pays a pris ces derniers temps, une dimension de politique intérieure supplémentaire. Certes, la question sécuritaire a atteint aujourd’hui une échelle de sur priorité pour le régime du Président Ibrahim Traoré et les récents développements marqués par une recrudescence des attaques avec leurs lots de morts, auxquels s’ajoutent les supposées tentatives de coup d’état déjoués laissent peu de place à la sérénité qui sied en de telles circonstances.
On serait parfaitement en droit de considérer, qu’après les Assises nationales du Burkina qui se sont tenues du 25 au 26 mai 2024, que les choses étaient sur de bons rails, d’autant que cette grand’messe à laquelle étaient conviés des partis politiques, la société civile et l’armée devait plancher sur le devenir de la transition.
La question de la durée de la transition, comme celle relative au statut du président de la transition, devenue par la suite, Président de la République, ont en effet, été réglées. D’ailleurs la possibilité pour le capitaine Traoré, le président de l’Assemblée législative de la Transition (ALT) et le 1er ministre de se présenter aux prochaines élections figure parmi les conclusions des Assises. Au fond, pour ceux qui savent lire, c’était les questions centrales.
Par conséquent, il est très surprenant qu’une fois cela est fait, que le régime embraye sur des mesures restrictives des libertés à la fois à l’encontre des leaders politiques et des journalistes d’abord, ensuite des membres de la Société civile, dont le plus connu est Me Guy Hervé Kam arrêté au mois de Janvier dernier.
Aujourd’hui, c’est au tour des magistrats de subir les foudres du régime, pour quel motif ? Bien malin est celui qui pourrait le dire avec certitude.
Toutefois, comme par le passé, il faut quand même le rappeler, les magistrats burkinabés ont été à la pointe du combat pour le respect des libertés individuelles, y compris durant la période sankariste avec les tribunaux populaires.
Tout laisse croire que cette posture n’a pas l’heur de plaire au nouveau régime du capitaine Traoré, qui semble s’acharner sur les magistrats, du moins ceux qui, à ses yeux, sont moins complaisants vis-à-vis des écarts pour ne pas dire constatés sur les libertés individuelles et collectives.
En fait, c’est à un des piliers de l’Etat démocratique, l’arbitre du jeu institutionnel auquel on s’attaque pour le fragiliser. C’est là où c’est gravissime.
Il est quand même difficile de justifier comment un magistrat, qui n’est pas formé au métier des armes, peut être réquisitionné pour aller au front et être efficace, face à des Djihadistes bien entrainés et bien armés.
Le prétexte qu’une loi d’urgence portant mobilisation générale du 13 Avril 2023, confère des pouvoirs étendus au chef de l’Etat y compris la réquisition et les restrictions aux libertés civiles, ne peut nullement pas tenir, en ce qui concerne les magistrats.
Certains observateurs estiment à tort ou à raison, que l’origine de cet acharnement se trouve dans le rejet par les juges des différentes réquisitions faites par la junte au motif qu’elles contrevenaient aux libertés individuelles.
Si cela est avéré, il y a fort à parier que le régime du Capitaine Traoré fonce tout droit vers sa fragilisation, ce qui serait un précédent dangereux.
Le dernier rempart de la démocratie serait en passe de tomber, pour ouvrir la voie à la dictature, dès lors que l’exécutif, lui-même issu d’un coup d’état, cohabite avec une l’Assemblée législative de transition (ALT), dont la composition ne reflète aucunement la configuration de l’espace politique. Sur ses 71 membres, 08 seulement sont issus des partis politiques contre 21 nommés par le chef de l’Etat et 16 par les forces armées. Sans une justice indépendante, dans un jeu d’équilibre des pouvoirs, on peut craindre le pire pour ce pays qui a d’autres urgences.