Ile Maurice: Le prix de l'avenir pour Arnaud et Cynthia Poulay

Leurs coeurs sont restés sur leur petite île. Leurs êtres chers, la chaleur du sable sous les pieds et le murmure des vagues qui les ont bercés pendant tant d'années leur manquent.

Arnaud et Cynthia Poulay, fils et fille de Yéline, 70 ans et fervente défenseure de la cause agaléenne, avancent depuis un peu plus de deux mois dans une nouvelle vie qu'ils ont choisi de saisir. Une vie qui, malgré les sacrifices, est remplie d'amour, de souvenirs et d'une profonde détermination à offrir à leurs enfants un avenir meilleur.

Depuis juin, frère et soeur se trouvent à Manchester, citoyenneté et passeport britannique en poche, et ne regrettent pas leur choix.

Ils s'estiment chanceux de pouvoir compter sur la famille installée là-bas et qui les héberge pour l'instant, contrairement à d'autres malheureux descendants chagossiens débarqués comme eux en Angleterre pour un lendemain meilleur, mais qui galèrent toujours à trouver un logement.

«Nou fier nou Agaleen. Nou kapav dans Manchester me Agalega touzur dan nou, nou extra kontan nou zil et nou pa pou kapav res tro lwin lontan ar li», renchérissent-ils.

Pourtant, avant novembre 2022, pour Arnaud, tout comme sa soeur Cynthia, l'idée d'obtenir un passeport britannique ne lui avait jamais traversé l'esprit. Jusqu'à ce que le changement de loi britannique, rendant éligibles à la citoyenneté et au passeport britanniques, à compter de fin 2022, tous les descendants de Chagossiens sans distinction, bouleverse cette certitude. Ce tournant historique plonge Arnaud et sa soeur, qui ont grandi dans une communauté où les histoires de leurs origines chagossiennes ont déjà été évoquées, dans une profonde réflexion. Amelia Gaiqui, la grand-mère de leur père, est née à Peros Banos et avait ensuite été envoyée pour travailler à Agaléga.

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Pour Arnaud, artiste répondant au nom de scène Ti Ras, et père de cinq enfants de 5 à 17 ans, utiliser son art pour exprimer la douleur et l'espoir de son peuple ne suffit pas.

En décembre 2022, Arnaud est rentré à Agaléga après une manifestation pacifique mémorable à la Place des Nations à Genève. Dans un T-shirt blanc flanqué d'un « Free Agalega », il s'était exprimé en larmes, dénonçant les injustices et les difficultés croissantes en matière de systèmes éducatif, de santé et de titre de propriété d'un terrain, auxquelles les Agaléens font face. Avant de regagner son île natale, il avait fait un détour par l'Angleterre et la France pour rendre visite à de la famille et donner quelques concerts. Ce voyage, bien que bref, avait planté une graine dans son esprit : devait-il quitter Agaléga, pour l'avenir de ses enfants?

Car, six mois après la grandiose cérémonie inaugurale à Agaléga, les promesses de développement du gouvernement se révèlent toujours creuses. La piste d'atterrissage, qui coupe l'île du Nord en deux, financée par et au profit de l'Inde, et l'impressionnante jetée, qui transforme radicalement le paysage, n'ont toujours aucun bénéfice direct pour les habitants. D'autant plus que ne pas voir de comptoir d'immigration à l'aéroport, veut tout dire pour certains alors que d'autres espèrent encore voir atterrir et décoller des vols commerciaux.

«Ce développement est une farce. Comment peut-on se réjouir d'une piste d'atterrissage quand nos enfants doivent encore voyager en bateau pour aller poursuivre leur scolarité ou prendre part aux examens à Maurice?», fustige Arnaud.

«Mon père disait que c'était de la même façon qu'on avait arraché le peuple chagossien de sa terre natale. Je ne peux pas oublier ses mots», se remémore-t-il, attristé et revoyant encore des militaires indiens débarquer pour une visite de prospection, dans son île en 2003.

Cynthia, quant à elle, n'a également pas fait ses valises sur un coup de tête. Même pour elle, figure indissociable de sa communauté, gérant avec passion Grace Hairdressing, l'unique salon de coiffure sur l'île du Nord, l'amour pour son île ne pouvait compenser l'incertitude qui pesait sur l'avenir de ses trois filles. Pour garantir un avenir à Isola, 20 ans, Anne-Laure, 19 ans et Shelby, 15 ans, celle qui se passionnait à coiffer les jeunes et moins jeunes de ses doigts de fée, devait prendre une décision difficile.

«J'ai grandi sur cette île, une île tranquille, mais pour le moment, rien de concret sur lequel m'appuyer pour l'avenir de mes enfants. A Agaléga, si ton enfant a un fort potentiel, il n'y a que Medco comme collège kot la plipar ditan pena profeser ek to zanfan oblize asiz anba pie», affirme-t-elle.

Isola, l'aînée, a pris le flambeau de sa mère au salon, après le départ de celle-ci pour l'Angleterre. Sans quoi, elle se serait retrouvée au chômage, comme tant d'autres Agaléens.

Anne-Laure, de son côté, poursuit sa formation comme infirmière dans une clinique à Maurice et rêve comme sa mère, de servir Agaléga un jour. La benjamine Shelby est toujours étudiante au collège BPS.

Malgré la distance, Arnaud et Cynthia n'ont jamais cessé de penser à leur île natale.

«Agaléga est toujours dans mon coeur, et je ne l'oublierai jamais. L'herbe n'est pas forcément plus verte ici mais je suis optimiste que je pourrai avancer. Ce n'est pas parce qu'on est né à Agaléga qu'on n'a le droit d'aller découvrir d'autres opportunités, d'observer et de comparer», déclare Cynthia en formation actuellement pour se perfectionner dans son domaine de prédilection.

«Si mes enfants doivent avoir un avenir, je dois leur donner cette chance. Pour l'instant, je dois être ici, pour eux.»

Pour Arnaud et Cynthia qui sont prêts à affronter chaque défi avec la force et la résilience qui les définissent, l'Angleterre n'est pas une destination finale, mais une étape nécessaire.

Arnaud garde toujours espoir que lorsqu'il regagnera son île, les Agaléens seront enfin propriétaires d'un terrain, leur combat de toute une vie. Un droit dont est privé le peuple agaléen.

«Si les Agaléens ne reçoivent pas ce droit, nous resterons à jamais coincés dans une époque coloniale», confie-t-il, amer.

Au moins 2 000 nouveaux citoyens britanniques d'origine chagossienne

Depuis novembre 2022, toute personne d'origine chagossienne peut s'enregistrer à la fois comme citoyen des territoires britanniques d'outre-mer et comme citoyen britannique. Selon les derniers chiffres officiels, le ministère de l'Intérieur estime avoir reçu plus de 7 000 demandes de citoyenneté, et plus de 2 000 Chagossiens sont devenus citoyens britanniques.

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