Centrafrique: A la CPI, Ngaïssona par lui-même

Patrice-Edouard Ngaïssona, ancien ministre de la République centrafricaine, est jugé par la Cour pénale internationale. Les 28 et 29 août, il a saisi sa dernière chance pour témoigner, sans prêter serment, sur son rôle pendant la guerre civile. Mais personne ne sait vraiment quelle valeur les juges donnent à une telle déposition.

Tous les accusés de la Cour pénale internationale (CPI) ne profitent pas de l'occasion qui leur est donnée de s'adresser à la Cour, bien qu'ils en aient tous le droit. Dans le procès conjoint de deux accusés de la République centrafricaine (RCA), l'un d'eux, Patrice-Édouard Ngaïssona, a passé deux jours cette semaine à exposer sa version d'une histoire politique chaotique et à nier toute responsabilité dans le meurtre et la torture de civils musulmans et dans le recrutement d'enfants soldats au cours de la guerre civile qui sévit dans le pays.

L'équipe de la défense est au complet derrière Ngaïssona, y compris son principal avocat Gert Jan Knoops, pour son témoignage sans serment devant la Cour. C'est la dernière chance pour Ngaïssona de convaincre les juges de son innocence, alors qu'il doit répondre de 16 chefs d'accusation pour crimes de guerre et de 16 chefs d'accusation pour crimes contre l'humanité pour avoir utilisé son poste de ministre de la Jeunesse, des sports, des arts et de la culture, en février-mars 2013, afin de recruter des enfants soldats et inciter à la haine contre les musulmans. Toutes les preuves ont été entendues et, hormis les plaidoiries finales en décembre, le jugement - ainsi que la peine éventuelle - devrait être rendu en 2025.

Selon Michelle Coleman, maître de conférences en droit à l'université de Swansea (Royaume-Uni), il s'agit là d'une « excellente occasion » de présenter sa version des faits sans être interrompu. Les accusés peuvent également s'en servir « pour essayer de se rapprocher du tribunal » et « rappeler aux juges qu'ils sont des personnes ».

L'homme des sports

À l'ouverture du procès, l'accusation a affirmé que Ngaïssona faisait partie du « premier cercle » qui complotait depuis l'étranger pour rétablir l'ancien président François Bozize au pouvoir et renverser le groupe rebelle Seleka qui avait pris le contrôle de Bangui, la capitale centrafricaine. Mais Ngaïssona nie vigoureusement avoir fait partie d'un tel cercle et déclare qu'il n'a « jamais reçu un seul centime » de la part de Bozize. « Je n'ai pas son email », dit Ngaïssona à la Cour. « Pourquoi utiliserait-il un civil comme moi ? »

Plus tôt dans le procès, le procureur Vanderpuye a déclaré que Ngaïssona avait « envoyé des instructions pour l'achat d'armes et pour les attaques ». Absurde, répond l'accusé, exigeant des informations sur les dates, heures, quantités et véhicules. « Je ne connais rien aux armes et à l'armement. »

Dans son exposé introductif, Knoops avait présenté son client comme un civil dont la vie était « dominée par sa carrière de footballeur » et dont la popularité était due à son professionnalisme. Sous la houlette de Ngaïssona, la Centrafrique avait gravi les échelons de la Fédération internationale de football association (FIFA), passant du rang 204 sur 207 au rang 50. « C'est la raison pour laquelle les gens l'aimaient », selon Knoops.

Ngaïssona décrit sa vie bien remplie d'administrateur des sports, avec un rôle à la FIFA en tant que président de la Fédération africaine de football, des voyages à Vancouver et au Japon, avec passeport diplomatique. Il décrit également l'aménagement de son bureau personnel et affirme qu'aucune personne s'y étant rendue n'avait omis de commenter la taille de son écran de télévision. Cela prouve, selon lui, que certains témoins ont menti au sujet de leurs rencontres avec lui.

L'homme de la jeunesse

Ngaïssona est d'accord avec la description de son influence sur la jeunesse centrafricaine et explique que les anti-balaka - une milice combattant la Seleka dominée par les musulmans - étaient venus à lui. Mais il minimise tout rôle qu'il aurait pu jouer dans la violence. L'argent qu'il a distribué, dit-il, l'a été au nom d'autres personnalités politiques, pour du café, des rassemblements pour la paix et des camions amenant les dirigeants dans des endroits où ils pourraient convaincre les jeunes de rester calmes.

« Je demande au procureur de vous dire quelle somme d'argent j'ai fournie à la résistance, à qui j'ai donné cet argent en particulier et par quel moyen j'ai fourni cet argent. Où sont les factures des armes que je suis censé avoir achetées ? Où sont les numéros des armes et des munitions que j'ai achetées ? Y a-t-il un seul marchand d'armes qui ait témoigné pour dire que Ngaïssona lui a acheté des armes ou des munitions ? La réponse est non, évidemment. Je n'ai jamais été impliqué dans le commerce ou le trafic d'armes. Je trouve cela absurde parce que je ne connais rien aux armes et à l'armement. »

La majeure partie de son récit est celle d'un homme - en dehors de ses activités sportives - qui connaissait et était connu dans les classes politiques, qui a créé son propre parti politique pour le bien du pays et a été faussement nommé et calomnié par ses adversaires. Son récit s'appuie sur des allégations de rivalité entre grandes puissances pour les ressources pétrolières ou minières de la RCA, dont Chinois, Français et mercenaires russes du groupe Wagner se disputent le contrôle et pour lesquelles ils utilisent différents hommes politiques les uns contre les autres. Les gens peuvent être achetés et vendus, déclare-t-il. Il est l'un des seuls courtiers honnêtes dans ce scénario, disant la vérité à tous, en particulier aux jeunes.

Porter le fardeau pour les autres

Ngaïssona présente à la Cour un tableau détaillé des développements politiques pendant la période trouble de l'attaque de la Seleka en 2013-2014, pendant son séjour au Cameroun et pendant le gouvernement de transition de 2014-2015. Maxine Mokom, ancien chef des anti-balaka - dont les charges ont été abandonnées par le procureur de la CPI il y a moins d'un an - est mentionné. L'accusation a soutenu que Mokom avait coordonné les attaques des forces anti-balaka contre la population musulmane en 2013 et 2014. Il devait répondre de 20 chefs d'accusation pour meurtres, viols, pillage et destruction de bâtiments, « pas [en tant que] simple spectateur », mais plutôt comme quelqu'un qui « devait savoir » que des atrocités étaient en train d'être commises. Mais ces preuves « se sont effondrées », selon le procureur adjoint ; des témoins clés de l'intérieur n'étaient apparemment plus disponibles ; l'ensemble de l'affaire a été abandonnée.

Cela laisse Ngaïssona seul responsable d'un groupe beaucoup plus large d'individus qui auraient fait partie du cercle restreint ayant fait pression pour le retour au pouvoir de Bozize. Le procureur « ferme délibérément les yeux sur les véritables responsables des crises répétées en RCA », déclare Ngaïssona au tribunal. Mais étant donné que nombre de témoignages clés se sont déroulés à huis clos, il est difficile de dire si l'accusation a présenté une analyse claire, dans ce procès, sur qui a joué quel rôle, comment il lie cela aux différents modes de responsabilité et, donc, qui porte quelle responsabilité.

« L'un des risques d'une déclaration non assermentée », prévient Coleman, « est que l'accusé puisse aider l'accusation à prouver, même par inadvertance, les faits qui lui sont reprochés ». Ce risque peut être plus élevé lorsqu'il y a des co-accusés, comme dans l'affaire Ngaïssona, qui est liée à celle d'Alfred Yekatom, un ancien caporal-chef de l'armée centrafricaine. Mais tout ce qui semble lier ces deux hommes, ce sont les crimes commis sur le terrain par les forces anti-balaka.

Quelle valeur de preuve ?

Ngaïssona raconte ce qu'il a ressenti en entendant les récits de massacres perpétrés par la Seleka, la peur qui a envahi Bangui à mesure qu'ils se rapprochaient en 2013, et comment il a réussi à fuir avec une partie de sa famille à moto à travers les forêts jusqu'au Cameroun.

L'accusation a tenté de démontrer que Ngaïssona était un grand chef et qu'il dirigeait les anti-balaka. Mais l'accusé dépeint ces derniers comme étant loin d'être suffisamment organisés pour constituer une « milice », affirmant qu'il s'agissait plutôt de combattants de la résistance locale. « Sans nier les crimes commis », il justifie leur résistance par le « droit de se défendre » et professe son admiration pour la position de l'Ukraine face à l'agression russe. Il déclare avoir conseillé les jeunes sur la nécessité de la paix et de la coexistence. « Je leur ai dit que les balles qui sortent des canons des fusils ne cherchent pas à savoir qui sont vos parents. »

Au sujet des discours de haine, Ngaïssona rejette toute idée selon laquelle il serait anti-musulman, citant ceux qui ont travaillé pour lui ou ont été aidés par lui, ainsi que d'autres personnes avec lesquelles il entretient de bonnes relations sociales. « Ce n'est pas dans mon ADN », déclare-t-il. Il se dit « sidéré » par les publications sur Facebook qui lui attribuent ces propos. « En quoi suis-je responsable de ce qu'ils ont en tête ? » demande-t-il.

Cette affaire est la deuxième que la CPI traite sur la République centrafricaine - hormis le fiasco de Mokom. La première concernait Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président et chef de guerre de la République démocratique du Congo voisine, qui a été acquitté de sa responsabilité en tant que commandant en chef d'une milice congolaise qui était entrée en République centrafricaine en 2012, violant et assassinant des civils à Bangui.

Comment les juges vont-ils évaluer les preuves apportées par Ngaïssona ? « Nous n'avons pas d'exemple concret de cas où ils ont considéré des déclarations non assermentées comme des preuves sérieuses permettant de prouver ou d'infirmer les crimes », explique Coleman. « Mais d'un autre côté, nous n'avons pas non plus beaucoup de preuves qu'ils ne les prennent pas en compte. C'est donc aux juges qu'il revient de décider de la manière dont ils vont prendre en compte les déclarations sans serment. »

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