Sénégal: La Falémé, un cours d'eau en péril à cause de l'orpaillage

Deux jeunes piétons traversent le pont routier reliant le Mali à Kidira, au Sénégal. A gauche du pont à gué de la rivière Falémé, 2017.

La Falémé, le principal affluent du fleuve Sénégal qui constitue la frontière naturelle entre le Sénégal et le Mali, est menacée de disparition à cause des effets néfastes des produits chimiques, du lavage des roches par des cracheurs et autres engins utilisés par les exploitants aurifères.

Trouvé à son domicile, le vieux Diarra, chef du village de Sansamba, est catégorique. Le changement de la couleur de l'eau est consécutif à la présence de cracheurs, des machines qui séparent le gravier aurifère de la boue ou du sable.

"Tout le lit du fleuve est pollué", tient-il à signaler, regrettant de ne plus pouvoir boire l'eau de la Falémé à cause de sa pollution.

Le village de Sansamba est situé à plus de 60 kilomètres de Bembou, une commune du département de Saraya, dans la région de Kédougou. C'est l'un des derniers villages frontaliers du Mali.

Sur la rive sénégalaise, le niveau de destruction de l'écosystème du cours d'eau est alarmant. Il est à sec, et l'eau ne coule plus en période de saison sèche. Elle a perdu sa couleur et est devenue rougeâtre.

"L'orpaillage a complètement gâté le fleuve et personne ne peut plus avoir de l'eau potable", fustige le chef de village de Sansamba. Il déplore par ailleurs la coupe abusive des arbres dans la zone de Moussala Mahinamine et d'autres hameaux satellites.

Des exploitants présentés comme des Chinois et les orpailleurs clandestins s'activent au lavage du minerai en utilisant des machines cracheuses et de gros engins. Le cours d'eau est couvert de produits toxiques. Cette pollution est accentuée par la présence des orpailleurs s'activant sur les deux rives.

Bamba Diango, habitant du village de Daworola, fustige la présence d'orpailleurs de deux pays étrangers utilisant de gros engins et de concasseurs pour exploiter le métal précieux de la Falémé.

Toutefois, tient-il à préciser, "les promoteurs de ces entreprises semi mécanisés sont des Sénégalais. Ils font un business gagnant-gagnant avec les Chinois, au détriment des populations locales".

L'eau est "très toxique", dit-il, évoquant notamment la forte pollution et l'utilisation des produits illicites, comme le cyanure et le mercure dans le traitement du minerai.

L'impact de cette pollution, note-t-il, se fait sentir de manière significative sur le maraîchage. Les femmes sont découragées à cause de la baisse drastique des rendements horticoles.

Il pointe la qualité de l'eau, ce qui pousse les femmes à abandonner les périmètres maraîchers.

Les populations riveraines opposées à la présence des orpailleurs

Les populations de Faranding, de Daworola et de Daloto, des villages de la commune de Missirah Sirimana, ont organisé à plusieurs reprises des manifestations, pour dénoncer l'octroi de permis d'exploitations aux Chinois sur la Falémé et surtout, derrière la montagne de Moussala Mahamine.

Elles accusent ces derniers d'utiliser des pelleteuses pour creuser de grands trous avec l'autorisation de la mairie, sans respecter aucun engagement de la responsabilité sociétale d'entreprise.

Elles ont en veulent pour preuve les travaux en cours au poste de santé de Faranding et d'autres infrastructures dans la commune, qui ont été entamés depuis longtemps.

Pour toutes ces raisons, les populations disent s'opposer "totalement" à l'exploitation de leurs terres cultivables. "On a perdu nos champs, nos jardins et nous ne faisons plus la pèche à cause du dragage et des produits chimiques qui sont déversés à longueur de journée" sur la Falémé, ont-elles dénoncé.

"Les Chinois ont installé des machines pollueuses tout au long de la Falémé dans la partie de Farading et ses environs en accord avec le maire de la commune de Missirah Sirimana", renseigne une source sécuritaire.

Le maire de Missirah Sirimana, Karamba Sissoko, contacté par l'APS, a refusé de répondre à cette accusation. "Je ne vous donne aucune réponse parce que vous n'êtes pas venus me voir dans un premier temps. Je suis très libre aussi", a-t-il argué.

Décret interdisant les activités minières et l'octroi de permis d'exploitation

Bamba Diango, enseignant, par ailleurs lanceur d'alerte, souhaite que les exploitants chinois et les orpailleurs traditionnels quittent la zone. "(...) ils ont coupé tous les arbres autour du fleuve. Sur la Falémé, vous trouverez des Chinois, des Burkinabè et des Maliens", dit-il.

Diango signale que des jeunes sénégalais de la frontière de Moussala emploient des burkinabè pour forer des puits derrière la montagne de la Falémé, lesquels laissent couler des acides dans les profondeurs du fleuve.

Les orpailleurs sénégalais, maliens, chinois, guinéens et burkinabè sont installés sur tout le long de la Falémé à la recherche de l'or de façon clandestine. Ils occupent les rives sénégalaise et malienne en toute impunité avec des conséquences désastreuses sur l'écosystème du fleuve.

"Des Chinois et des Burkinabè ont installé des machines cracheuses tout le long de la Falémé, et ils font le dragage partout dans le fleuve", renseigne Diatiba Sissoko, enseignant et habitant de Sansamba.

Les véhicules pick up des chinois et les motos tricycles des orpailleurs traditionnels traversent la cour de l'école de Sansamba à longueur de journée, ajoute M. Sissoko.

"Les élèves ne sont pas en sécurité parce que l'école n'a pas de clôture. Les voitures et les motos trois roues passent au milieu de l'école et le bruit sonore des gros engins perturbent les cours", dit-il.

Les habitants des villages de Kolia, Satadougou et Garaboreya, dans la commune de Bembou, vivent un véritable calvaire à cause des machines cracheuses et des motos tricycles.

"Aujourd'hui, une bonne partie de l'eau est devenue jaunâtre et le bruit des pompes manuelles placées aux abords résonne partout et laissent couler des produits toxiques et des déchets dans les profondeurs du fleuve. L'huile est déversée partout dans la nature aussi", indique Kama Dansokho, président des jeunes du village de Kolia.

D'ailleurs, fustige M. Dansokho, le long du fleuve est occupé par les Chinois, Sénégalais, Burkinabè et Maliens, en commençant par Satadougou, Wortokati, Sékhoto, Kolia jusqu'à Sansamba et Garboréya, à la frontière dans la zone de Moussala.

Un cadre de concertation et de dialogue pour la dépollution de la Falémé, principal affluent du fleuve Sénégal, qui constitue la frontière naturelle entre le Sénégal et le Mali, a été mis en place mercredi 7 août 2024, à Kidira, dans la région de Tambacounda (est).

Le 18 juillet 2024, le Conseil des ministres a examiné et adopté, un projet de décret interdisant les activités minières et l'octroi de permis d'exploitation dans la zone de la Falémé, affluent le plus important du fleuve Sénégal.

Le 2 août 2024, le ministre de l'Environnement et de la Transition écologique, Daouda Ngom, a annoncé l'interdiction des activités minières pour une durée de trois ans dans les zones tampons situées à 500 mètres des berges de la Falémé

M. Ngom s'entretenait avec l'Agence de presse sénégalaise (APS), à la veille des journées nationales de reboisement et de nettoiement organisées le samedi 3 août et dimanche 4 août 2024 à Touba et dans le reste du pays.

L'application des mesures annoncées par le gouvernement pourrait contribuer à ralentir, voire interrompre la disparition aujourd'hui inexorable de la Falémé avec ses éventuelles conséquences sur la vie des populations habitant la zone.

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