Dans l'euphorie des revendications indépendantistes, de milliers de Camerounais ont été tués par les forces colonialistes à travers le pays à partir des années 50.
Selon Pascal Kropp, Payot," On compte des milliers de morts dans les forêts de la Sanaga, et plusieurs dizaines de villages sont incendiées ou rasées.
Beaucoup d'officiers admettront plus tard qu'on aurait pu éviter un tel bain de sang". Max Bardet, un pilote d'hélicoptère présent au Cameroun de 1962 à 1964 témoigne " En deux ans l'armée régulière a pris le pays Bamiléké du Sud jusqu'au Nord et l'a complètement ravagé. Ils ont massacré de 300 à 400 000 personnes". (1)
Un vrai génocide. Ils ont pratiquement anéanti la race. Sagaies contre armes automatiques. Les Bamilékés n'avaient aucune chance. A la fin de la guerre, j'ai fait une prospection d'un mois avec un administrateur général du nom de Coudret. Il était indigné. Ce n'est pas possible tous ces villages morts, où sont les habitants ? Les villages avaient été rasés un peu comme Attila. Peu de français sont intervenus directement. J'en ai connu 3 ou 4. La presse n'en a pas parlé. On faisait plaisir au président Ahidjo parce qu'il fallait que le Cameroun garde ses liens avec la France. » (2)
Qu'est ce que la postérité retiendra des circonstances dans lesquelles le Cameroun est devenu indépendant en 1960 ? Combien de nationalistes, de grandes figures africaines et camerounaises ont été assassinées pour leur combat anticolonial ? Les leaders historiques camerounais morts pour la patrie sont tombés dans l'oubli ? Faut-il se taire face à ces atrocités ?
Que ce soit le premier président camerounais Ahmadou Ahidjo (1960-1982) ou de son successeur, l'actuel président Paul Biya. Tous ont toujours résisté de voir exhumer la mémoire des nationalistes camerounais morts pour la cause du Cameroun sans avoir eu le temps de bénéficier du fruit de leur combat. Quant aux archives militaires françaises, elles ne sont pas toutes ouvertes. Mêmes les archives publiques françaises disponibles à la bibliothèque Pompidou de Paris ont fini par refermer la page sur l'histoire des indépendantistes africains.
Dans les années 50, des personnalités comme Amílcar Cabral, Patrice Lumumba, Ruben Um Nyobé du Cameroun ont exprimé leur aspiration pour l'indépendance de leur pays respectif.
Au Cameroun, toujours dans les 50, l'UPC (Union des populations du Cameroun), dirigée par Ruben Um Nyobé, bénéficiait d'un fort soutien populaire. Um Nyobé ira jusqu'à la tribune des Nations unies exprimer l'aspiration à l'indépendance de son pays. Mais la France dissout son parti en 1955 et en pourchasse les militants.
En 1958, il est assassiné. La répression contre l'UPC et ceux qui partagent les idéaux de ce parti politique est d'une extrême violence : torture, assassinats, exposition des têtes coupées des victimes, bombardements. Malgré les persécutions, l'UPC continue de combattre, après 1960, le régime d'Ahmadou Ahidjo, accusé d'avoir confisqué l'indépendance. Epaulées par l'armée française, les forces camerounaises appliquent ses méthodes. Dix années de terreur et des centaines de milliers de morts seront nécessaires pour venir à bout de l'opposition. (3)
Le premier nom sur la liste ci-dessus a été tué à Batié (Ouest, Cameroun) le 8 septembre 1961 par les forces d'occupation coloniales françaises.(Archives coloniales, Dschang)
Le documentaire du journaliste Suisse Franck Garbely sur le nationaliste Félix Moumié intitulé « Afrique sous contrôle » évoque l'extermination au napalm des populations de l'Ouest et de la Sanaga maritime.
L'armée française indexée.
Garbely, à travers son documentaire sur Félix Moumié, présente une version des faits qui jusqu'ici a toujours été contredite par les institutions camerounaises et françaises au sujet de « de la lutte d'indépendance du Cameroun. »
Le génocide français au Cameroun pendant la guerre de l'indépendance du pays fait en effet l'objet d'un traitement équilibré dans ce documentaire démêlant l'écheveau de l'assassinat de Félix Moumié. Témoignages des victimes des exactions de l'armée française au Cameroun
Tout en mettant en perspective la stratégie militaire du colonisateur en vue de " nettoyer le maquis ", le réalisateur donne la parole aux victimes des exactions de l'armée française.
Le Roi des Bamendjou, Jean-Rameau Sokoudjou n'hésite pas à utiliser le vocable " génocide ". Le Roi qui a vécu personnellement les faits raconte dans le documentaire de Garbely " que des villages entiers de l'Ouest ont été rayés de la carte à cause des tueries à grande échelle perpétrées par l'armée coloniale française ".
Dans la région du littoral et plus précisément dans le département de la Sanaga maritime, Monsieur André Nguimbous n'en dit pas le contraire. Il évoque également les atrocités perpétrées par l'armée coloniale et qui avait pour objectif d'effacer de la carte du Cameroun plusieurs villages du pays Bassa.
Me Jacques Verges, confirme quant à lui sans hésiter le génocide français au Cameroun. L'avocat français, chargé de défendre les intérêts de la famille Moumié après l'assassinat du nationaliste, indique par ailleurs l'arme de destruction massive utilisée par les soldats français. Il s'agit notamment du napalm, une essence solidifiée au moyen du palmitate de sodium ou d'aluminium, servant à la fabrication de bombes incendiaires. Il affirme mordicus que le napalm a été utilisé par l'armée française au Cameroun
La réaction de la France à ces accusations évoquée dans le documentaire de Garbely est matérialisée par deux symboles de la colonisation française au Cameroun.
Pierre Mesmer , agent colonial installé à Dschang dans les années 1960, rejette la responsabilité sur les nationalistes. Selon ce dernier, l'insécurité était le fait des nationalistes camerounais.
Et la France ne pouvait laisser perdurer le désordre dans ces différentes parties du pays. Pierre Mesmer aujourd'hui décédé se défend aussi avec le même argumentaire. L'ancien ministre français et administrateur colonial au Cameroun affirme quant à lui dans le documentaire que l'armée française avait à faire à des hommes « impitoyables » comme Um Nyobé.
Pour lui, il ne saurait avoir de pitié pour des gens impitoyables. Parlant de Moumié, Messmer affirme que: " Lui n'était intéressé que par le combat pour le pouvoir, il n'accepte aucune élection. ". Conclusion, jugez en vous-mêmes. Pierre Mesmer, fidèle serviteur de la France, finit en jetant le doute sur les commanditaires de l'assassinat de Félix Moumié. Il explique notamment " que la France ne s'intéressait point à Moumié ". Et de suggérer malicieusement la piste de Ahmadou Ahidjo, jadis présenté comme le " père " de l'indépendance du Cameroun.
Quelle a été la voie empruntée par l'enquête sur l'assassinat de Félix Roland Moumié à Genève en 1960 ? La disparition de son dossier médical et judiciaire en Suisse ; l'acquittement du principal accusé, le dossier classé, le nom de la rue où se trouvait le fameux restaurant aux plats d'argent où Moumié fut empoisonné, changé,etc. Et la France dans toute cette cabale ? A chacun d'en juger.
Les cicatrices laissées par la France au Cameroun demeurent dans le subconscient collectif des peuples. Le pays continue à être bâillonné par un système entretenu par le pouvoir en place et une pauvreté ambiante où les revendications sociales et politiques sont encore et systématiquement réprimées.
Un pays qui devra, pour reprendre les termes d'Achille Mbembe après la répression des émeutes de février 2008, savoir « réveiller le potentiel insurrectionnel » que Ruben Um Nyobè en son temps avait su allumer (4).
La France pour sa part, pourra t-elle reconnaître le massacre des camerounais en 1955 comme un génocide à part entière et d'envisager les dédommagements conséquents ? Il est temps de relancer le débat sur les relations de la classe politique française avec le continent noir, ( Françafrique) avec notamment des accusations de génocides, de massacres et de financements occultes.
Se taire constituerait à notre avis un délit. Ce qui est certain, ce serait une erreur d'oublier le génocide français au Cameroun.
(1) (Max Bardet, OK Cargo, Grasset, P 96)
(2) (Pascal Kropp, Payot, P145)
(3) (G. Georgy, Le petit soldat de l'Empire, page 31)
(4) Achille Mbembe : « L'Upc représente le potentiel insurrectionnel de la lutte qu'il faut réactiver », Le Messager, Douala, 16 avril 2008