Près de 30 ans après leur institution, le nombre de Centres de gestion agrées (Cga) qui assistent les entreprises de l'Union économique et monétaire Ouest africaine (Uemoa) dans leur formalisation, reste faible.
Ils ne dépassent pas 05 dans la majorité des Etats membres, à fin 2023. Une situation qui, selon Habasso Traoré, directeur des finances publiques et de la fiscalité intérieure à la commission de l'Uemoa, résulte, entre autres, de la mauvaise compréhension du rôle du Cga par l'opinion et par les différents acteurs, de la faible communication sur leur utilité pour les entreprises elles-mêmes. Entretien exclusif.
Veuillez nous rappeler ce que sont les Centres de gestion agréés et les objectifs qui étaient visés dans le cadre de leur création.
Les Cga ont été institués au sein de l'Uemoa par la directive N°04/97/CM/UEMOA adoptée le 28 novembre 1997 par le conseil des ministres avec pour mission d'encadrer et de former les Petites et moyennes entreprises (Pme) en matière de gestion, de comptabilité et de fiscalité. Cette directive a été modifiée par la directive n°02/2020/CM/UEMOA du 26 juin 2020 portant régime juridique des Cga qui dispose que le Cga est une entité dotée de la personnalité morale, exerçant sous la forme d'association ou de société de capitaux à l'exclusion des sociétés à associé unique.
Le Cga est placé sous la tutelle du ministère chargé des finances. Les Cga font partie des structures communautaires créées pour accompagner l'application du système comptable ouest africain (Syscoa) adopté par Règlement n°04/69 du 20 décembre 1996. Ils ont pour mission principale l'accompagnement des acteurs du secteur informel et des micros, petites et moyennes entreprises pour leur insertion dans les structures modernes de l'économie grâce à une assistance et un encadrement en matière de gestion, de comptabilité et de fiscalité.
De manière subsidiaire, ces centres ont pour objectif de favoriser l'élargissement de l'assiette fiscale de l'Etat grâce à l'amélioration de la qualité des déclarations fiscales des adhérents des Cga. En contrepartie à leur affiliation aux Cga, les adhérents bénéficient d'avantages fiscaux dont la teneur est déterminée par la loi nationale.
A ce titre, les Cga jouent un rôle important dans l'environnement économique régional au regard de la place prépondérante qu'occupent le secteur informel en général et les petites et moyennes entreprises dans le tissu économique. Ce sont ces centres, dirigés par des professionnels de la gestion et de la comptabilité et assistés par l'administration fiscale, qui sont chargés d'amener progressivement leurs adhérents à embrasser les outils modernes de gestion dans leurs activités afin de leur assurer viabilité et rentabilité.
Aujourd'hui, le nombre de Cga créés reste faible dans certains pays. Près de trente ans après leur institution, certains Etats de l'Union ne comptent pas plus de Cinq (05) Cga. Quelle est la situation globalement au niveau de l'Uemoa ?
Les directives de l'Uemoa invitent les Etats membres à les transposer à travers des textes nationaux (lois ou décrets). Une fois cette internalisation faite, les Cga sont librement créés conformément aux dispositions du texte national. Il faut rappeler que depuis la réforme opérée en 2020, les formes associatives ou sociétales sont désormais autorisées au sein de l'Union. Pour ce faire, le texte national de transposition doit prévoir ces deux formes juridiques au profit des potentiels promoteurs de Cga.
Plus de 25 ans après l'adoption de la directive portant institution des Cga, le nombre de Cga créés dans les Etats se présente comme suit à fin 2023 : Bénin 04, Burkina Faso 04, Côte d'Ivoire 120, Guinée Bissau 01, Niger 02, Mali 36, Sénégal 03, Togo 01.
Hormis la Côte d'ivoire, le constat est qu'effectivement, le nombre des Cga créés est assez faible au regard du nombre potentiel d'adhérents à ces organismes. Cette situation prouve à souhait qu'il existe une réelle marge de progression en termes de création de nouveaux centres pour apporter l'assistance et l'encadrement nécessaires aux petites et moyennes entreprises.
Est-ce que cette situation est en cohérence avec les objectifs qui étaient fixés au départ ? Qu'est-ce qui peut expliquer ce faible nombre de Cga créés ?
Le faible nombre de Cga a des causes qui sont connues et qui ont été à maintes fois exposées par les responsables et administrateurs de ces centres. Au nombre de celles-ci, on peut citer la mauvaise compréhension du rôle du Cga par l'opinion et par les différents acteurs, notamment du secteur informel qui l'ont toujours assimilé à un prolongement de l'administration fiscale ; la faible communication sur l'utilité des Cga pour les entreprises elles-mêmes ; la faible culture de la gestion comptable des acteurs économiques ; la faiblesse du civisme fiscal au sein de la population.
La Commission de l'Uemoa a conscience de ces contraintes. C'est pourquoi, elle organise chaque année une réunion regroupant toutes les parties prenantes dans l'animation des Cga (secteur privé, administration fiscale) aux fins d'examiner les difficultés qui limitent leur développement. Au cours de ces rencontres des recommandations sont faites pour pallier les insuffisances relevées. Il en est ainsi de la réforme de 2020 qui a permis d'ouvrir de nouvelles possibilités en matière de forme juridique et sur bien d'autres plans liés au développement structurel des Cga comme les appuis financiers aux centres.
Le Conseil des ministres avait adopté, en 2020, la directive portant modification de la directive n°04/97/CM/UEMOA du 28 novembre 1997 portant adoption d'un régime juridique des Cga dans les Etats membres, dans le sens de dynamiser leur fonctionnement en diversifiant la forme juridique de ces organismes et en élargissant la gamme des avantages prévus en leur faveur et leurs adhérents. Est-ce qu'on peut dire, aujourd'hui, que les objectifs de cette modification sont atteints ?
Déjà, l'adoption d'un nouveau régime juridique en faveur des Cga est une belle avancée. Il reste aux Etats à internaliser cette nouvelle disposition dans leur législation interne afin d'offrir à leurs citoyens plus de possibilités d'actions. Nous espérons que grâce à cette réforme, le nombre des Cga s'accroitra sensiblement pour le bonheur des futurs adhérents.
L'exemple de la Côte d'Ivoire prouve que la diversification de la forme juridique des centres est une piste intéressante pour leur multiplication. N'oublions pas d'ajouter que des avantages additionnels aux avantages fiscaux déjà accordés aux adhérents ont été conçus et proposés par la nouvelle directive. Il s'agit de l'octroi d'une marge de préférence de 5 % aux offres faites dans les procédures de passation des marchés publics par les adhérents des Cga.
Ce taux de préférence est cumulable avec le taux de préférence communautaire de 15% déjà disponible dans le droit communautaire ; l'octroi d'un privilège de préférence aux adhérents des Cga pour le bénéfice des appuis et concours des programmes de promotion et de financement des Pme de l'Etat ou des partenaires de l'Etat.
En outre, désormais, les Etats et leurs démembrements et partenaires sont invités à apporter des soutiens financiers et ou matériels aux Cga afin de renforcer leur viabilité institutionnelle.
Les Cga, dans leurs missions, aident notamment à la formalisation du secteur informel. Il est constaté, tout de même, que l'informel occupe plus de 90% du tissu économique de nos Etats. Quels sont les défis à relever aujourd'hui pour que les Cga puissent atteindre leurs objectifs ?
La formalisation du secteur informel ou du moins, la réduction de la taille de ce secteur dans les économies des pays de l'Union est un chantier qui dépasse le seul cadre des Cga. Les Cga y concourent mais ne pourront pas à eux seuls le faire tant les enjeux attachés à cette problématique sont nombreux et multidimensionnels.
Les pouvoirs publics des Etats en sont conscients et utilisent plusieurs leviers pour atteindre cet objectif de réduction de la taille de l'informel dans l'économie. Il s'agit notamment de leviers bancaire, fiscal, du droit du travail, du droit commercial etc.
Les Cga s'inscrivent sans conteste dans cette panoplie d'instruments conçus par l'Etat pour amener, de manière progressive, les acteurs « non formalisés » à rejoindre le monde des affaires où un minimum de règles relatives au droit commercial, au droit social, au droit comptable et au droit fiscal sera respecté. La règle n°1 de la « formalisation » tant recherchée est l'enregistrement des acteurs auprès des administrations.
Il est fondamental que les promoteurs des micros, petites et moyennes entreprises se déclarent auprès des administrations compétentes afin d'exercer adéquatement leurs activités.
Certes, il est dit (et ce n'est pas là le moindre reproche fait à l'administration en général) que le nombre important des formalités et des déclarations rebute fortement les acteurs de « l'informel », mais rendons justice aux Etats de l'Union qui, de nos jours, ont chacun pris des mesures novatrices de facilitation de création des entreprises, de regroupement des formalités des diverses déclarations dans des guichets uniques et de réduction/facilitation des obligations fiscales afin d'inciter les Pme à la modernisation.