Il est 15 heures. La fourmilière multicolore qu'est la gare de Quatre-Bornes est envahie par les hormones des collégiennes et collégiens en pleine puberté. Il n'y a pas que les strings et les boxers qui sont en feu. À côté des abribus en béton, adossées aux grillages verts délimitant les rails du métro, des cheminées vivantes. La fumée entre par la bouche, ressort par le nez, les cigarettes virevoltent entre l'index, le majeur, le pouce, passent de main en main. Les jurons imagés heurtent ici et là les chastes tympans de quelques passants adultes qui écarquillent les yeux. Entre les rires, des questions graves : celles liées aux drogues dans les établissements scolaires. Les noms de ceux-ci ne seront pas divulgués pour éviter la stigmatisation, des cas ayant refait surface au cours des dernières semaines.
Son teint halé, ses tresses serrées nattant le sommet de sa tête, son uniforme aussi court qu'un weekend attirent les regards approbateurs des garçons. Elisa dégage l'assurance de ses 14 ans. «Wi dan lekol banla fim gandia, sipa simik, mo pa kone mwa, mo pa ladan.» Où ? Quand ? Comment ? «Be dan twalet, kot oule zot fim sa ? Zot pa pran sa al dan rekreasyon, fim sa ti lipie lor gro lipie devan tou dimounn», lâche-t-elle avec toute l'insolence de l'adolescence. «Ah wi, ena sniff panadol ousi, zot fer sanblan coco (NdlR, cocaïne) sa. Enn ta zes...»
Gavish débarque avec nonchalance, il prêtait une oreille distraite mais intéressée à la conversation. L'ado de 16 ans dégaine son portable dernier cri, qui a dû coûter deux mois de salaires, voire un bras, à ses parents. «Atann mo montre ou enn zafer, check sa.» Sur une vidéo - qui circule sur WhatsApp - des filles en uniforme aux toilettes. L'une sniffe un rail d'une substance qui semble être de la coke, pendant qu'une autre hache la poudre blanche à l'aide d'une carte - un pass étudiant.
Une autre filme la scène ; on rigole, on s'extasie sur la technique de la camarade qui a l'oreille percée de petites pierres de haut en bas, qui relève la tête pour bien faire pénétrer la drogue dans le cerveau via les fosses nasales. La technique de cette «marraine» en herbe n'a rien à envier à celle de parrains aguerris. Aux dernières nouvelles, des parents sont allés remettre ladite vidéo à la police, mais selon des collégiens, celle-ci n'aurait reçu qu'un avertissement de la direction de l'établissement. «Linn dir li ti aste bonbon dan lakantinn. Be to sniff bonbon lerla ? Boukou paran pa pe dakor ar sa», s'exclame un papa en colère.
Par ailleurs, qu'est-il advenu des «traditionnelles» bouteilles d'alcool d'antan ? «Pli fasil pou kasiet ladrog dan sak ki lalkol», croit savoir Gavish. Où sont passés ceux qu'on appelait jadis les discipline masters/mistresses qui sillonnaient les cours de récré pour faire régner l'ordre ? «Zot lamem, me zot pa al dan twalet pou veye ki pe arrive», renchérit Elisa, en riant sous cape.
Autour de nous, les conversations vont bon train, à côté des ding-dingding, les tintements du tram, qui signalent son départ ou son arrivée.
D'autres collégiens veulent ajouter leur dose de témoignage à ce dossier fumant. Il n'y a plus grand-chose qui choque ces adultes de demain, comme déjà habitués et résignés à côtoyer les drogues ; le simik est désormais bien plus connu que le tableau périodique des éléments qu'on apprenait par coeur dans les classes de chimie.
Le mercure chute soudainement, un vent glacial balaie la gare, le froid dévorant ne gêne nullement ces jeunes qui se réchauffent à l'amitié, aux dialog sok, comme le diraient les yeuv. Ici et là on se bécote, on se prend dans les bras, on se vole quelques baisers du bout des lèvres. «Eh sinon ena kas dan ta tou lekol in, mem ant tifi. Apre parfwa mo trouv kapot ize dan twalet alor ki pena garson dan lekol. Al konpran.» Oui, mais «préservativons» ce sujet pour plus tard.
Revenons-en plutôt à nos moutons qui veulent planer sur des nuages blancs. D'où viennent les drogues que consomment les collégiens et collégiennes ? «Ena gard gran-gran boug, gayn sa ek zot. Ena dealer dan lekol mem. Ena pran ek zot gran frer, kouzin tousala», lâche nos intervenants dans un concert d'explications, de thèses. Que faire pour que notre île ne se transforme pas en drug hub ? Pour l'optimisme il faudra repasser. «Fini dan bez sa... Tou kalite deza ena, ek simik partou.»