Kenya: Comment la musique appuie la contestation sociale actuelle et celles du passé

Au Kenya, après la rue, la contestation continue à travers la chanson. Une forte mobilisation anti-gouvernementale a émergé mi-juin dans le pays, issue de la jeunesse qui demandait le retrait d'un projet de loi de finances et ses nombreuses nouvelles taxes. Plusieurs milliers de personnes ont manifesté pour dire leur colère. Plusieurs artistes l'ont aussi exprimé en chanson, alors que d'autres titres, plus anciens, ont continué de résonner. Explications.

Reject hio bill, « Rejeter la loi de finances ». C'était l'appel de la mobilisation en juin au Kenya. Sabi Wu l'a repris dans sa chanson. Elle a rencontré un succès inattendu pour ce rappeur de 23 ans. « Au départ ce n'était qu'un extrait de trente secondes, explique-t-il. Je l'ai posté sur Instagram, j'ai vu que ça plaisait et j'en ai fait une chanson. Je crois que ça a résonné avec pas mal de monde, de par les thèmes que j'évoque : les taxes sur les serviettes hygiéniques, par exemple, ou la mauvaise gestion des fonds publics. Je racontais juste comment je me sentais et ce que d'autres peuvent aussi ressentir ».

Avant Sabi Wu, d'autres artistes ont voulu rassembler à travers la musique. Comme Eric Wainaina. Sa chanson, Daima - « toujours » en swahili - appelle les Kényans à rester unis. Sortie il y a plus de 20 ans, elle reste un symbole de contestation aujourd'hui. « Il y a eu une période, pendant la récente mobilisation, où les boites de nuit arrêtaient la musique à minuit et se mettaient à jouer ma chanson, explique Eric Wainaina. En tant qu'artiste, on ne peut jamais prévoir ça. Mais quand ça arrive, je ressens de la gratitude. Pour moi, ça a toujours été clair que la musique pouvait servir de plateforme et que je pouvais utiliser mes chansons pour encourager une forme de changement ».

Après avoir été un modèle pour de nombreux artistes, Eric Wainaina se dit confiant dans la nouvelle génération et encouragé par son choix de poursuivre la contestation en musique.

« La musique est une véritable force de changement social »

Cette utilisation de la chanson comme moyen de contestation au Kenya, Tabu Osusa la connait bien. Producteur de musique avec son label, Ketebul Music, il a produit il y a dix ans un album regroupant des chants mythiques de la contestation au Kenya. « Quand le Kenya a obtenu son indépendance, en 1963, il y avait beaucoup d'espoir, assure-t-il. Il y avait des chansons qui entendaient rassembler le peuple pour soutenir le gouvernement. L'idée, c'était qu'il y aurait enfin une forme de justice, la célébration de ne plus être sous le joug colonial. Mais, après quelques années, une forme de désillusion avec le premier gouvernement de Jomo Kenyatta a commencé à émerger ».

Il affirme : « Les promesses qui avaient été faites n'étaient pas tenues et sont apparues des chansons qui ne chantaient plus les louanges du gouvernement mais qui l'accusaient d'avoir abandonné le peuple. C'étaient des chants de contestation. Et tant que le gouvernement continue d'avoir des politiques qui déplaisent, je ne vois pas ces chants de protestation arrêter d'émerger. »

Eric Wainaina lance : « On ne peut pas ignorer les musiciens. C'est pour ça même que, par moment, certaines chansons ont été bannies par des radios d'État par exemple. Pour moi, la musique est une véritable force de changement social : c'est populaire, c'est écouté en collectif. Ça fait d'ailleurs parti de notre culture. Aux villages, quand j'étais jeune, nos parents chantaient, parfois en travaillant pour se motiver. On peut même prendre l'exemple du football aujourd'hui : les supporters chantent ensemble. La musique touche une large audience, ça a le pouvoir de rassembler. »

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