Autrefois méconnues au Burkina, les villas ou appartements meublées prolifèrent de nos jours, notamment dans les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso. Prisées par de nombreuses personnes pour diverses raisons, les villas meublées sont devenues un business florissant qui rivalisent, aujourd'hui, d'avec des établissements hôteliers conventionnels. Constat !
Comme à l'accoutumée, en cette matinée de ce mercredi 8 mai 2024, la ville de Sya reprend son animation habituelle. En ces jours d'après la Semaine nationale de la culture (SNC) organisée du 27 avril au 4 mai, les activités administratives reprennent de plus belle. Le soleil a déjà entamé son ascension matinale, illuminant la capitale économique, Bobo-Dioulasso, de ses rayons.
Kalifa Hamara Diallo est déjà nostalgique de la biennale de la culture qui vient de s'achever. Il est promoteur d'appartements meublés, appelés communément villas meublées ou encore résidences. L'un de ses appartements dénommé « Chris résidence », sis au secteur 17, quartier Sarfalao de Bobo-Dioulasso, ne désemplit
pas à l'occasion des grands événements. Il est 9h, lorsque nous arrivons devant une de ses villas meublées. Un « missionnaire » venait d'y passer la nuit. L'air confus, suite à notre présence, l'homme nous balaie d'un regard avant d'enfourcher sa monture pour son lieu de service. Kalifa Diallo, lui, s'empresse d'encaisser un de ses clients, en fin de séjour. M. Diallo est un pionier des appartements meublés, métier qu'il exerce depuis quelques années. Il confie avoir fait de bonnes affaires pendant cette fête de la culture.
Il a deux appartements meublés dans les encablures du centre des affaires (centre-ville) de la ville de Sya qu'il gère. Chacun d'eux, explique-t-il, comprend quatre chambres ventilées et climatisées. Les prix vont de 7 500 F CFA à 20 000 F CFA, selon les commodités. « Globalement, je peux dire que j'arrive à m'en sortir. Je parviens à subvenir à mes petits besoins ainsi que ceux de ma famille », dit-il, assez confiant.
Comme lui, ils sont nombreux à Bobo-Dioulasso, à faire de la gestion des appartements meublés, leur activité de prédilection. Le procédé, explique-t-il, consiste à louer une villa, auprès d'un particulier, ensuite à la meubler et l'équiper avec les commodités nécessaires pour la mettre à la disposition des personnes en séjour dans la ville.
Naguère méconnue au Burkina, la gestion des villas meublées, au fil du temps, est pratiquée par de nombreux promoteurs à Bobo-Dioulasso et leur fréquentation, désormais encrée dans les habitudes. Il suffit de disposer de fonds à même de s'acquitter des frais de location d'un appartement pour en être promoteur. « Ici à Bobo, on ne peut pas dénombrer ces types de logements », soutient Kalifa Hamara Diallo.
Une activité rentable
Plus d'une centaine de villas meublées ont été recensées à Bobo-Dioulasso, selon les services en charge de l'hôtellerie de la région des Hauts-Bassins. François Xavier Kalmogo,
fonctionnaire à la retraite depuis quelques années, est l'un des promoteurs de ces types de logements, la résidence « La providence ». Une activité qu'il mène depuis quatre ans. Situé au secteur 5 de la ville, l'appartement est un bâtiment de standing R+1 bâtit sur un vaste domaine bien aéré. Le local offre huit chambres de conforts différents. Chaque niveau de l'appartement dispose d'une cuisine, à l'image d'une habitation familiale avec « tout le nécessaire » pour y résider. La location lui revient à 300 000 F CFA par mois. « Cela fait quatre ans que j'ai commencé cette activité. C'est rentable grâce à la proximité du secteur avec la Maison de la culture », fait-il savoir.
A l'entendre, le secteur 5 de la ville de Bobo est l'endroit par excellence où les villas meublées foisonnent. Pour M. Kalmogo, la raison est que dans cette une zone, la plupart des maisons sont bien construites et ont été délaissées par leurs propriétaires pour diverses raisons. Il ajoute qu'il y a en qui ont été érigés par la diaspora sans locataires permanents. C'est ce qui justifie, selon François Xavier Kalmogo, l'abondance des appartements meublés dans cette partie de la ville. « Ceux qui pratiquent cette activité parviennent à tirer leur épingle du jeu. Quand j'ai commencé, j'ai vu que c'était bien », avoue le sexagénaire retraité.
Des coûts attrayants
Adama Traoré, propriétaire de « la résidence Tagouara », dans le même secteur, partage cet avis. La quarantaine bien sonnée, il est enseignant de profession dans un établissement scolaire primaire privé de la place. La location de l'appartement (R+1) lui coûte mensuellement 250 000 F CFA. Au début de cette aventure, ce natif du Kénédougou (Orodara) révèle avoir bénéficié du soutien de ses parents afin de contenir les charges liées aux frais de bail locatif et les équipements nécessaires pour sa transformation en sites d'hébergement.
Malgré le coût du loyer, le jeune enseignant avoue tirer profit. Il envisage d'ailleurs acquérir un autre appartement pour renforcer son activité. Car, remarque-t-il, de nombreuses personnes, pour leur séjour dans la ville, s'intéressent de plus en plus aux appartements meublés, au détriment des établissements hôteliers reconnus. « Il y a des clients qui viennent souvent avec leur famille pour passer de bons moments dans nos villas. Ils apprécient surtout la discrétion des lieux qui leur donne l'impression d'être chez eux », révèle Adama Traoré.
La multiplication des villas meublées à Bobo-Dioulasso est donc sans conteste. L'une des raisons expliquant l'engouement des clients serait le coût de la location du séjour. Des coûts qui, estime-t-on, sont relativement moins chers et à la portée de tous. « Nous sommes très moins chers par rapport aux hôtels », soutient fermement François Xavier Kalmogo. De plus, ces lieux, aux yeux de certains clients, sont attrayants de par la tranquillité de leur environnement marqué surtout par l'absence de nuisances sonores et autres tohu-bohu des centres villes. « Les résidences ont un aspect un peu discret », souligne Moussa Bingbouré, agent de projet qui vient de passer sa deuxième nuit à Chris résidence, au secteur 17 de Bobo-Dioulasso.
La réglementation en vigueur ignorée
Son point de vue est partagé par Marcelin Nombré, un fonctionnaire à la retraite basé à Sya. Il est le promoteur de « la résidence Sankofa », au secteur 21. Installé dans un vaste domaine ombragé de manguiers, la résidence, offre, à vue d'oeil, un cadre idéal de repos. « Les villas meublées, c'est la discrétion. Toute une famille peut y aller, contrairement aux hôtels où le cadre est souvent bruyant », martèle-t-il, l'air ravi de nous faire découvrir l'intérieur de son appartement. En plus de cet aspect, M. Nombré pense que le penchant de nombreuses personnes pour les villas meublées est également lié à leur proximité d'avec les populations riveraines. Toute chose qui, dit-il, donne l'impression d'être chez soi. « Le lieu est calme avec moins de bruit. Quand on y loge, il n'y a pas de dérangement », soutient une des clientes de la résidence Tagouara, ayant requis l'anonymat.
Ouagadougou, la capitale n'est pas en reste. En effet, on y trouve des appartements meublés à profusion, dans tous les quartiers de la ville et les nombreux promoteurs de ces types de logements rivalisent de stratégies pour affriander la clientèle. Amadou Ouédraogo, vivant avec un handicap physique est dans ce business, il y a près de 10 ans. Au départ démarcheur, il est devenu « par la force des choses », un passionné dans la promotion des villas meublées. En effet, il avoue être gestionnaire de sept villas meublées dans la capitale. « Je me suis véritablement lancé à fond avec la mise en place d'une agence immobilière », déclare-t-il. La location de ces appartements, informe-t-il, va de 100 000 F CFA à 200 000 F CFA.
Tout comme la plupart des autres promoteurs, M. Ouédraogo reconnait évoluer sans être en conformité avec la législation en vigueur. Si certains disent ignorer l'existence de texte encadrant le secteur, d'autres invoquent le manque de moyens pour se mettre à jour. « Pour dire vrai, je n'ai pas encore fait des démarches administratives pour être en conformité avec la loi », concède-t-il.
Les villas meublées, un mal nécessaire
Toutefois, à entendre les gestionnaires des villas meublées, les clients sont quotidiennement enregistrés et transmis aux services de la police des hôtels. « Par moment, certains clients sont réticents à se faire identifier. Mais chaque semaine, nous sommes obligés d'aller faire le point de nos clients à la police », foi de Adama Traoré, de la résidence Tagouara de Bobo-Dioulasso.
Les villas et appartements meublés, explique le directeur régional de la Culture, des Arts et du Tourisme de la région des Hauts-Bassins, Siaka Sanou, échappaient à la réglementation jusqu'en 2021. C'est à cette date, informe-t-il, qu'a été élaborée une loi réglementant le secteur. « Cela a permis à de nombreux promoteurs d'exploiter ce type d'hébergement qui s'est vite développé », observe le directeur régional. Regrettant leur prolifération qui concurrence, dit-il, déloyalement les Etablissement touristiques d'hébergement (ETH) conventionnels, M. Sanou estime qu'ils sont malgré tout, un mal nécessaire.
A l'image des autres villes du pays, avance le directeur régional, Bobo-Dioulasso dispose de très peu d'établissements d'accueil. Ainsi, selon lui, l'essor fulgurant des villas meublées trouve sa justification dans l'augmentation des besoins de la population en matière de sites d'hébergement. « L'offre va de pair avec la demande. Si nous constatons cette prolifération, c'est qu'il y a nécessairement une demande qui s'est accrue », détaille Siaka
Sanou. Et d'ajouter qu'à Bobo-Dioulasso, le besoin se fait sentir notamment à l'occasion des grands événements comme la SNC. Malheureusement, déplore-t-il, nombre de promoteurs évoluent aux mépris des textes en vigueur. Pour y faire face, relève-t-il, en collaboration avec la Direction générale du tourisme (DGT), des séances de sensibilisation sont menées afin qu'ils se conforment à la réglementation qui encadre les ETH.
Des répercussions sur le secteur hôtelier
Pour le président de la Fédération des acteurs du tourisme de la région des Hauts-Bassins, Moussa Rock Fofana, cette recrudescence des villas meublées non réglementées impactent négativement le secteur de l'hôtellerie et du tourisme en général. De ce constat, M. Fofana soutient l'idée de maximiser sur les sensibilisations des promoteurs de ces logements. Ce qui pourrait, espère-t-il, limiter la concurrence déloyale. « C'est une mutation liée au contexte nationale et même internationale.
Donc, il faut savoir s'adapter », concède M. Fofana. Embouchant la même trompète, le président de la Fédération de l'association patronale des hôteliers du Burkina Faso, Célestin Pierre Zoungrana, reconnait que la prolifération des villas meublées est susceptible d'avoir des répercussions sur le secteur hôtelier, même si elle permet, un tant soit peu, de résorber le déficit des sites d'hébergements dans les villes. Dans ce sens, il salue la nouvelle loi d'orientation du tourisme élaborée en 2021 et son décret d'application réglementant les ETH. Par-delà tout, M. Zoungrana souhaite que les promoteurs des villas meublées puissent s'organiser au sein d'une faitière. Cela, dit-il, afin que chacun puisse jouer sa partition convenablement, en matière d'hébergement au Burkina.
« L'essentiel, c'est de les organiser, les sensibiliser et même qu'ils se sensibilisent entre eux pour que le travail puisse être bien réglementé », propose-t-il. Car, à l'entendre, du fait du contexte d'insécurité et du difficile accès à certains appartements meublés, il importe que le secteur soit bien suivi. L'objectif étant, de l'avis de Célestin Pierre Zoungrana, de ne pas « dénaturer le secteur » et éviter surtout les dommages que l'exercice de l'activité pourrait occasionner. Du reste, il invite les autorités en charge de l'hôtellerie dont il salue
les efforts, malgré le contexte actuel, à poursuivre les actions de sensibilisation entamées afin que les promoteurs des villas meublées puissent jouer pleinement leur rôle dans le domaine pour le bien de tous. « Nous allons essayer, à notre manière, de les approcher pour qu'ensemble, nous puissions voir comment mieux nous organiser. Nous sommes dans le même bateau. Si le bateau va bien, tout le monde se portera bien », déclare M. Zoungrana.
La sensibilisation avant la répression
Sur l'organisation du secteur, la Directrice générale du tourisme (DGT), Monique Ouédraogo est convaincue qu'avec la loi portant orientation du tourisme au Burkina, relative à l'hôtellerie et ses décrets d'application, les objectifs seront atteints. Pour elle, des ateliers de sensibilisation sont organisés dans toutes les régions à l'endroit des acteurs pour mieux expliquer les tenants et les aboutissants de la nouvelle réglementation. « Pour pouvoir rendre fonctionnel un appartement meublé, il faudrait disposer d'une autorisation d'exploiter. Cette autorisation d'exploiter peut être acquise directement par le promoteur dans les conditions où l'appartement meublé ne dépasse pas cinq chambres.
Au-delà, il faudrait nécessairement demander d'abord l'agrément de réalisation avant de disposer de l'autorisation d'exploiter », explique la directrice générale du tourisme. Et d'inviter les promoteurs des villas meublées, qui ne sont pas en règle, à s'inscrire dans la dynamique des textes en vigueur, à se conformer pour participer au développement local. « Tout le monde gagnerait à ce que nous travaillons à mettre ces sites d'hébergement en règle », martèle Mme Ouédraogo. Pour y parvenir, informe-t-elle, la DGT va se donner tous les moyens et travailler surtout en collaboration avec la police des hôtels. Et de prévenir qu'après les actions de sensibilisation, suivra la répression de ceux qui ne se seront pas conformés aux normes. Car, en la matière, soutient-elle, se conformer est une question de sécurité et de sûreté, notamment dans le contexte actuel du pays.
Soumaïla BONKOUNGOU
La facture normalisée, une solution ?
Dans le souci de parvenir à un meilleur encadrement des villas et appartements meublés, les propositions de solutions sont diverses. En plus de la loi, des acteurs du secteur proposent à l'Etat d'obliger tout fonctionnaire du public comme du privé à justifier ses frais de logement par une facture normalisée. Laquelle devra être délivrée par les promoteurs d'hébergement. Cette initiative, de l'avis de Moussa Rock Fofana, président de la Fédération des acteurs du tourisme des Hauts-Bassins, contraindrait du coup les promoteurs des villas et appartements meublées à se régulariser afin de pouvoir délivrer cette facture normalisée s'ils veulent toujours avoir de la clientèle.
Des pratiques malsaines
Les appartements et villas meublées sont prisés de plus en plus par de nombreuses personnes pour diverses raisons, notamment la tranquillité de leur environnement mais aussi la discrétion que souhaitent certains clients. Mais, à la réalité, ces sites d'hébergement sont aussi le nid de pratiques malsaines comme la prise de stupéfiants par des adolescents, l'infidélité et la fornication par d'autres personnes. Des villas sont également louées par des filles de joie, dans des quartiers populaires, à des fins de prostitution de jour comme de nuit.
A propos de la loi
La loi 011-2021/AN du 16 avril 2021 portant orientation du Tourisme a été promulguée le 6 mai 2021. Son décret d'application, élaboré en 2023, portant réglementation de la construction, de l'extension, de la transformation, de l'exploitation et du classement des Etablissements touristiques d'hébergement (ETH) prend en compte les appartements meublés au Burkina. Au terme du décret, un ETH désigne tout établissement à caractère commercial ou non qui offre en location des chambres, des suites de chambres ou unités de logements équipés et meublés à une clientèle principalement touristique.
Et, l'exercice de cette activité de construction, d'extension, de transformation, d'exploitation et du classement des ETH est subordonné à l'obtention préalable d'un agrément de réalisation délivré par arrêté du ministre en charge du Tourisme et une autorisation d'exploiter délivrée après payement d'une redevance. L'autorisation est valable pour 5 ans. Les textes précisent que tout promoteur d'ETH est astreint au payement annuel d'une redevance prise par arrêté du ministre en charge du Tourisme et tout manquement est passible d'amende qui va de 50 000 F CFA à 200 000 F CFA.