Ile Maurice: Un processus opaque et lucratif

La nationalité mauricienne ne semble pas être accordée aux méritants mais selon le bon vouloir du Premier ministre. On soupçonne aussi des paiements de pots-de-vin à des intermédiaires. Un business lucratif pour certains mais combien injuste pour les demandeurs qui n'ont pas les moyens de payer.

On a tous entendu parler des difficultés rencontrées et des refus opposés aux étrangers qui veulent obtenir la nationalité mauricienne. Cela, en dépit du fait que les demandeurs aient un conjoint mauricien ou aient vécu et travaillé pendant longtemps à Maurice. Il faut savoir que la nationalité mauricienne donne le droit, entre autres, de voter, d'avoir un passeport mauricien et surtout de faire l'acquisition d'un bien foncier à Maurice.

Selon l'Immigration Act, seul le Premier ministre détient le pouvoir d'accorder la nationalité et, depuis 2022, de la retirer aussi.

Pour l'avocat Shakeel Mohamed, c'est un droit régalien qui est accordé au Premier ministre, qui agit ainsi comme au bon vieux temps où il existait des monarchies. «C'est un droit archaïque, qui n'a plus sa raison d'être dans une démocratie. À ma connaissance, ce droit n'existe dans aucun autre État démocratique dans le monde.» Le député travailliste nous rappelle qu'en Europe, par exemple, l'octroi de la nationalité est «rule based». Ce genre de prérogatives n'est-il pas dangereux, lui avonsnous demandé.

«Tout pouvoir discrétionnaire l'est.» «No reason will be given for the refusal of any application under the Act», est-il bien expliqué au bas des formulaires de demande de nationalité.

Achat

Dans son interview à Week-end, dimanche, Shakeel Mohamed a parlé d'intermédiaires qui s'enrichiraient dans ces démarches. De notre côté, nous avons déjà été contactés par un ressortissant français, qui allègue avoir remis une forte somme (on parle de millions) à un avocat en retour de la promesse de l'obtention de la nationalité mauricienne.

Shakeel Mohamed : «Je n'accuse personne mais je me demande si ces fortes sommes réclamées servent bien aux démarches légales. Si des intermédiaires réclament de fortes sommes pour un service gratuit fourni par le bureau du Premier ministre (PMO) et si ce dernier n'en est pas au courant, il devrait faire attention à son entourage.En tout cas, avec un tel système, je comprends qu'au moins une perception d'achat de nationalité puisse exister.»

Pour un autre homme de loi que nous avons contacté, «il n'existe pas de grandes démarches légales à faire. Je trouve que la somme demandée à ce Français est exorbitante. Peutêtre que l'avocat-intermédiaire lui a fait croire, au Français, que l'argent servira à graisser des pattes».

En effet, c'est ce que nous avait fait comprendre le Français. À l'homme de loi de nous faire la remarque suivante, pleine de mystères : «Je ne crois pas que ce soient de pauvres étrangers qui obtiennent la nationalité mauricienne. Ce sont toujours des gens friqués.» Toutefois, il arrive aussi que des étrangers, pour qui l'administration mauricienne et toutes les démarches peuvent paraître compliquées, fassent appel aux services d'hommes de loi de façon tout à fait légitime. Le service peut coûter environ Rs 25 000, comme dans le cas d'un couple que nous avons rencontré. On est loin des millions réclamés par les intermédiaires.

Discrimination

Mais ce dont est sûr Shakeel Mohamed, c'est que l'octroi de la nationalité mauricienne est fait à Maurice en discriminant les citoyens de certains pays. Il ne passe pas par quatre chemins pour nous dire : «Le PMO refuse systématiquement d'accorder la nationalité aux ressortissants des pays arabes. Cela, même si l'étranger est marié à un Mauricien depuis plus de 15 ans !» Pourquoi cela, avons-nous voulu savoir. «Allez demander au Premier ministre.» Shakeel Mohamed est au courant de cette discrimination, nous dit-il, car sa propre femme est Algérienne. «Toutefois, elle n'a jamais fait la demande de nationalité mauricienne quand elle voit combien de ses compatriotes sont exclus. De plus, les autres démarches que mon épouse effectue auprès du gouvernement dans le cadre de son travail n'aboutissent jamais. Donc, elle ne va pas perdre son temps dans des démarches vaines.»

Pas de justification

Cependant, de notre côté, nous sommes en présence de demandes refusées venant de ressortissants d'autres pays. Bien que n'étant pas mariée à un Mauricien, une Française nous explique qu'elle vit à Maurice depuis 25 ans, et a adopté les us et coutumes locaux. «J'ai un enfant mauricien et je travaille ici depuis que j'y suis venue. Pourtant, toutes mes démarches ont été vaines, sous tous les gouvernements.» Elle en est à sa troisième demande depuis presque deux ans et attend toujours une réponse. Un intermédiaire lui a-t-il déjà demandé de l'argent ? «Non, pour la bonne et simple raison que j'ai toujours voulu faire les choses correctement en suivant les procédures, sans faire fonctionner aucun contact ni graisser aucune patte.»

Il est vrai que pour certaines personnes, la nationalité est accordée sans problème et avec une rapidité consternante. Shakeel Mohamed déplore la lenteur de la procédure pour les «autres». «En France, vous avez une réponse positive ou négative en trois mois. Pas 20 ans ! Et en cas de refus, des raisons sont données. De plus, si vous n'êtes pas satisfait que l'on ait refusé votre demande de nationalité française, vous pouvez saisir le tribunal administratif concerné. À Maurice, non seulement on ne vous donne aucune raison mais la décision du Premier ministre est finale. Pas de recours possible. Le roi en a décidé ainsi.» Il nous rappelle l'amendement à l'Immigration Act de juillet 2022.

«Avec cet amendement, le Premier ministre peut déchoir de la nationalité quelqu'un qui l'a déjà acquise. Et le Premier ministre n'a pas à motiver sa décision.» Même avant cette loi, on se souvient de l'expulsion du pilote d'Air Mauritius, le Belge Patrick Hofman, déclaré prohibited immigrant, en vertu d'une loi créée sur mesure. En réponse à une question au Parlement à ce propos, le 30 mars 2021, Pravind Jugnauth reconnaissait que le pilote avait été déclaré prohibited immigrant car, entre autres, il s'était senti insulté par ce dernier.

Shakeel Mohamed dit ne pas comprendre comment les Mauriciens peuvent s'indigner que la nationalité soit déchue en France, tout en acceptant que le gouvernement mauricien puisse le faire sans donner de raison. Il nous cite le cas d'une Indienne qui avait vécu des dizaines d'années à Maurice et qui s'était vu ordonner de quitter le territoire après le décès de son époux mauricien.

Étrangers propriétaires

L'avocat trouve que l'économie et la discrimination, qui sont pratiquées à Maurice pour l'octroi de la nationalité à des conjoints étrangers ou à des personnes ayant vécu de longues années sur le sol mauricien, cadrent mal avec la décision des autorités d'accorder à tour de bras des permis de résidence à des étrangers.

«Alors que le Mauricien moyen ne peut s'acheter un lopin de terre ou un petit appartement, un riche étranger a eu un terrain sur les Pas géométriques et y a construit des appartements qu'il loue aux Mauriciens pour un week-end ! Je connais un étranger qui est propriétaire d'une stationservice, un autre qui est coiffeur. Dites-moi, avons-nous besoin de ces étrangers à Maurice ? Qu'apportent-ils de plus à l'économie ?» Nous connaissons aussi des directeurs étrangers de succursale de banque qui auront sans doute la nationalité mauricienne plus tard. S'ils désirent rester à Maurice.

Une procédure longue et lourde

Faire une demande de nationalité ou de naturalisation demande de s'armer de patience. Il y a une série de vérifications. Tout d'abord, il faut déposer son dossier au PMO, moyennant Rs 2 000 de frais de dossier. Que l'on soit conjoint de Mauricien, citoyen du Commonwealth ou d'un autre pays, il faut remplir un formulaire détaillé qui doit être signé devant un juge. Il faut fournir les documents nécessaires (acte de naissance, acte de mariage et casier judiciaire, etc. apostillés dans le pays d'où ils ont été émis), une attestation de caractère mauricienne, le tout, de moins de trois mois...

Le citoyen hors Commonwealth doit, lui, publier en plus un avis dans deux journaux quotidiens pour dire qu'il a fait une demande de nationalité, appelant tout contestataire à se manifester et avoir quatre témoins mauriciens. Une fois ces documents déposés au PMO, la police prend le dossier. Des policiers se rendent au domicile du demandeur (et rencontrent ses quatre témoins pour l'«alien»). Le National Security Service et le Passport and Immigration Office font leur enquête. Des mois, voire un an plus tard, le demandeur, ainsi que ses témoins, sont convoqués aux Casernes centrales.

D'autres policiers leur posent des questions. Le demandeur doit raconter sa vie, dire quels sont ses revenus et en montrer les preuves, etc. Ensuite, le dossier repart dans les limbes du PMO et c'est encore l'attente. Si la demande est approuvée, un citoyen du Commonwealth ou un «alien» doit payer Rs 50 000 pour la valider et un conjoint, Rs 20 000. Il faut savoir que même si un requérant «alien» a vécu dix, 20 ou 30 ans à Maurice, la police fait le calcul sur les sept dernières années.

Elle enlève tous les voyages et le temps passé hors du territoire. Il doit avoir vécu cinq années entières sur les sept sur le territoire. De plus, le demandeur ne doit pas quitter Maurice durant un an avant sa demande. Tant pis s'il doit voyager pour le travail ou voir un parent mourant.

Pour ceux du Commonwealth (les mêmes qui peuvent voter aux élections !), c'est plus souple : «A Commonwealth citizen may be registered as a citizen of Mauritius, if he has resided in Mauritius for a continuous period of five years or such shorter period (not being less than 12 months ) as the Minister may in the special circumstances of any particular case accept, immediately preceding the date of his application...» C'est donc une procédure qui mobilise temps et énergie, pour qu'au final, seul le Premier ministre décide en fonction de ses critères propres...

Permis de résidence permanent

Il faut distinguer la demande de permis de résidence ou de travail de celle pour la nationalité (ou naturalisation pour ceux d'un pays hors Commonwealth). Les permis de résidence sont octroyés en fait par le PMO après une première vérification par l'Economic Development Board contre ce que les autorités appellent invariablement un investissement, qu'il soit dans un secteur productif et créateur d'emplois et de richesses pour le pays ou qu'il soit un «faux» investissement, comme l'achat d'un bien foncier dans l'île.

Le permis de travail, lui, n'est accordé que pour travailler. La nationalité n'est pas automatiquement accordée à un étranger qui a obtenu un permis de résidence permanent, d'une durée de 20 années. Mais le détenteur d'un permis de résidence permanent pourra faire une demande pour obtenir la nationalité mauricienne au bout de 20 ans. Et pour obtenir un permis de résidence de 20 ans, l'étranger doit investir au moins USD 375 000 (Rs 17 millions).

Toujours sous la «Citizenship Act», un ressortissant d'un pays du Commonwealth pourra faire une demande de nationalité après avoir résidé à Maurice pendant cinq ans. Pour un étranger venant d'un pays autre que du Commonwealth (aussi appelé «alien»), il faut avoir résidé au moins sept ans à Maurice. Un(e) conjoint(e) doit avoir vécu quatre ans sous le même toit que son(sa) conjoint(e) mauricien(ne).

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