Afrique: L'Afrique au Conseil de sécurité des Nations unies - Pourquoi le continent devrait avoir deux sièges permanents

analyse

L'expérience de l'Afrique au sein du système des Nations unies au cours des 80 dernières années a été marquée par une représentation erronée et une sous-représentation.

Les médias, les universitaires et les acteurs politiques mondiaux tendent à présenter le continent africain comme une région en constante dépendance de l'aide extérieure, plutôt que comme des agents de progrès. De plus, l'Afrique est exclue du statut de membre permanent du Conseil de sécurité et demeure sous-représentée parmi les membres non permanents.

L'aspiration de l'Afrique d'être pleinement représentée dans tous les organes décisionnels des Nations unies (ONU), en particulier au Conseil de sécurité, est motivée par trois facteurs. Premièrement, réparer l'injustice historique de sa sous-représentation dans la gouvernance mondiale. Deuxièmement, il est essentiel de reconnaître l'apport de l'Afrique à la construction de l'ordre mondial actuel. Troisièmement, l'urgence de garantir la légitimité des Nations unies face aux nouvelles menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité internationales.

Lors de la cinquième session ordinaire de l'Union africaine, qui s'est tenue à Syrte, en Libye, en 2005, les dirigeants africains ont adopté le consensus d'Ezulwini. Ce consensus exprime le souhait de l'Afriquend'être pleinement représentée dans tous les organes de décision de l'ONU, en particulier au sein du Conseil de sécurité.

La position commune de l'Afrique sur la réforme de l'ONU demande pas moins de deux sièges permanents, avec toutes les prérogatives et privilèges des membres permanents, y compris le droit de veto.

L'Afrique revendique également cinq sièges non permanents. La réforme du Conseil de sécurité est attendue depuis longtemps. Sa structure - cinq membres permanents disposant d'un droit de veto et dix membres non permanents élus pour un mandat de deux ans - est dépassée. Elle reflète la configuration du pouvoir mondial à la fin de la deuxième guerre mondiale.

Le Conseil de sécurité est l'organe le plus puissant des Nations unies. Il est le principal organe responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Ses décisions sont contraignantes pour les États membres de l'ONU. Or l'Afrique est la seule région à ne pas avoir de siège permanent, bien qu'elle représente 54 des 193 membres de l'ONU et 17% de la population mondiale.

Le Conseil est confronté à une crise de crédibilité en raison de son incapacité à traiter les plus grands conflits de notre époque. L'élargissement de la représentation et la démocratisation de ses méthodes de travail sont essentiels pour garantir sa légitimité, sa crédibilité et son efficacité face aux défis sécuritaires de l'avenir.

Les injustices historiques

L'objectif de la position commune de l'Afrique est de corriger « l'injustice historique » liée à son absence de représentation et de reconnaissance. Et les nombreuses injustices que le continent a subies au cours des 500 dernières années.

Pendant quatre siècles, la traite européenne des esclaves a fait traverser l'Atlantique à environ 12 à 15 millions d'Africains pour produire du sucre, du café, du tabac et du coton pour l'économie capitaliste mondiale. Comme l'affirme l'universitaire africain Adekeye Adebajo,

L'industrialisation de l'Occident s'est donc, en grande partie, fondée sur l'exploitation de l'esclavage africain. Pour l'Afrique, cette traite a entraîné des conséquences dévastatrices et irréversibles : dépopulation, intensification des conflits pour capturer davantage d'esclaves, migrations massives, ainsi que des dommages écologiques qui ont aggravé les maladies et l'insécurité alimentaire.

Cette triste histoire nous ramène à Berlin en 1884, où les dirigeants européens se sont partagé le continent.

L'une des principales conséquences a été l'imposition d'États coloniaux qui divisaient les communautés et fonctionnaient selon une logique d'extraction et d'oppression de leurs populations. Cette situation continue de se faire sentir dans les systèmes de gouvernance ingérables du continent, souvent incompatibles avec la démocratie et l'État de droit.

Cela a conduit à des conflits violents et insolubles. Au cours des 30 années qui ont suivi la fin de la guerre froide en 1991, les conflits africains ont dominé l'ordre du jour du Conseil de sécurité. Les questions africaines ont occupé près de 50 % des réunions du Conseil et 70 % de ses résolutions. L'Afrique est (en permanence) au menu, mais les Africains n'ont pas de siège (permanent) à la table des décisions.

Berlin a également jeté les bases du néocolonialisme qui continue de définir les relations économiques de l'Afrique avec les pays riches. L'Afrique perd environ 203 milliards de dollars par an en raison des flux financiers illicites, des profits des multinationales et de la destruction de l'environnement.

En 1945, les dirigeants du monde se sont réunis pour créer les Nations unies. Sur les 51 États membres initiaux, seuls quatre étaient africains : L'Égypte, l'Éthiopie, le Liberia et l'Union sud-africaine. La majeure partie de l'Afrique était encore sous domination coloniale.

La contribution de l'Afrique aux Nations unies

L'Afrique n'a pas été un simple bénéficiaire des largesses de l'ONU, mais a activement contribué à ses succès.

Lorsque de plus en plus d'États africains ont accédé à l'indépendance dans les années 1960, ils ont milité en faveur d'une réforme du Conseil de sécurité. Ils ont réussi à le faire passer de 11 à 15 membres en 1965, avec l'ajout de sièges élus pour l'Afrique.

La pratique et la jurisprudence des Nations unies ont évolué grâce à l'activisme des États africains. La déclaration de l'apartheid comme crime contre l'humanité en 1973 et l'adoption de la convention internationale sur l'apartheid en sont des étapes importantes.

Au cours des 60 dernières années, les Africains ont fourni du personnel aux missions de maintien de la paix des Nations unies dans le monde entier. Quatre pays africains figurent parmi les 10 premiers contributeurs de soldats de la paix. Les pays africains ont également défendu la cause de l'indépendance de la Namibie devant la Cour internationale de justice. Ils ont également pris la tête des Nations unies, avec deux secrétaires généraux.

L'Union africaine et les acteurs régionaux africains supervisent 10 opérations de paix. Les missions de paix africaines ont respecté d'importantes normes de l'ONU en contestant les changements anticonstitutionnels de gouvernement.

Au sein du Conseil de sécurité, les membres africains successifs ont initié des réformes informelles telles que :

  • le partage de la rédaction des résolutions sur les questions africaines.
  • promouvoir des relations plus étroites entre les Nations unies et les organisations régionales
  • veiller à ce que les interventions en matière de sécurité répondent aux besoins des personnes en situation de conflit. Les États africains font depuis longtemps pression sur le Conseil pour qu'il réduise la pauvreté et contrôle le flux d'armes légères en tant que stratégies de prévention des conflits.

Garantir la légitimité de l'ONU

Enfin, la réforme de l'ONU est essentielle pour préserver sa légitimité dans un avenir incertain, marqué par des menaces sécuritaires nouvelles et en constante évolution. Il s'agit notamment de la crise climatique, des nouvelles pandémies et des nouvelles technologies telles que l'intelligence artificielle.

L'incapacité à résoudre ces défis a affaibli la crédibilité de l'institution.

Or si les institutions sont perçues comme exclusives et injustes, ses membres sont moins enclins à coopérer avec elles.

Les Nations unies auront 100 ans en 2045. À cette date, l'Afrique comptera 2,3 milliards d'habitants, soit 25 % de la population mondiale. Les jeunes Africains constitueront la main-d'oeuvre et la base de consommateurs du monde, alimentant l'économie mondiale. La composition du Conseil de sécurité sera-t-elle toujours la même qu'aujourd'hui ?

La nature des menaces mondiales et la définition de la sécurité internationale ont radicalement changé depuis 1945. Ces menaces ne peuvent être résolues que par un conseil de sécurité qui représente les intérêts et les perspectives de toute l'humanité.

Ceci est une version éditée du discours de l'auteur devant le Conseil de sécurité de l'ONU le 12 août 2024.

Sithembile Mbete, Senior Lecturer in Political Science, University of Pretoria

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